La plus grande part de notre vie, et bien souvent la plus sérieuse, repose sur les bruits qui courent. Nous croyons tous à ces romans qu'on accroche à quelque cause insignifiante ou fortuite, et nous les alimentons à notre insu. Nous les prenons pour de la monnaie sonnante, car il n'y en a pas d'autre. Nul n'est censé ignorer cette loi non écrite d'après laquelle ce ne serait pas le bon sens qui est la chose du monde la mieux partagée, mais la petite imagination. Votre ami Léandre a été vu une fois dans un café passé minuit, on ne sait par qui, mais, au bout d'une semaine, c'est un pilier d'estaminet, c'est un désespéré, un personnage dostoïevskien qui passe ses jours et ses petits jours au bistrot. Vous avez oublié de régler votre teinturière, cela vous est sorti de l'esprit. Quelques jours plus tard, vous êtes un homme couvert de dettes qui ne songe pas à faire face à ses engagements !
Il nous arrive de sourire devant l’intrépidité esthétique des enfants, de refuser finement les recherches linéaires ou colorées d’un Picasso, des surréalistes, des irrationnels ou des abstraits. Mais les cactées ? Elles ont plus d’ampleur encore dans leur fantaisie et moins de limites. Elles éclatent et se proposent dans une probité aux longs prolongements. Les symboles qu’elles brandissent sont cependant d’une rude clarté, mais n’attirent que des sarcasmes, car les hommes ont perdu le goût et le sens des idoles concrètes.
Si encore les rumeurs étaient poétiques, nous serions tous heureux, enchantés, mais elles sont presque toujours malveillantes. Un tel est comme ça, et voilà tout ! C’est le mensonge (en temps de guerre bourrage de crâne), qui mène ce pauvre monde par le bout du nez.
Il y a dans le stylo un côté insecte domestique, cheval de course, des feux éteints, une forme réussie et un contact enfin qui séduisent les hommes de plume les plus attachés aux traditions.
Jadis, dans ma prose d’avant- guerre, j’écrivais que tout a pour but la solitude. Je suis sûr aujourd’hui de ne pas m’être trompé...
André Beucler : Dimanche avec
Léon-Paul FargueOlivier BARROT présente le livre d'André Beucler sur
Léon-Paul Fargue.