En 100 pages, entrevoyez pourquoi on peut trouver à
Proust un charma infini
Proust fait parfois un peu peur. Il fait partie de ces auteurs dont on rechigne à ouvrir les livres. Les Céline,
Faulkner,
Duras... Pour tous, je ne sais pas mais pour
Proust, il y a une solution. Partielle il est vrai:
Lisez donc ce petit recueil de 100 pages qui reprend les merveilleuses pages que
Proust a écrites sur la mort de sa grand-mère. 100 pages, ce n'est rien. Allez-y sans crainte. Pour vous aguicher, je reprends ci-dessous trois extraits où apparaissent toute la délicatesse de l'auteur, son sens des mots et des images...
Je néglige ce faisant, mais vous en trouverez une foule d'exemples dans ces 100 pages, les passages emplis d'humour, d'ironie acerbe, et plein d'autres richesses.
En cent pages, vous vous rendez compte !
Je cite :
"Alors pour la première fois les yeux de ma mère se posèrent passionnément sur ceux de ma grand-mère, ne voulant pas voir le reste de son visage, et elle dit, commençant la liste de ces faux serment que nous ne pouvons pas tenir : "Maman tu seras bientôt guéri c'est ta fille qui s'y engage" et, enfermant son amour le plus fort, toute sa volonté que sa mère guérit, dans un baiser à qui elle les confia et qu'elle accompagna de sa pensée, de tout son être jusqu'au bord de ses lèvres, elle alla le déposer humblement et pieusement sur le front adoré."
Plus loin :
"Et ma mère, au pied du lit, rivée à cette souffrance comme si, à force de percer de son regard ce front douloureux,, ce corps qui recelait le mal, elle a eût du finir par l'atteindre et l'emporter, ma mère disait "Non ma petite maman, nous te laisserons pas souffrir comme ça. On va trouver quelque chose, prends patience une seconde, me permets-tu de t'embrasser sans que tu aies à bouger ? Et penchée sur le lit, les jambes fléchissantes, un demi agenouillée, comme si à force d'humilité, elle avait plus de chance de faire exaucer le don passionné d'elle-même, elle inclinait vers ma grand-mère toute sa vie dans son visage comme dans un ciboire qu'elle lui tendait, décoré en relief de fossettes et de plissements si passionnés, si désolés et si doux qu'on ne savait pas s'il y étaient creusés par le ciseau d'un baiser, d'un sanglot ou d'un sourire."
Et pour finir :
"Ses traits, comme dans des séances de modelage, semblaient s'appliquer, dans un effort qui la détournait de tout le reste, à se conformer à un certain modèle que nous ne connaissions pas. Ce travail du statuaire touchait à sa fin et, si la figure de ma grand-mère avait diminué, elle avait également durci. Les veines qui la traversaient semblaient celles non pas d'un marbre mais d'une pierre plus rugueuse. Toujours penchée en avant par la difficulté de respirer en même temps que repliée sur elle-même par la fatigue, sa figure, frustre, réduite, atrocement expressive, semblait dans une sculpture primitive, presque préhistorique, la figure rude, violâtre, rousse, désespérée de quelque sauvage gardienne de tombeau. Mais toute l'oeuvre n'était pas accomplie. Ensuite, il faudrait la briser et puis, dans ce tombeau - qu'on avait si péniblement gardé avec cette dure contraction - descendre."
J'ai failli faire de ce dernier passage une explication de texte comme j'en faisais avec délectation au lycée ! Comment l'auteur nous fait passer, sans que l'on y prenne garde, d'une description physique de sa grand-mère à une remise en perspective. Elle est au bord du tombeau et la sanction tombera comme un couperet : la briser et descendre...