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Angélica Gorodischer est une autrice argentine dont le recueil « Kalpa impérial » a été édité il y a peu par les éditions La Volte. Dans la mesure où il est plutôt rare de pouvoir avoir un aperçu de la littérature produite ailleurs qu'aux États-Unis ou en Europe, c'est avec curiosité que je me suis plongée dans la lecture de cet ouvrage par ailleurs récompensé récemment par le festival des Imaginales dans la catégorie roman étranger. Composé de onze nouvelles, le recueil met en scène un Empire, « le plus vaste et le plus ancien que l'homme ait connu », dont chaque texte nous relate un moment déterminant. Impossible toutefois de définir une chronologie ou une géographie précise : l'Empire semble avoir toujours existé et les dynasties qui se succèdent à sa tête sont tellement nombreuses qu'il est inutile de chercher à établir dans quel ordre elles se sont succédées. C'est ce flou volontairement entretenu par l'auteur qui donne justement tout son charme à l'univers de l'auteur dont chaque récit s'apparente à une fable tour à tour cruelle ou poétique consacrée au destin d'un empereur, d'une impératrice, ou encore d'une ville toute entière. Dans « Portrait de l'empereur », nouvelle chargée d'ouvrir le recueil, l'autrice relate ainsi la chute et la renaissance de l'empire grâce à la seule volonté d'un enfant curieux et désobéissant. Dans « Au sujet des villes qui poussent à la diable », c'est l'histoire d'une cité qui nous est contée au fil des siècles, d'abord simple repaire de bandits, puis ville d'art avant de devenir lieu de culte, puis ville thermale, puis capitale d'empire, et enfin cité en ruine totalement désertée de ses habitants. Sans doute l'un des plus beau texte du recueil qui en compte pourtant beaucoup du même acabit.

Cette volonté de l'autrice de relater des histoires s'étalant sur plusieurs siècles donne parfois l'impression d'avoir affaire à des chroniques historiques (un peu à la manière de la « Dynastie des Dents-de-lion » de Ken Liu) : les événements se succèdent à une vitesse folle de même que les personnages qui viennent et repartent tellement souvent qu'on en vient à considérer que le véritable protagoniste de l'histoire n'est autre que l'Empire lui-même. Les différentes nouvelles mettent pourtant en scène des personnages haut en couleur. Il y a par exemple l'impératrice Sesdimillia, roturière devenue dirigeante sage et combative menant elle-même ses armées au combat (« Portrait d'une impératrice »). Il y a aussi l'empereur sans nom, qui s'empara du pouvoir par la force et devint fou au point de se terrer dans ses appartements où il continua pendant des années à gouverner sans que plus personne n'ait posé les yeux sur lui (« Les deux mains »). Il y a enfin le jeune Chat, étrange garçon venu intégrer le voyage d'une caravane dont les voyageurs ne sont pas tous ce qu'ils semblent être (« La vieille route de l'encens »). Les narrateurs sont eux aussi très nombreux et leur diversité contribue à entretenir cette impression de chroniques historiques, qu'ils soient conteur de contes (le plus fréquent) ou archiviste, femme de chambre ou officier. L'écriture est belle et poétique et contribue beaucoup à instaurer cette ambiance un peu hors du temps que dégage toutes les nouvelles et qui nous incite à les associer à des contes ou des fables. Difficile d'ailleurs d'identifier une seule et unique influence sur laquelle se serait appuyée l'auteur pour son décor tant celle-ci emprunte au contraire à de multiples cultures, époques et civilisations. Certains lecteurs pourront toutefois être agacés par quelques tics d'écriture de l'autrice qui multiplie par exemple fréquemment les phrases à rallonge ou les énumérations.

