J'ai adoré ce
Guillaume Tell de Schiller. Je comprends aisément qu'il ait pu inspirer si divinement Gioachino Rossini pour son opéra homonyme. Car cette pièce est une invite à la grandiloquence, à la grandeur d'âme, à la passion, au romantisme, à l'héroïsme, au dépassement et à l'abandon de soi pour la cause commune.
C'est vrai,
Guillaume Tell n'est pas Cyrano, mais tout de même ; il a quelque chose ce garçon, avouons-le ! Il nous fait frétiller la poitrine ; il vous décolle la plèvre rien qu'à sauter dans une barque au plus fort d'une tempête ou à bondir comme un chamois, arbalète à la main, au-dessus des précipices, dans les escarpements abrupts où même les agiles quadrupèdes seraient mis à mal.
Je vous concède que ce n'est pas un champion du maniement de la langue. C'est un taiseux, qui parle par courtes phrases — quand il parle ! —, qui lâche une longue tirade uniquement quand il est seul et qu'il devise pour lui-même, cherchant au fond de son coeur les solutions à ses problèmes. Car ce qu'il aime avant tout, ce
Guillaume Tell, c'est agir, agir et encore agir.
Les longs discours l'ennuient et il les méprise, or, de conciliabules il est grandement question ici, car ce n'est rien moins que le destin politique de la Suisse qui se joue sous nos yeux.
Friedrich Schiller reprend à son compte un récit traditionnel légendaire datant du début du XIVème siècle pour le faire coller au goût du jour de l'époque (de son époque en 1804) et le désir d'émancipation des peuples dans la mouvance de la Révolution française.
L'auteur reprend assez fidèlement le mythe ancien qui veut que du temps de l'empereur germanique de la lignée des Habsbourg,
Albert Ier, celui-ci ait eu un bailli, nommé Hermann
Gessler qui pour éprouver la fidélité et l'allégeance des habitants de trois cantons suisses voisins les fait plier sous sa férule.
En 1307, il fait ériger, en plein centre de la place publique d'Altdorf un mat au sommet duquel il installe son propre couvre-chef que chaque habitant devra saluer en se découvrant à chacun de ses passages sous le chapeau en signe de soumission.
Guillaume Tell, un brin séditieux sur les bords, passe ouvertement auprès du mat en ignorant cordialement l'appareil vestimentaire du bailli. Convoqué devant
Gessler, Tell invoque sa distraction au moment des faits ; ce à quoi
Gessler ne croit que très moyennement et le condamne à tirer une flèche dans une pomme posée sur la tête du propre fils de Guillaume. En cas d'échec volontaire du tireur, celui-ci sera mis à mort.
Malgré la cruauté de l'enjeu,
Guillaume Tell s'exécute et vient victorieusement à bout de l'épreuve. Néanmoins, le bailli s'étonne du fait que Tell ait glissé, préalablement au tir, une seconde flèche dans son habit. Il demande au tireur de s'expliquer sans crainte.
Guillaume Tell avoue alors sans détour que si sa flèche avait touché son fils, il aurait décoché celle-ci en plein coeur de
Gessler. Je vous laisse découvrir la suite si vous ne la connaissez pas.
Ce récit mythique, fondateur de l'identité suisse, dont on retrouve la trace écrite pour la première fois dans le livre blanc de Sarnen, qui a pour théâtre le Lac Des Quatre Cantons situé en plein coeur de la Suisse moderne, tombe à pic pour Schiller.
En effet, l'Europe est secouée par le tremblement de terre idéologique et politique que constitue la Révolution française. L'ordre ancien vacille et le désir des peuples à l'autodétermination et à l'émancipation n'a jamais été aussi fort, notamment sous la houlette des Lumières.
L'émergence de Napoléon, le leader national issu du peuple et combattant la tyrannie des monarques européens consanguins fait son oeuvre dans les cerveaux un peu partout en Europe. le romantisme commence à pointer le bout de son nez, donc, quoi de mieux pour Schiller que cette légende ancienne, montrant la réussite d'un soulèvement populaire pour l'accession au plus fondamental des droits de l'homme, — la Liberté.
Cependant, probablement en raison des écarts de conduites constatés lors de la Terreur, l'auteur insiste sur la légitimité d'une insurrection et que tout régicide n'est pas bon à prendre comme l'atteste le personnage de Joannes, duc de Souabe, criminel par vénalité et par soif de pouvoir.
Vous vous doutez bien que de nos jours, cette oeuvre de Schiller a perdu tout caractère de subversion, bien qu'elle en ait probablement eu un dans l'Europe du début du XIXème siècle. Il est même fort possible que s'il n'était mort peu de temps après la sortie de sa pièce, Friedrich Schiller aurait eu à rendre quelques comptes sur la signification du message véhiculé par ce drame.
Ce qu'il en reste, en ce début de XXIème siècle, c'est un beau morceau de théâtre, bien plaisant ma foi et qui donne envie d'aller mordre encore à la besace de Friedrich, mais ce n'est là que mon avis, c'est-à-dire, trois pépins de pomme sur une tête…