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sur 286 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
« Vous aviez raison, il se pourrait que je joue prochainement « le Menteur et Hamlet ». C'était le 23 octobre 1959, c'était il y a un mois. Il n'aura pas pu dire : « Etre ou ne pas être, telle est la question » parce qu'il n'est plus. »

C'est avec beaucoup d'émotions que je viens de refermer le livre de Jérôme Garcin. Je regarde la photo de Gérard Philipe qui ne quitte pas mon bureau depuis très longtemps. Ce n'est pas sa meilleure photo ! du plus loin que je me souvienne, il a toujours été mon idole, je ne saurais dire pourquoi. D'aucuns vous diront qu'il a créé sa propre légende en mourant en pleine gloire si jeune. Mais j'étais beaucoup trop petite pour me rappeler.

Peut-on envisager qu'une petite fille puisse se sentir envoûtée par la voix harmonieuse de l'aviateur du Petit Prince, cette voix à nulle autre pareille, aux intonations masculines mais toute de douceur, fluide, à la plasticité toute féminine, faisant surgir de l'imagination de cette petite fille, des images de désert et d'un aviateur penché sous sa carlingue auprès duquel apparaît ce magnifique petit bonhomme. Sont-ce mes professeurs de français qui m'ont inoculé ce virus au temps où nous apprenions les répliques de nos classiques afin de pouvoir, lors du gala de fin d'année scolaire, monter sur les planches et déclamer ces citations, donner la réplique à nos camarades, tout ceci dans un état d'excitation que seules des élèves pouvaient ressentir à l'idée de jouer devant les parents. Peut-être aussi, les couvertures de nos classiques Larousse où Gérard, magnifique dans son costume du Cid, captait notre attention, lui dont la seule pensée nous éclairait lors de nos répétitions. (Il y avait aussi Thierry la fronde qui animait nos cours de récréation:-))) !

Ce grand adolescent, au visage d'ange noble et romantique, nous a quittés le 25 novembre 1959. Il a rejoint les étoiles à quelques jours de ses 37 ans. C'est dans le costume du Cid qu'avait dessiné le peintre Léon Gishia, dans un pourpoint bleu horizon recouvert d'une cuirasse matelassée bleu nuit à passements dorés et sa cape rouge vermillon que ces cuissardes l'ont transporté pour son ultime représentation, lui l'incarnation du talent et de la grâce.

Il fut avec Jean Vilar, les grandes heures du TNP. Quel dommage que Jean Vilar n'ai jamais souhaité que soient filmées les pièces de théâtre interprétées au festival d'Avignon ! Ce sont ces grands instants où Gérard Philipe donnait toute sa force, toute son incandescente beauté, toute sa capacité à incarner aussi bien la Tragédie que la Récréation. Il fut, pour moi, le Cid, Lorenzaccio, Ruy Blas, Fanfan La Tulipe, et le film qui m'a marquée, Les Orgueilleux avec Michèle Morgan.

Revenons au livre écrit par son gendre posthume si je peux m'exprimer ainsi.

L'auteur est l'époux d'Anne-Marie Philipe, fille de Gérard Philipe et de son épouse Anne. Anne-Marie avait cinq ans au décès de son père, et son frère Olivier, trois ans. Il semble évident que le mythe a rejailli sur l'ensemble de la famille. Difficile pour l'auteur de ne pas rendre hommage à ce sublime acteur.

Jérôme Garcin, relate, avec pudeur, sans rajouter du mélo au drame, à la manière d'un journal intime, les trois derniers mois de la tragédie qui va se jouer sous nos yeux, des vacances aoutiennes de Ramatuelle jusqu'à ce fatidique 25 novembre 1959.

A la suite de douleurs abdominales violentes, Gérard consulte le professeur François Gaudart d'Allaines. le diagnostic envisage un abcès amibien du foie. Une intervention est envisagée à la clinique Violet. Seulement voilà, le couperet tombe, on ouvre et on referme, cancer du foie foudroyant. L'équipe de médecins demande à voir Anne toute seule et c'est toute seule qu'Anne affrontera la nouvelle. Anéantie, elle cachera la vérité à Gérard.