Le surnaturel est quant à lui très peu présent et, par cet aspect, la démarche d'Angélica Gorodischer se rapproche davantage de celles d'auteurs comme Guy Gavriel Kay. La seule nouvelle dans laquelle on peut véritablement déceler une légère touche de surnaturel reste sans doute « Premières armes » qui met en scène un marchand de curiosité et l'un des clou de sa collection : un garçon dont la danse hypnotise ses spectateurs et les plonge dans un état de transe puissante mais dangereuse sur le long terme. Les thématiques abordées tournent quant à elles majoritairement autour de la notion de pouvoir (qu'est ce qui fait un bon ou un mauvais dirigeant ? Quelle influence exerce le pouvoir sur les esprits ? …). Les nouvelles mettent ainsi principalement en scène des individus issus des classes dirigeantes, tandis que ceux issus du peuple ne sont là que pour servir de révélateurs à un personnage bien né (« La fin d'une dynastie » ; « L'étang ») ou pour témoigner de la possibilité d'une ascension sociale fulgurante. C'est le cas dans « Portrait d'une impératrice » qui relate le destin hors du commun d'une jeune fille née tout en bas de l'échelle sociale et qui parviendra à gravir les échelons du pouvoir par son ingéniosité et son intelligence. Mais aussi dans « Siège, bataille et victoire de Selimmagud », un court texte qui relate le rôle joué dans un événement militaire de grande envergure par un simple voleur qu'un malheureux concours de circonstances va amener à côtoyer le plus grand général de l'empire. La question de la transmission et de la mémoire est également centrale dans de nombreuses nouvelles. Dans « La fin d'une dynastie, ou l'histoire naturelle des furets », un jeune empereur se lit d'amitié avec deux hommes étranges qui vont lui faire découvrir une toute nouvelle facette de son père, le précédent empereur qui fait l'objet à la cour d'une détestation unanime.
« Kalpa impérial » est un recueil à part dans le paysage des littératures de l'imaginaire et dont les nouvelles prennent des allures de contes, dressant le portrait de personnages ou de villes au destin extraordinaire qu'on prend énormément de plaisir à découvrir. Un bel aperçu de ce que peut produire la littérature sud-américaine en matière de fantasy.
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Kalpa Impérial est l'oeuvre d'Angélica Gorodischer, autrice argentine de talent et de renom traduite de part le monde et notamment en anglais par la grande Ursula K. le Guin, pour vous situer l'importance du personnage. En France, ce sont les Éditions La Volte et le traducteur Mathias de Breyne qui se sont enfin emparés du projet et ont publié l'ouvrage en 2017, soit 34 ans après sa première publication. C'est peu dire que j'en attendais beaucoup quand on me l'a (quasiment) glissé dans les mains aux Imaginales 2018 alors qu'il venait d'obtenir le prix de la meilleure nouvelle, en me disant qu'il fallait impérativement que je me le procure.

Je l'ai débuté rapidement et, pour moi, Kalpa Impérial est devenu de ces oeuvres qui nous accompagnent non sur quelques jours, le temps d'une lecture passionnée (ou non) mais sur quelques mois. Cet ouvrage est la somme de récits qui composent une partie de l'histoire de ce fameux Empire et chacun de ces récits mérite de mûrir et grandir pleinement en soi avant de passer au suivant. Chaque histoire de l'Empire est, à mes yeux, trop entière et complète et unique pour qu'à peine la tête hors de l'eau je ne replonge et ne dévore la suite. Ainsi, Kalpa Impérial a ponctué ma fin de printemps et mon été, il m'accompagne, posé sur ma table de nuit et je dois avouer ne pas avoir franchement envie de le terminer. Car oui, je l'avoue, je le critique alors que j'en suis à la 171ème page (sur 246) et qu'il me reste encore 3 récits (sur 11) à découvrir.
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Comme les Chroniques martiennes de Bradbury, Demain les chiens de Simak ou les Récits apocryphes de Čapek, Kalpa impérial est un roman composé de plusieurs nouvelles qui, ensemble, forment un tout vaste et cohérent. Et comme pour ces exemples, on reste dans le thème de la chronique historique. L'empire dont parle Angélica Gorodischer est vaste, colossal. Il s'étire à travers les continents et les millénaires. On suit essentiellement les pas des hommes et des femmes de pouvoir, des empereurs et des impératrices, des conspirateurs et des imposteurs. Certains sont bons, d'autres mauvais, et la plupart moyens.

