"A sa sortie, en 1986, "
Sphinx" révéla une jeune romancière qui étonnait par la maturité de son style et les commentaires unanimes louaient la réussite d'un roman audacieux, étrange et parfaitement bien mené. Notre auteure connaissait son affaire, soit, mais il fallait surtout s'arrêter sur l'originalité du livre, sur ce qui provoque encore aujourd'hui l'admiration du lecteur lambda: l'asexuation des deux protagonistes principaux: le narrateur et A***, vivant un amour passionné et tragique, sont à jamais des personnages ambigüs par la force des choses. Une histoire d'amour dont les protagonistes gardent une telle part de mystère, voilà qui excite une légitime curiosité. Alors vint le temps des devinettes, vaine tentative pour trouver un indice, un seul, qui permette de résoudre l'énigme posée par "
Sphinx". Vaines tentatives parce que seul Oedipe, permettez l'allusion, est en droit de réclamer son dû en la matière. Mais le mystère sied mal au genre humain, et la glose de se développer sur l'identité sexuelle présumée, entrevue, imaginée. On vit alors le narrateur attaqué de toutes parts et, cerné, être condamné sans jugement à l'assimilation à l'auteure. Car après tout, il avait le même âge (23 ans à l'époque) et de -supposés- points communs, n'est-ce pas? Ce qui ne résolvait en rien la question, mais est assez logique puisqu'elle ne se posait pas en ces termes.
Le petit jeu oulipien sur l'ambiguïté sexuelle des personnages a beau être passionnant à lire et à décrire, on ne saurait sans faire insulte à Anne Garréta réduire son oeuvre à cette caractéristique. Elle n'en est qu'un aspect, central car récurrent, qui pourrait seulement amuser s'il ne renfermait pas un projet qui se cherche toujours, s'élabore en permanence, mais qui frappe par son courage et sa témérité.
Ce qui fait surtout l'originalité de "
Sphinx", c'est un style brillant et envoûtant, peu enclin pourtant, sinon pour s'en moquer, aux envolées lyriques (et d'ironie, le narrateur ne manque pas; s'il qualifie bien sa passion de "romantique", c'est pour la dénigrer aussitôt). Un style mature et travaillé, au vocabulaire riche qui ne craint pas d'en référer aux grands maîtres, comme on n'en trouve plus guère sur le marché de la littérature contemporaine. L'heure est en effet aux petits effets de manche, le style n'est plus une valeur en hausse. Mais en littérature comme à la ville, il n'est pas dans l'habitude d'Anne Garréta de se soucier des convenances et des "modes" parisianistes: le politically correct n'affleure jamais sous la plume. Il nous semble pourtant que si le style porte un livre, et c'est le cas ici, il est un atout majeur qui donne consistance au projet d'ensemble. Reprocher à Anne Garréta d'écrire des 'romans de normalienne', c'est oublier qu'il y a résolument, derrière la forme, du fond, et vice versa. "
Sphinx" n'est pas un exercice de style purement jubilatoire, un amuse-gueule littéraire, mais un livre qui raconte une histoire sur un mode narratif classique, enlevé et original. C'est cette histoire que nous nous proposons d'analyser ici, en tentant une explication de texte brève et centrée sur les thèmes propres à l'oeuvre. [...] "
Eva Domeneghini
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