Jérôme Garcin sait parfaitement décrire les émotions, les sentiments auxquels Anne doit faire face. Son désespoir, sa colère, son chagrin, devant la cruauté du destin, et toutes les pensées qui viennent l'assaillir. Ses deux jeunes enfants ne grandiront pas dans les yeux de leur père. le mythe est avant tout un père et un fils ! Et l'on assiste, les larmes aux yeux, mois après mois, semaine après semaine, au courage d'Anne qui fait face à son mensonge, à sa conscience mais Anne reste avant tout le pilier de son artiste de mari. Gérard ainsi protégé peut se consacrer aux projets qui le stimulent, aux textes qu'ils se préparent à interpréter comme Edmond Dantès ou Hamlet.

L'auteur aborde avec beaucoup d'humanité ces derniers jours. Il évoque aussi l'artiste engagé et l'homme qui malgré le succès, est toujours resté d'une grande humilité.

J'ai eu aussi plaisir à lire tous les passages évoqués sur les grandes tragédies grecques, que de souvenirs ! J'imagine que pour nombre de jeunes lectrices et lecteurs, l'histoire de Gérard Philipe est terriblement abstraite et fait partie de la préhistoire !!! Mais pour moi, ce fut un afflux de souvenirs, de tendresse, de poésie et de larmes !

C'est une plume extrêmement sensible que celle de Jérôme Garcin et j'ai bien l'intention de m'intéresser à sa bibliographie.

Je termine par la tirade de Perdican dans « On ne badine pas avec l'amourDe Musset » et je vais vous faire une confidence, j'ai toujours souhaité que cette tirade soit mon épitaphe :

« J'ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j'ai aimé. C'est moi qui ai vécu et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui ».


