Poésie art de l'insurrection

Non, la poésie n'est pas affaire de spécialistes. Non, la poésie n'est pas la chasse gardée de dépressifs gravitant à cent mille lieues de notre bon vieux caillou et des préoccupations de Madame-Tout-le-Monde. Ni celle d'illuminés en proie à des délires métaphysiques. Non, la poésie n'est pas l'exclusivité des cercles de pseudo-intellectuels pédants dont le coeur est déjà froid et les sens anesthésiés. Et, non, il ne faut maitriser les figures de style, il ne faut pas connaitre les grands auteurs de la poésie classique. Car « la poésie n'est pas qu'héroïnes chevaux et Rimbaud. C'est aussi la prière impuissante des passagers qui dans l'avion attachent leur ceinture pour la descente finale ». Alors inutile de courir les ateliers d'écriture, bien souvent donnés par des pseudo-poètes.

Pour faire (oui, un verbe d'action …) de la poésie, il suffit juste d'écouter son coeur. Ou ses tripes ou son inconscient, appelle ça comme tu veux. « Pose l'oreille sur le sol et entends la Terre tourner, la mer déferler ». Ecoute et retranscris le chant que tu entends, sans rechercher l'idée géniale, sans te tracasser de l'effet produit, … Je dis « retranscris » mais ce n'est pas de cela dont il est question en fait : c'est chanter qu'il faut faire, chanter la poésie et lui redonner la voix.

Mais qu'est-ce que la poésie ? « Premières lueurs, un oiseau noir s'envole à tire-d'ailes, c'est un poème ». La poésie « c'est l'oreille de van Gogh qui résonne de tout le sang du monde », et aussi « une corde à nouer autour de soi dans une mer de sons sans rivages ». Les sirènes ne sont pas loin … L'auteur tente quelques réponses, toutes en son ou lumière, preuve s'il en fallait que la poésie est avant tout musique.

Ferlinghetti nous dit tout cela, et bien d'autres choses encore, dans son petit livre rouge intitulé « Poésie art de l'insurrection ». le poète, qui fonda la mythique librairie City Lights à San Francisco qui fut le laboratoire d'où jaillirent les oeuvres de Kerouac, Corso, Ginsberg et d'autres encore, nous propose ici une version moderne et américaine de lettres à un jeune poète (bien qu'il ne s'agisse pas à proprement parlé de lettres). Plus direct, plus politique, plus prophétique et parfois plus psychédélique. Un petit livre qui donne du punch, de la joie, de l'espoir et surtout surtout une irrépréhensible envie d'écrire de la poésie. Un livre salutaire que je garde très précieusement au pied de mon lit (je n'ai pas de table de chevet) et que je feuillette, les soirs de cafard, c'est-à-dire assez souvent. Vous l'aurez compris, ce petit livre rouge m'est INDISPENSABLE.

Enfin je voulais aussi rendre hommage à l'éditeur Maëlstrom, une maison d'édition indépendante de mon beau pays, qui a choisi d'alterner masculin et féminin dans les adresses au poète/ à la poète. Nous étions alors en 2012, avant que la vague actuelle de pseudo-féminisme n'envahisse notre espace médiatique et politique. Et la première occurrence de ce féminin tombe à point nommé puisqu'il s'agit de l'exhortation suivante : « Sois subversive, remets sans cesse en cause réalité et statu quo ». À bon entendeuse …

