Poignant et drôle, grave et vertigineux, le récit d'une enfance blanche en Rhodésie.
Publié en 2002 en anglais et en français, et récemment réédité par les éditions des Deux Terres, ce récit d'une enfance "blanche" en Rhodésie intrigue avant de séduire, redoutablement.
C'est qu'
Alexandra Fuller, en contant le périple de sa famille entre ses 5 ans et ses 20 ans à elle, de la ferme en Rhodésie jusqu'à l'exil au Malawi puis en Zambie, a su faire partager, avec des yeux d'enfant et d'adolescent, retrouvés grâce à un indéniable talent de romancière, les paradoxes de cette micro-société fondamentalement raciste, soumise à des conditions climatiques et matérielles réellement difficiles, et exposée à davantage que sa part de drames familiaux.
Le regard d'Alexandra (appelée "Bobo" par sa famille) passe ainsi d'exercices de tir au fusil (qui commencent passée la cinquième année, pour chaque enfant de fermier blanc), de périples de cavalière émérite, de dur travail d'aide à la tenue de l'exploitation agricole, à la souffrance intime de la peur, de la pauvreté (relative), de la saleté et des risques de maladie, omniprésents, de l'éloignement trop fréquent du père, devant assurer sa part de devoirs miliciens, et enfin de la dépression et de l'alcoolisme, même occasionnellement fort joyeux, de la mère, suite à un désespoir qui enfle, d'échec économique en perte d'enfant en bas âge... Poignant et drôle, grave et vertigineux. Une lecture qui vaut le détour.
"Lorsqu'elle a bu un quart de la bouteille de whisky, nous avons perdu la réception de la Bush House à Londres, et la radio crépite toute seule sous sa haie de bougainvillées. Maman a sorti ses vieux disques écossais. Il y en a trois. Trois disques d'hommes en kilt qui jouent de la cornemuse. Sur les photographies, on les voit marchant à l'aveuglette (que peuvent-ils bien voir sous ces chapeaux en peau d'ours ?) dans la brume des ruelles pavées d'Écosse. Maman met le volume au maximum, emporte le whisky dans la véranda et s'assied en lotus sur une chaise de pique-nique, fredonnant l'air tandis qu'elle contemple la ferme enveloppée dans la nuit.
Cette posture est un reliquat de la brève période où elle a découvert le yoga dans un livre. Ce qui valait mieux que la fois où elle a envisagé la possibilité de rejoindre les Témoins de Jéhovah. Et bien mieux que le jour où elle a acheté un ouvrage sur la danse du ventre à une vente de charité et a essayé sa technique dans tous les bars au nord du fleuve Limpopo et au sud de l'Équateur."
"Elle verse le thé dans les deux récipients. Les anses sont grasses.
"J'espère que les prisonniers n'ont pas bu dedans, dis-je.
- Je suis sûre qu'ils ont leur propre vaisselle.
- Et les autres affies ? Je parle des policiers noirs, et de la bonne.
- Je suis convaincue qu'ils ne sont pas autorisés à boire dans les mêmes tasses que nous.
- Bien."