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le roman nous livre les derniers mois de la vie de Gérard Philipe depuis le mois d'août 1959 jusqu'au 25 novembre de la même année, jour de sa mort.
Le récit commence en plein été à Ramatuelle. le comédien passe des vacances très actives à retaper sa maison, à jouer avec ses enfants, à vivre un peu avec sa femme, Anne loin de la vie parisienne.
Pour la première fois, il souffre de la chaleur, ressent des douleurs dans le bas-ventre mais la vie continue. Mille projets se dessinent devant lui dont le film de Montecristo, une pièce de Hamlet sur la scène du théâtre Jean Vilar et bien d'autres.
Rentré à Paris, il doit se faire opérer d'un abcès au foie . Un abcès que les médecins déclarent ne pas être grave mais c'est en ouvrant pour l'opérer qu'ils découvriront les dégâts causés par une tumeur inguérissable au foie.
Gérard Philipe décèdera quelques semaines plus tard, le 25 novembre persuadé que sa convalescence va être longue. Il est serein et relit les tragédies grecques. C'est aussi un grand amateur de Corneille et c'est dans son costume du Cid qu'il sera enseveli. Il l'a joué 150 fois.
En mourant, il laisse sa femme, Anne Philipe qui nous a livré "Le temps d'un soupir" que j'ai lu au lycée. Il laisse aussi deux très jeunes enfants : Anne-Marie et Olivier.
Son gendre, le bien connu Jérôme Garcin que j'avais lu dans "Le voyant" ,raconte ces derniers mois ainsi que les origines de l'acteur.
Il nous livre un récit excessivement bien écrit, je me suis surprise à relire des passages deux fois. C'est étonnamment vivant alors qu'il nous parle des derniers mois d'un homme, le père de sa femme.
Il rend hommage à ce jeune homme emporté par la maladie à 37 ans sans exagérer sur ses qualités ni sur ses défauts.
J'ai trouvé qu'il faisait là un beau cadeau à sa femme Anne-Marie.
En tant que personne de plus de soixante ans, j'ai connu la voix de Gérard Philipe me racontant "Le petit Prince" dans une version simplifiée. C'était merveilleux. Quelle ne fut pas ma déception à mon entrée au collège, à 12 ans, quand j'ai dû lire le livre en version intégrale. Je me suis réconciliée
avec le récit depuis.
Et puis, j'avais regardé "Fanfan la Tulipe" avec mes parents.
En vacances chaque année à Grimaud, mes parents et leurs amis avaient absolument voulu aller sur sa tombe à Ramatuelle. J'étais toute petite et j'avais été très impressionnée. J'avais l'impression qu'on voyait sous les pierres à peines posées. J'avais 4 ans en été 1960. J'ai gardé l'image flash de cette visite et ressenti l'émotion de mes parents qui avaient eu l'occasion de le voir jouer dans la pièce "Les caprices de Marianne" d'Alfred de Musset.
Un très beau témoignage de Jérôme Garcin que j'ai tardé à lire alors qu'il était dans ma PAL depuis sa sortie.
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Jérôme garcin qui a épousé Anne Marie la fille de Gérard Philipe, nous raconte en deux cents huit pages. les Six dernier mois, de celui qui fut le plus élégant, fin,
subtil, séduisant, humble, intelligent, éblouissant acteur de sa génération. c'était il y a soixante ans, que Gérard Philipe nous quitter il avait 36 ans.
tout ses films était un événement, du rouge et le noir a monsieur ripois en passant par le diable au corps, les liaisons dangereuses ou l, inoubliable fanfan la tulipe.
atteint d'un cancer incurable. sa femme n'a rien voulu lui dire, sans avoir recours au pathos ou a l, apitoiement. le livre reconstruit ses six derniers mois.
le temps qui passe, mais aussi les tournants dans la vie culturelle ont peut être fait oublier ce que fut Gérard Philipe son role majeur, sa vie exemplaire, la résistance, le soutien loyal a un père qui lui avait pris un mauvais chemin.
le festival d, Avignon aurait pu lui rendre un hommage, mais heureusement qu'il y avait l, amour du public.tout âgés confondu. la rentrée littéraire est foisonnante pour les babelofiles et on sait pas des fois ce qu'il faut choisir. mais pour le dernier hiver du cid , je n, hésite pas du tout. lisez le, c'est passionnant.💞
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Dans la cité papale, Gérard Philippe, restera, à jamais, une icône . Une de mes collègues plus âgée , qui avait participé avec délectation à un colloque dans le verger d'Urbain V, avait affiché dans son bureau une photo dédicacée ,silhouette racée, portant chemise immaculée avec jabot, celle du Prince de Hombourg.
J'ai croisé récemment Gérard Philippe dans l'autobiographie de Maria Casarès, ami fidèle , amant généreux, je le rencontre à nouveau dans cette biographie.
Jérôme Garcin met en scène une tragédie  grecque avec les règles d'une pièce classique : unité de temps, de lieu, d'action.
- le temps : une courte saison qui va de la fin de l'été au début de l'hiver 59,
- le lieu  où se déroule l'essentiel du drame : une chambre , tour à tour, celle de la clinique Violet, celle de son appartement rue de Tournon , dans le 6ème à Paris,
-l'action : l'emprise inexorable de la mort qui va terrasser un homme jeune, talentueux.