Si un jour vous passez par San Francisco, arrêtez-vous à la City Ligths bookshop and publisher, une des grandes librairies de la ville. C'est un enchevêtrement de petites salles sur plusieurs étages, et de petits salons de lecture. On y trouve un peu de tout. Et c'est là que tout a commencé en 1953. Ferlinghetti ouvre cette librairie et maison d'édition avec un ami. Ce sera la grande maison d'édition et de diffusion des poètes et écrivains de la Beat Generation et de Bukowski. Ginsberg et Kerouac ont été publiés ici. Mais Ferlinghetti est aussi un des grands poètes de ce mouvement de la contre-culture américaine. « Poésie Art de l'insurrection » est un recueil de plusieurs textes. L'auteur a tenu à ce que le livre se présente au format du petit livre rouge de Mao. « Au bout d'une vie entière, ce petit livre révolutionnaire est toujours une oeuvre en progrès, l'art poétique du poète, qu'il continue encore d'enrichir à l'âge de 93 ans » peut-on lire en note bibliographique. le premier texte qui reprend le titre du recueil est en fait une suite d'aphorismes dans lesquels l'auteur semble donner des leçons de poésie aux amateurs et leur demande de créer une poésie « révolutionnaire », qui sorte des sentiers battus. La suite «  Qu'est-ce que la poésie ? », reprend également une série d'aphorismes. « La poésie n'est pas un produit. Elle est en soi une particule élémentaire » ou «  La poésie est la guillotine des idées reçues » peut-on lire. Ferlinghetti place la poésie au rang d'arme de combat idéologique, contre la bienséance, le conformisme. C'est puissant ! Dans la partie « Prémonitions », on peut lire 2 textes engagés, du style de Ginsberg, « Manifeste Populiste n°1 » et « Manifeste Populiste n°2». Oui, on peut faire la révolution avec la poésie : « Poètes, sortez de vos placards, ouvrez les fenêtres, ouvrez les portes Il y a trop longtemps que vous êtes terrés dans votre monde fermé ». le poète a pour vocation de sortir du rang, de se faire connaître, de s'affirmer en opposition à la culture dominante. Puis « La Poésie moderne est de la prose » de 1978, termine le recueil. Ces textes n'ont pas pris une ride. Même si malheureusement, je doute maintenant que la poésie puisse avoir une telle portée, cette poésie-là me transporte littéralement, me donne de l'espoir en l'avenir. Ferlinghetti a maintenant 101 ans. Puisse-t-il vivre encore longtemps.

Poésie art de l'insurrection de Lawrence Ferlinghetti est un appel à la revolution, composé de trois parties distinctes :
1. Un appel aux poètes et poétesses de tous bords, d'abord, à réveiller l'inspiration endormie en chacun de nous, à écrire de la poésie, à la diffuser, la faire chanter comme un oiseau (image métaphorique à laquelle il fait souvent appel), sous toutes ses formes, en musique, sur les réseaux sociaux, en jouant de la musique ou en rappant dans la rue... Cette partie est la plus engagée et exaltée, la plus combative. Elle est écrite sous forme de phrases courtes et percutantes, des aphorismes et s'adresse essentiellement à tous les poètes et toutes les poétesses (le « you » utilise en anglais ne différencie pas le sexe de la personne ce qui évite l'écriture inclusive).
2. Une définition ou plutot des définitions de la poésie en employant de nouveau la forme d'aphorismes. Encore une fois, la plupart de ces phrases courtes sont percutantes, imagées et comportent en soi une épiphanie, celle-là même nécessaire à la poésie pour créer l'emotion.
3. La dernière partie intitulée « Prémonitions » est composée de deux poèmes en vers libres « Manifeste populiste nr1 » et « Manifeste populiste nr2 » écrits respectivement en 1976 et 1978, combatifs et . Bien qu'écrits il y a quelques dizaines d'années, ils semblent encore actuels aujourd'hui. Cette partie est conclue par un texte de réflexion intitulé « la poésie moderne est de la prose ».
C'est peut-être la partie que j'ai le moins apprécié au final, même si dans l'ensemble, elle comporte différentes réflexions assez justes et parfois en filigrane un peu tristes et amères, sur ce qu'est devenue la poésie à notre époque.
Mais si la poésie moderne est de la prose, alors je ne souhaite pas écrire de poèmes, car je ne conçois pas (et c'est là ma limite en ce qui concerne la définition de la poésie), que la prose puisse devenir de la poésie. J'accepte l'idée que la poésie puisse être écrite de manière relativement libre, sans rimes par exemple (en vers libres), mais toujours avec un effort de versification, car c'est cette structure, cette exigence ainsi que ce ciselage qui rend les mots musicaux, les sons mélodiques et fait chanter la langue.
Chaque époque a la poésie qu'elle façonne.
Il reste une question : Est-ce que la poésie peut revolutionner le monde ? Apres avoir lu ce livre, Lawrence Ferlinghetti le croit. Moi, un peu moins : je crois qu'elle n'est pas suffisante en tout cas, à elle seule, pour éveiller les consciences.
En conclusion, c'est un livre qui m'a fait réfléchir, qui m'a enrichi (d'où la note élevée) et qui me motive (en particulier les deux premières parties) étant moi-même auteur de poèmes, surtout dans une période de doutes comme je la vis actuellement par rapport à mon écriture.