Angélica Gorodischer maitrise sa narration, clairement. Elle étoffe ses personnages avec une vitesse surprenante, les rendant attachants ou détestables en quelques pages. Elle explore les souterrains de la puissance, où les ambitieux peuvent faire de meilleurs chefs que les bienveillants, où les plaisirs les plus primaires de quelques individus décident de la destinées de contrées entières, où se débattent quelques êtres bons rendus fous par leur position de dieu vivant. Cette valse historique est profondément imprégnée de l'atmosphère des récits qu'on récite au coin du feu à un auditoire avide d'entendre les légendes du passé. de nombreux personnages sont des conteurs, des curieux, qui attachent de l'importance à ce qui a existé avant eux, ou a ce que les hommes imaginent avoir existé avant eux.

Le principal défaut de Kalpa impérial, c'est son statut de fantasy. C'est à dire que malgré les milliers d'années qui s'écoulent, rien ne change ni n'évolue vraiment. Une impératrice succède à un empereur, une ville tombe en ruine ou traverse une période dorée, l'empire est en guerre contre le sud, puis en paix, puis en guerre, puis en paix, ainsi à l'infini. Certes, c'est sans doute le propos de l'auteure : les soucis humains sont intemporels, les problèmes que l'on croit importants se noient dans l'immensité de l'histoire, et tout n'est que vent et fumée. Mais quand on atteint la moitié du roman et que l'on réalise ça, c'est décevant. Dans la réalité comme dans les oeuvres citées plus haut, les choses changent. Et souvent elles changent violemment, radicalement. Ici, pas d'évolution politique, religieuse, philosophique ou scientifique. le monde s'agite, mais reste le même. On s'y bat pour le pouvoir, pas pour des idées. Cela n'enlève pas à Angélica Gorodischer son très réel talent de conteuse, mais la portée de son roman en est limitée.

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Kalpa Impérial dispose d'une ambiance vraiment particulière. Angélica Gorodischer met en scène un Empire conté de manière orale par des narrateurs, qui mettent en avant les forces et les faiblesses des personnages de l'Empire, mais également d'autres de ses habitants, avec une atmosphère qui se rapproche du mythe et de l'onirisme. Les nouvelles du recueil sont également marquées par une réflexion sur le pouvoir du récit et une certaine dose d'ironie, qui soulignent la vacuité de l'Homme devant la mort et devant le temps.
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Voici une lecture tout à fait inattendue, conseillée par un libraire* lors de l'une de mes descentes en librairie : « Si vous aimez Ursula le Guin, il faut absolument lire Angelica Gorodisher».
Kalpa, c'est un empire au trône d'or, dont on ne connaît pas vraiment la localisation, et que nous allons découvrir au fil des âges, par sauts temporels. Les chapitres décrivent tour à tour des règnes différents, sans réelle continuité. Chaque empereur, chaque impératrice assume à sa manière le pouvoir qui lui est échu, chaque strate de la société réagit en fonction des contraintes et des décisions des dirigeants en place. Les chapitres sont des petits bijoux ciselés, qui peuvent se lire indépendamment les uns des autres.
Ce sont des conteurs qui nous relatent, avec leur talent si particulier, les récits successifs décrivant l'évolution de Kalpa au fil du temps.
C'est déstabilisant : en tant que lecteur, on ne se retrouve plus seul avec un livre dans les mains, mais plutôt au coin d'une rue, écoutant sagement au côté d'autres badauds, trépignant parfois aux digressions, toujours incertains de la suite, sans réelle maîtrise ni pouvoir d'anticipation. Piégé. Quel plaisir !

*Et donc en appendice :
1/ Un grand merci aux libraires
2 Vive les librairies.
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Un livre inclassable, déroutant mais fascinant, porté par une très belle écriture, sombre mais non dénuée d'humour. Un imaginaire envoûtant, peut-être un peu hermétique, volontairement flou, puisqu'il s'agit d'évoquer un empire qui n'existe qu'à travers les histoires qu'on raconte sur lui. Un livre paru il y a 35 ans d'une actualité brûlante, car critiquant tous les nationalismes et totalitarismes.
Lien : http://appuyezsurlatouchelec..
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GORODISCHER (Angélica), Kalpa Impérial, [Kalpa Imperial], traduit de l'espagnol (Argentine) par Mathias de Breyne, [s.l.], La Volte, [1983-1984, 2001] 2017, 245 p.