Gérard Philippe fut pour Camus un empereur innocent, ténébreux, romantique, il contribua au succès de Caligula . Destin dramatique pour l'un comme pour l'autre, Albert Camus, disparaîtra le 4 janvier 1960 , juste un petit mois après…

Récit émouvant, un bel hommage singulier .
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Le dernier hiver du Cid est le récit des derniers jours de Gérard Philippe, les quelques jours avant son opération prévue le 9 novembre 1959, qu'il croit être celle d'un abcès et qui se révèlera être un cancer du foie. Avertie du pronostic des médecins qui ne donnent qu'entre un et six mois de survie à l'acteur, sa femme Anne décide et demande au corps médical qui accepte, de taire le diagnostic à Gérard Philipe. Ce dernier, de retour chez lui, reprend frénétiquement la lecture de pièces qu'il pense répéter une fois sur pied, l'annotation de livres qui lui tiennent à coeur, reçoit de rares visiteurs ignorant la gravité de l'état de santé de l'acteur, alors au sommet de sa carrière. le destin ne laissera qu'une dizaine de jours à l'acteur qui décèdera le 26 novembre d'une embolie foudroyante...

Jérôme Garcin, époux d'Anne-Marie, la fille de Gérard Philippe - qui n'a que cinq au décès de son père - relate les derniers jours du Cid, le rôle emblématique de Gérard Philippe, dans le costume duquel il sera inhumé, en retraçant la fulgurante carrière d'un comédien, d'abord cantonné à des rôles de jeune premier dans des pièces de boulevard mais qui, poussé par son professeur Georges le Roy, par Jean Vilar qui crée le TNP, Théâtre national populaire et sous l'influence de sa femme Anne qui lui insuffle la confiance en lui, vers des rôles exigeants qui lui faisaient peur mais qui vont le propulser dans l'art dramatique. Tant au théâtre avec le Cid, le Prince de Hombourg, Lorenzaccio, Richard II qu'au cinéma, avec Fanfan la Tulipe, Julien Sorel, il joue sous la direction des plus grands Jean Vilar, Max Ophuls, Claude Autant-Lara, Yves Allegret, René Clair. Adulé en tant qu'acteur, il redevient simple en famille et avec ses amis, s'engageant dans des combats politiques notamment et s'impliquant dans le Syndicat Français des Acteurs, où il défend les intermittents.
Avec le dernier hiver du Cid, Jérôme Garcin réussit à évoquer à la fois la carrière de l'acteur mais également l'homme, sa vie aussi fulgurante que sa mort.
Un bel hommage à un acteur qui incarnait la grâce et le talent, une étoile filante.
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Il n'y a pas plus bel hommage que celui qui vient du coeur.
Celui-ci se décline naturel, tendre et pudique.
Il ne se gonfle ni de superlatifs, ni de larmoiements inutiles.
Il est vrai, palpable.
Qu'on ait connu Gérard Philippe ou pas pour les plus jeunes, l'on ne peut qu'être en osmose avec les mots choisis de Jérôme Garcin.

Marié avec « l'Infante », la fille du « Cid », qui, mieux que lui, pouvait nous livrer les derniers jours d'un des mythes du théâtre et du cinéma français.

Soixante ans ont passé.
Il fallait ce livre pour raviver le souvenir d'un comédien particulier, au visage éternellement jeune, à la voix typique.
Voix qui continue à bercer nos oreilles grâce à l'enregistrement du « Petit Prince » et de poèmes dits comme on ne dit plus à présent.
Le comédien est dévoilé : enthousiaste, passionné, d'une ardeur déstabilisante, honnête, engagé, cultivé, plein de projets…
Il n'a pas su la réalité du mal qui le rongeait (nous sommes en 1959), Anne, son épouse, a préféré lui taire la condamnation.
Et cela fait mal de lire cette vie fauchée à 37 ans à peine, une vie qui, sans savoir, bâtissait et rêvait encore et encore.
L'émotion jusqu'aux larmes, la révolte contre l'inéluctable nous étreignent.

L'homme est beau dans ses engagements, dans sa compréhension des autres, dans ses prises de position.
Il est comédien et citoyen lucide.
L'amour des siens et l'amour de la vie éclatent, des forces s'en tirent.
Je cite cette phrase parmi d'autres : …« Nous essaierons d'être élégants si un jour nous sommes malheureux »…
Le choix d'Anne d'enterrer l'homme qu'elle a aimé dans le costume du Cid, rôle emblématique de Gérard Philippe, témoigne de cette élégance.
Tout s'y retrouve, l'homme et le comédien : l'honneur, la grandeur, la beauté.