Il est des livres dont on commence à noter quelques phrases et qui, au fil de la lecture, demanderaient à être presque entièrement recopiés. Lawrence Ferlinghetti, figure de la première Beat Generation, étrangement moins en vue que Burrouhgs et Ginsberg, reste un sacré bonhomme, aujourd'hui beau vivant de 94 ans. Publiée par MaelstrÖm, la traduction (par Marianne Costa) de Poésie : Art de l'insurrection, «petit livre rouge» (délibérément présenté comme tel), apparaît comme un véritable vade-mecum, une nouvelle (et combien valide) lettre à un jeune (et à une jeune) poète, roborative, et remettant bien des pendules à l'heure... «Si tu n'as rien à dire, ne le dis pas. [...] La poésie n'est ni une activité sédentaire, ni un fauteuil à prendre. [...] Si tu veux être poète, invente un nouveau langage que chacun puisse comprendre. [...] Sois poète, pas VRP. / Ne dénigre pas les scolastiques qui pensent qu'un poème doit être plein, harmonieux, radieux, vrai, beau et bon. [...] Pourquoi écouter les critiques qui n'ont jamais écrit de grands chefs-d'oeuvre ? [...] Tes poèmes doivent être quelque chose de plus qu'une petite annonce pour coeurs brisés [...] Quand tu lis tes poèmes, ne cherche pas à faire exploser les vitres dans l'arrondissement d'à côté... [...] Ta vie, c'est ta poésie. Si tu n'as pas de coeur, tu écriras une poésie sans coeur. [...] Trois lignes ne font pas un haïku. Il faut une épiphanie pour qu'il jaillisse. [...] Évite le provincial. Va à l'universel. [...] Ris un bon coup quand tu entends dire que les poètes sont des marginaux, des terroristes potentiels ou un danger pour leur pays. [...] Ris au nez de ceux qui disent « Faites de la prose jeune homme, faites de la prose ». [...] Sors de ton placard. Il fait noir là-dedans. [...] Engage-toi dans quelque chose qui te dépasse. [...] Sois un idiot Zen.»
C'est ici la dernière édition traduite en français de ce petit livre «révolutionnaire» (l'édition new-yorkaise date de 2007), "work in progress" constamment enrichi par son auteur depuis la fin des années 1950.
Ferlinghetti est le contraire absolu du cynique, un vieux sage joyeux qui aurait entrepris de réécrire Lao-tseu avec un sourire en coin ; il est drôle, parfois candide, résolument optimiste (la poésie reste pour lui «lumière au bout du tunnel» qui «tient la mort à distance»), gentiment subversif : «Tu imagines Shelley participant à un atelier de poésie ?» Ce précieux petit volume contient «Qu'est-ce que la poésie», savoureux train de plus de deux cents réponses à l'impossible question : «La poésie n'est pas qu'héroïnes chevaux et Rimbaud. C'est aussi la prière impuissante des passagers qui dans l'avion attachent leur ceinture pour la descente finale. [...] La poésie c'est l'oreille de van Gogh qui résonne de tout le sang du monde. [...] La poésie c'est l'essence des idées avant qu'on les distille en pensée »
Sous le titre «Prémonitions», sont encore données, en fin d'ouvrage, de nouvelles traductions de «Manifeste populiste n° 1 (1976)», « Manifeste populiste n° 2 (Adieu à Charlot – 1978)» et «La poésie moderne est de la prose (1978».
Un livre tonique qui devrait trouver place dans la bibliothèque (ou sur le chevet) de tout poète ou lecteur de poésie.
Note de lecture parue sur Poezibao
Lien : http://poezibao.typepad.com/..

Plusieurs parties pour ce recueil : comment être poète aujourd'hui ? Qu'est ce que la poésie ? et des réflexions sur l'engagement et la musique nécessaires à la poésie pour qu'elle résonne comme il se doit et que l'on puisse affirmer qu' “un poème est une fenêtre par laquelle tout ce qu'il passe peut être vu sous un nouveau jour.”

Emouvant, juste et vrai. A lire ! ❤️