D'AUTRES LANGUES


En France, il n'est le plus souvent guère aisé d'avoir accès aux oeuvres de littérature de l'imaginaire composées dans d'autres langues que le français ou l'anglais. Ça n'est pas totalement inenvisageable, je ne le prétends certainement pas, et l'on peut bien relever, çà et là, telle ou telle traduction, mettons, de l'allemand, de l'espagnol, de l'italien, du russe, ou, en dehors de l'Europe, disons à tout hasard du japonais... À vrai dire, on peut relever à l'occasion des origines plus inattendues – à ceci près, bien sûr, qu'il s'agit d'exceptions qui confirment la règle, ce que l'on souligne inévitablement ; mais, certes, il y a somme toute peu de temps, j'ai pu lire du fantastique arabe (irakien, plus précisément), de la fantasy estonienne, de l'horreur suédoise ou même, attention, de l'anticipation groenlandaise. Et, si je ne l'ai pas (encore ?) lu, on peut relever qu'un prix Hugo chinois, ce n'est quand même pas tous les jours, et que cela pourrait indiquer une évolution bienvenue, à l'échelle mondiale sinon encore française... Oui. Mais c'est tout de même assez limité dans l'ensemble, pour l'heure – outre qu'il faut éventuellement y accoler une certaine ambiguïté tenant à la qualification de genre : ces auteurs ne sont pas forcément publiés dans des collections dédiées à la science-fiction ou à la fantasy, et ce quand bien même leurs oeuvres, prises « objectivement », pourraient parfaitement en relever.


Le cas de l'Argentine est peut-être singulier à cet égard. Au sein des littératures hispanophones, ce pays n'est sans doute pas le plus mal loti, loin de là, et plusieurs grands auteurs qui en sont originaires ont été abondamment traduits en français – parmi eux, un certain nombre se frottant régulièrement à l'imaginaire, mais le plus souvent guère associés à la science-fiction ou à la fantasy ou même au fantastique, et plutôt fédérés sous la bannière du « réalisme magique », le cas échéant : ainsi Jorge Luis Borges bien sûr (que j'ai évoqué sur ce blog à propos de L'Aleph et du Livre de sable), Adolfo Bioy Casares (dont j'avais chroniqué L'Invention de Morel ; compère de Borges, Bioy Casares avait parfois écrit à quatre mains avec ce dernier, comme dans Six Problèmes pour don Isidro Parodi), ou encore Julio Cortázar (que, honte sur moi, je n'ai encore jamais lu…). Des auteurs prestigieux, et bien diffusés en France.


Tous n'ont pas cette chance, et c'est sans doute regrettable – car la littérature argentine recèle probablement bien des merveilles inaccessibles à qui n'est pas hispanophone (comme votre serviteur). En témoigne donc Angélica Gorodischer, née en 1928, une auteure peut-être un peu plus connotée genre que les précités, néanmoins reconnue dans son pays (l'argumentaire de l'éditeur dit qu'elle est là-bas « aussi importante que Borges », mais je ne sais pas ce qu'il faut en penser...), et même au-delà (elle a obtenu plusieurs récompenses internationales, dont le World Fantasy Award en 2011 pour l'ensemble de son oeuvre), mais qui, pour l'heure, était totalement inconnue en France, où seule une de ses nouvelles avait été traduite...


Sans doute fallait-il une « ambassade » pour faire connaître ses écrits en dehors de la seule Argentine, et, par chance, même si c'était bien tardivement, à l'âge de 75 ans, Angélica Gorodischer a bénéficié de l'attention de la meilleure des plénipotentiaires – ni plus ni moins qu'Ursula K. le Guin (de la même génération, elle est née en 1929), l'immense auteure de science-fiction et de fantasy, La Meilleure, qui, je n'en avais pas idée, a aussi été traductrice. En 2003 paraît donc en langue anglaise, et sous ce patronage prestigieux, un étrange volume de fantasy (?), formellement une sorte de fix-up comprenant onze nouvelles, et titré Kalpa Imperial: The Greatest Empire That Never Was, reprenant deux brefs recueils en langue espagnole publiés une vingtaine d'années plus tôt, Kalpa Imperial, libro I : La Casa del poder, et Kalpa Imperial, libro II : El Imperio más vasto (qui avaient déjà été rassemblés en un unique volume en Argentine en 2001). Cette traduction a sans doute largement contribué à faire connaître Angélica Gorodischer au-delà des frontières de son pays natal – et pour le mieux, car il s'agit d'une oeuvre parfaitement brillante, et qui le mérite assurément.