Dans ce livre, le théâtre est représenté dans toute sa noblesse, dans toute la réalité de son essence : montrer la vie, instruire.
Foin de peopolisation, foin de l'égoïsme mal placé.
Hommage et respect du « maître » Georges le Roy, du « père » Jean Vilar et des auteurs : Molière, Corneille, Euripide
Le chemin emprunté dans la jeunesse et l'élévation au sommet de l'Art constituent un témoignage de la carrière de ce comédien inoubliable.

Le théâtre est l'éphémère.
La musique, la peinture, la littérature demeurent.
L'interprète s'oublie…
Ce livre résonne en nous après l'avoir refermé et donne un peu d'éternité à celui que fut Gérard Philippe.

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Le titre « Le dernier hiver du Cid » préfigure une tragédie.
Après s'être consacré à sa dynastie familiale, Jérôme Garcin centre son exercice d'admiration sur le père de son épouse.
Il ressuscite l'acteur Gérard Philipe, né en décembre 1922, disparu trop tôt (1969), « fauché comme une alouette en plein vol ». Son nom s'est imposé dans les milieux du théâtre et du cinéma. 60 ans plus tard, l'auteur le fait revivre dans un livre dédié à Anne-Marie Philipe, qui n'est autre que « l'infante du Cid », orpheline de père si jeune, une preuve d'amour touchante.

Pour commencer, c'est le portrait d'un homme hyperactif qui est brossé. Un père , papa poule, « aimant, radieux, opiniâtre, et utile », qui se partage entre les jeux de plage avec ses jeunes enfants et son travail d'entretien de la propriété de Ramatuelle.
Sa femme Anne pressent que la fatigue qui saisit son mari dès son lever n'est pas normale. Et constate que sa résistance n'est plus celle « d'une fibre de sisal », affaibli qu'est l'acteur par ses douleurs. Elle s'en alarme et en vient à canaliser l'énergie d'Anne-Marie (4 ans 1/2) et Olivier (3 ans) pour assurer un havre de tranquillité à leur papa. En août 1969, se sentant malade, il souhaiterait avoir la visite de « son jumeau de coeur », Georges Perros, (à qui il a offert l'hospitalité quelque temps) afin de se confier. Mais celui-ci décline l'invitation.

On suit donc, tout d'abord, le quotidien de la famille, l'été 1959, en vacances dans le Var, à La Rouillière, « ferme perdue en pleine campagne », offerte par les parents d'Anne pour son mariage, bâtisse qui nécessite de nombreux travaux.
La vedette adulée des photographes s'en absente pour participer à Paris à la promotion des « Liaisons dangereuses ».

Puis, les vacances finies, la petite troupe fait une halte dans la résidence secondaire de Cergy. Maison aux allures de château dotée d'un grand parc, entretenu par le jardinier Brunet, où les enfants s'ébaudissent. Elle jouit d'une situation idéale et permet au «  Fregoli » de rentrer y dormir après une représentation et à Claude Roy d'y trouver son inspiration.
C'est un homme fuyant les mondanités, les ors que Jérôme Garcin dépeint, investi dans la réfection de la « bâtisse bancroche ». Il trompe son épuisement en allant applaudir « le géant » Laurence Olivier à Stratford, siège de la Royal Shakespeare Company et en revient avec le désir d'incarner Hamlet.

Dernière migration en octobre pour rejoindre leur appartement de la rue de Tournon.
La personnalité de son épouse Anne, ethnologue, se dessine : « conseillère, pygmalion », elle se montre exigeante dans les choix de sa carrière.
On est témoin de l'amitié indéfectible qui va lier Gérard au médecin obstétricien Pierre Velay, à qui il osera se confier sur sa maladie. Quand il est admis dans la clinique Violet, impossible de passer incognito.
Bien qu'hospitalisé, il nourrit de multiples projets pour enrichir son répertoire déjà impressionnant, s'intéressant aux tragédies grecques.
L'émotion saisit le lecteur face au malade affaibli après l'intervention subie. Mais le choc, c'est le diagnostic du médecin et la décision de l'épouse de cacher la vérité.
On perçoit le maelstrom qui l'étreint face à l'annonce implacable.

Émotion encore de voir ce chirurgien, confronté à son impuissance de sauver « le jeune dieu », qu'il admire tant au point de ne manquer aucune de ses pièces.
Anne, 42 ans, veille sur lui, le soutient, lui fait entrevoir son retour Rue de Tournon.
Pour tenir moralement, elle convoque leurs jours heureux, « leur vie nomade et joyeuse, au gré des tournées molièresques du TNP ». Elle se remémore leur promesse, enlacés, par une nuit de neige : «Nous essaierons d'être élégants si un jour nous somme malheureux ».


Les retrouvailles joyeuses avec ses « petits amours » le font revivre. Bientôt 37 ans,
«il est heureux comme un rescapé », lui qui « était un homme pressé, insatiable, vibrionnant », constamment adulé, consent à prendre un peu de repos, avec le projet d'un séjour à la montagne avec sa chère famille.
Le dévouement dont fait preuve Anne qui doit aussi gérer le quotidien, conduire « les bouts de chou » à l'école, force l'admiration.
Le clap de fin, le 25 novembre 1959 fait tomber un rideau, non pas rouge, mais noir.

La triste nouvelle fait affluer les paparazzi (notoriété oblige) et aussi poindre les larmes du lecteur. Les télégrammes affluent, on pleure l'idole. Une pléiade d'intellectuels et d'artistes vient s'incliner devant « le comédien héroïque », mais aussi devant l'homme de gauche, que l'on prenait pour un communiste, même si ce n'était pas tout à fait le cas.
Anne, très digne, l'accompagnera pour son dernier voyage à Ramatuelle. Elle sait que désormais, elle devra « l'aimer à l'imparfait ». Sobres funérailles.

Le passé peu glorieux du père de l'acteur , pendant la guerre, est évoqué, son exil à Barcelone. C'est un homme fier du succès de son fils, qui collectionne les articles de presse. On découvre que Gérard était engagé dans les FFI, et qu'il a participé, en août 44, « aux combats de la libération de Paris ». Rappelons qu'il a crée le SFA, «  le syndicat français des acteurs ». Engagé aussi il l'est dans sa volonté d'être payé comme les autres, et comme Jean Vilar qu'il admire tant, il est fier « d'offrir les grands textes à ceux qui n'y avaient pas accès ».

Un portrait choral de Gérard se décline comme un puzzle sous multiples facettes.
Sa mère évoque l'enfance du « garçon sage, précoce, studieux », à Cannes.
Son épouse Anne a aimé un homme sensuel « à la peau douce, aux doigts longs et fins, à la fossette mutine au menton, à la voix acidulée du Petit Prince».
Pour son chirurgien , il incarne le comédien «au port aristocratique, l'inexplicable alliage de panache et de candeur ». Quant aux réponses au questionnaire de Proust, elles brossent une sorte d'autoportrait.
Le plus poignant, c'est la lettre d'adieu de Georges Perros à cet « élève si singulier qui broutait un texte avec frénésie, fantaisie » et « une diction consonante ».
Un autre de ses professeurs le pleure en silence , Georges le Roy : il avait vu en «  ce jeune fauve, un génie, un prodige de grande race ».
On est admiratif devant l'ampleur de son répertoire, de sa filmographie et devant sa capacité à mémoriser autant de rôles.