Il n'en a pas moins fallu encore quatorze années d'attente pour qu'Angélica Gorodischer connaisse sa première publication française en volume à son nom, avec ledit recueil, traduit de l'espagnol par Mathias de Breyne (déjà responsable de la seule précédente traduction française de l'auteure, une nouvelle donc dans une anthologie bilingue), aux éditions de la Volte – qui méritent plus que jamais des applaudissements pour cette parution, eh bien... plus que bienvenue : nécessaire.


DES RÉFÉRENCES ?


On est souvent tenté, au contact d'oeuvres relativement méconnues, de jouer le jeu du name-dropping, afin de donner une idée au lecteur de ce qui l'attend, sur un mode superlatif qui n'est toutefois pas sans inconvénients car bien trop souvent réducteur, au risque même de diminuer la singularité de l'auteur que l'on pense honorer en lui accolant tant de noms prestigieux et intimidants.


L'éditeur, certes, ne s'en est pas privé, qui cite pêle-mêle, outre bien sûr des auteurs argentins au premier chef (incluant surtout Jorge Luis Borges et Adolfo Bioy Casares), d'autres références peut-être plus surprenantes : Mervyn Peake, Italo Calvino, et Doris Lessing. le cas de cette dernière est sans doute à part : l'idée, au-delà d'une éventuelle parenté des oeuvres, est probablement de mettre en avant une « grande dame de l'imaginaire », et, à ce compte-là, citer un prix Nobel peut paraître faire sens – surtout dans la mesure où La Volte a publié il y a peu Shikasta ? N'ayant pas encore lu ce dernier livre (mais je compte bien le faire, il serait assurément temps), je ne peux pas juger de la pertinence de cette association. Mervyn Peake, bien sûr pour sa « trilogie de Gormenghast » ? Je suis assez perplexe – guère convaincu, disons-le (à un détail près). Borges et Bioy Casares, cela paraît par contre couler de source, au-delà de la seule origine géographique ; si je ne connais pas assez le second pour me prononcer franchement, ce que j'ai lu du premier, par contre, soutient assez bien l'idée d'une parenté : les nouvelles d'Angélica Gorodischer, avec leur chatoiement, leur attention au style, leur magie narrative et leur subtile étrangeté, pourraient éventuellement côtoyer les Fictions, etc.


La référence à Italo Calvino est cependant peut-être la plus pertinente – même si je suppose qu'il faudrait ici mettre en avant Les Villes invisibles (j'y reviendrai), que je n'ai toujours pas lu, re-honte sur moi… En tout cas, c'est une mention que l'auteure paraît d'une certaine manière revendiquer, elle qui, dans ses remerciements en tête d'ouvrage, cite l'auteur du Baron perché, etc., aux côtés de deux autres, Hans Christian Andersen et J.R.R. Tolkien, « car sans leurs mots galvanisants ce livre n'aurait pas vu le jour ». L'art du conte déployé dans Kalpa Impérial suffit peut-être à justifier la référence à Andersen, que je connais mal, voire pas du tout, mais je trouve particulièrement intéressant qu'elle cite Tolkien – car sa fantasy semble pourtant emprunter des voies plus que divergentes par rapport au « Légendaire » tolkiénien. le philologue oxonien a constitué de manière encyclopédique un univers cohérent couvrant plusieurs ouvrages de taille, riches de références et renvois internes, au fil d'une architecture narrative d'une complexité et d'une précision inouïes, presque maniaques. Mais pas l'auteure argentine, même en affichant au moins la façade d'un univers cohérent parcourant le recueil Kalpa Impérial (mais absent du reste de ses oeuvres, je suppose) : ce sont l'ambiance, le vernis, plus que le détail du fond, qui justifient l'association des nouvelles du recueil – la manière de faire, le style, avec notamment cette mise en avant d'un « narrateur » qui se dit lui-même « conteur de contes », et joue de l'oralité propre à son art de la manipulation. L'Empire est là, mais il est si vaste, dans le temps comme dans l'espace, que, d'un récit à l'autre, les mêmes noms (de personnes, de lieux, etc.) n'ont aucune raison de revenir (il y a au moins une exception, sauf erreur : la Grande Impératrice figurant dans « Portrait de l'Impératrice » est mentionnée, mais juste en passant, dans « La Vieille Route de l'encens » ; mais je crois que c'est tout – je peux certes me tromper), et la continuité a quelque chose de douteux. L'idée de l'Empire, davantage que son caractère concret, et l'art du conte, unissent donc les textes, mais la précision encyclopédique n'est certainement pas de mise.