Les noms des grands théâtres défilent : Chaillot, Hébertot, l'Odéon, Récamier, la Comédie -Française… et même celui de la Shakespeare Company.
Le narrateur met en exergue le métier de comédien , qui permet «de traverser au galop les siècles et les pays, de porter un jour la cuirasse, un autre la soutane, de défier les puissants, de se donner de nouvelles mères, de nouveaux pères, d'être polygame, de se cacher sous de multiples masques... ».


En filigrane, Jérôme Garcin donne un aperçu de l'époque : le train de nuit existait ! La crise sévit en mai 1958. Parmi les objets : étaient à la mode le radio réveil Bayard, le transistor portatif Optalix. Il note l'engouement des femmes pour le fuseau. Malraux est nommé Ministre de la culture. De Gaulle promulgue la réconciliation franco-allemande.

(On est sensible à la leçon de vie et de courage que donnent le patient et l'accompagnant, face à leur solitude dans cette épreuve .)

Par ce récit intime et mémoriel, Jérôme Garcin rend immortel Gérard Philippe et nous incite à lire les pièces, à voir les films dans lesquels il a participé. L'auteur signe un témoignage puissant et bouleversant en retraçant son dernier hiver. En même temps, il livre un double portrait dithyrambique de l'homme (père, époux) et de l'acteur, « cet Ange, d'une beauté séraphique, à la démarche aérienne », qui avait atteint la stature d'une « rock-star » internationale. Un hommage qui touchera la génération de ceux que Gérard Philipe a fait vibrer et une biographie qui fera découvrir cette étoile aux plus jeunes. Écrire, n'est-ce pas prolonger la vie des disparus? Et quelle élégance de style ! C'est la gorge nouée que l'on s'éloigne du « Cid », à pas feutrés.

NB : Disponible en livre audio lu par Anne-Marie Philipe, collection Écoutez lire.
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*** 25 novembre1959 : le Cid en pourpoint bleu horizon, recouvert d'une cuirasse " bleu nuit" à parements dorés avec sa cape rouge et ses cuissardes vient de tirer sa dernière révérence !
Jerôme Garcin, raconte avec pudeur, délicatesse et émotion les derniers mois puis les derniers jours de son beau père, tandis qu'Anne Marie en audio lit la vie de son papa : cet acteur au port aristocratique, à la beauté séraphine, ce jeune fauve élégant et génial que fut Gérard Philipe !
Ce père qui s'amusait avec ses enfants pendant les vacances à Ramatuelle, les amenait se baigner à la plage de Pampelone," retapait" la Rouillière , cette maison de campagne héritée de sa femme. Là, à l'abri des photographes, des journalistes, des importuns, Anne et lui vivaient heureux le temps d'un été.
Il avait, certes des douleurs abdominales, un peu plus de fatigue que les autres années mais c'était un homme stoïque, et il se raisonnait. Il rêvait de rôles nouveaux avec son mentor Jean Vilar et le TNP, il attendait la visite de son ami de toujours : Georges Perros qui déclinât son invitation à cause de ses dettes et du climat méditerranéen trop chaud pour lui.
C'est déja la rentrée des classes, avec Anne Marie et Olivier : il faut aller faire un petit séjour à Cergy, s'amuser encore un peu au bord de l'Oise ou dans le grand parc. Gérard profite pour aller voir Laurence Olivier à Stratford dans Hamlet, et il rêve de le jouer, mais aussi d'être Dantès dans le Comte de Monte Cristo !
Retour définitif à Paris, rue de Tournon près du Luxembourg, il a maigri, il est fatigué et les calmants ne suffisent plus..c'est son ami le Professeur d'Allaines qui le conseille d'aller consulter à la clinique Violet : une opération s'impose car il y a une suspicion d'amibe du foie, il entrera sous un faux nom pour éviter les fuites, et là avec stupéfaction : les chirurgiens découvrent un cancer foudroyant ! Anne est bouleversée mais va surmonter sa peine en décidant de ne point lui en parler et, courageuse elle va jusqu'à la fin lui jouer la comédie, vivre comme si tout était redevenu normal !
A partir de ce moment, de retour à l'appartement : les jours seront comptés, les amis rares mais Minou la mère de Gérard a des soupçons, Marcel le père vit en Espagne car il est interdit de territoire suite à sa condamnation d'il y a 14 ans pour intelligence avec l'ennemi ( faciste et nazi), Gérard s'occupe de la SFA qu'il avait fondé, envisage ses prochains rôles, les scènes théâtrales ou il a joué avec passion et fougue ( Chaillot/Avignon...),les pays qui l'ont acclamé et, dans des moments de repos imposés par sa " convalescence " il se remémore son mariage en 1951 avec Anne qui s'appelait Nicole Fourcade, les enfants, son passé dans les FFI, la libération de Paris en 44, sa visite chez Fidel Castro, ses prises de positions militantes et son enfance à Cannes avec son frère !
Mais, le 25 novembre alors qu'Anne a amené les enfants chez le Père Castor, il est terrassé par une embolie....
Dés l'annonce de sa mort, la foule, les amis, les journalistes, les photographes, les " fans " vont graviter rue de Tournon, et, même quand il sera enterré à Ramatuelle, les villageois se bousculeront pour voir le cercueil du Prince de Hombourg, De Valmont, de Lorenzaccio, de Julien Sorel, de Fanfan la tulipe et.... du Cid qui a éclairé nos classiques ! Adieu, l'artiste : cela fait plus de 60 ans que tu es parti rejoindre les étoiles !
L.C thématique de décembre 2021 : l'hiver.
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Je suis entièrement d'accord avec Jérôme Garcin sur ce qu'il appelle l'amnésie de ce pays. le fait qu'il n'y a pas eu d'hommage au Festival d'Avignon pour le 60ème anniversaire de la mort de Gérard Philipe est un vrai scandale. Pourtant il l'a incarné, il l'a porté et pour moi en est encore le visage. Ce visage d'ange qui joua avec modernité et humanité Rodrigue dans le Cid de Pierre Corneille dont il endossa le costume jusque dans sa tombe, comme l'a souhaité sa femme Anne.
Gérard Philipe a marqué l'après-guerre par sa beauté irradiante et son engagement. C'est ce que montre Jérôme Garcin dans "Le dernier hiver du Cid" évoquant les derniers mois de l'acteur mort d'un cancer du foie à 36 ans, le 25 novembre 1959. C'était un homme engagé à gauche dont le père spirituel était Jean Vilar avec qui il a partagé l'aventure du TNP, le théâtre national populaire. Il lui proposera des rôles qui prouvent qu'il est un grand acteur de tragédie à la diction parfaite et une figure morale du théâtre ouvert au plus grand nombre.
Entre Ramatuelle, la clinique Violet et l'appartement de la rue de Tournon à Paris, Jérôme Garcin raconte une nouvelle fois, avec brio, une vie brève et pleine.
Personnellement, je suis admirative du parcours de Gérard Philipe. J'ai été séduite toute petite avec Fanfan la tulipe, film culte dans lequel excelle le jeune homme que je n'oublierai jamais.


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J'ai encore dans l'oreille le son de la voix de l'acteur dans le récit audio du Petit Prince que j'écoutais en boucle, enfant.
Et en mémoire, l'image glacée d'un petit livre classique Hatier avec la photo du Cid, incarné par l'acteur, au regard enfantin.
Un acteur disparu dont le nom brille encore en dépit des années.
J'ai donc saisi ce livre et découvert ainsi...ses derniers instants, décrits avec beaucoup de sensibilité et élégance.
Et les évocations de sa vie, riche en spectacles, ses doutes mais aussi son dévouement vis à vis de la profession; son engagement inébranlable dans la création d'un syndicat.
La programmation d'un documentaire sur France 5 très récemment, plutôt fidèle à ce récit, et illustré des photos de famille confiées par la fille de l'acteur a complété cette belle évocation.
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