On pourrait, éventuellement, mentionner d'autres auteurs encore – dont, en fait, Ursula K. le Guin, bien sûr ; je suppose qu'il n'y a rien d'étonnant à ce que la créatrice de l'Ekumen et de Terremer ait été séduite par la fantasy chatoyante autant que subtile d'Angélica Gorodischer ; ce même si la parenté entre les deux auteures n'a rien de frontal ; peut-être, en fait, faudrait-il d'ailleurs chercher plutôt du côté de l'Orsinie ? Et ce même si les Chroniques orsiniennes demeurent à ce jour le seul livre d'Ursula K. le Guin à ne pas du tout m'avoir parlé, pour je ne sais quelle mystérieuse raison…


Et d'autres noms encore, à titre plus personnel ? Oui – cette plume baroque et ce sens du conte, avec un certain humour parfois, peuvent rapprocher Kalpa Impérial de certains récits de Lord Dunsany, je crois. Et je crois aussi, à l'instar du citoyen Charybde 2, que l'on pourrait très légitimement, côté français, rapprocher Kalpa Impérial de certaines des oeuvres des rares mais brillants Yves et Ada Rémy, Les Soldats de la mer, avec cette Fédération qui grandit sans cesse, à la fois conformément à l'histoire et en la défiant, mais aussi le Prophète et le vizir – car ce petit ouvrage joue bien sûr lui aussi de l'art du conte, avec une atmosphère empruntée aux Mille et Une Nuits que l'on peut retrouver dans Kalpa Impérial.

L'EMPIRE LE PLUS VASTE QUI AIT JAMAIS EXISTÉ


L'Empire le plus vaste qui ait jamais existé… C'est ainsi que le conteur le désigne à chaque fois, ou en usant d'une périphrase du même ordre. C'est en fait son caractère déterminant – avec son ancienneté immémoriale.


En fait, l'Empire existe avant tout en tant qu'idée – à supposer qu'il existe, c'est ce qui est à la fois problématique et intéressant avec les idées. Dès lors, ses frontières, temporelles et spatiales, sont nécessairement floues. L'Empire n'est pas, disons donc, la Terre du Milieu de Tolkien, avec ses nombreux chroniqueurs jugés implicitement fiables et ses cartes soigneusement annotées dans un perpétuel souci d'exactitude ; car le récit est ici laissé à des conteurs qui, de leur propre aveu d'une certaine manière, ne sont pas à un mensonge près.


L'origine de l'Empire, dès lors, est particulièrement floue – et cela a un impact non négligeable sur l'ambiance qui lui est associée… et éventuellement, pour qui tient aux étiquettes, sur sa caractérisation dans le registre de la fantasy ou de la science-fiction. Sa technologie a priori plutôt archaïque, même avec des variantes au fil des récits (qui semblent couvrir des millénaires, et passer d'une époque à l'autre sans plus d'explications), fait semble-t-il plutôt pencher la balance du côté de la fantasy, mais, à vrai dire, la magie ou le surnaturel ne sont guère de la partie, et, à bien des égards, il pourrait bien davantage relever d'un imaginaire rationaliste, caractéristique de la science-fiction.


D'ailleurs, s'agit-il d'un monde secondaire, ou de notre monde ? La question se pose, pour qui tient à se la poser, dès la première nouvelle du recueil, « Portrait de l'Empereur », dont le contenu pourrait être d'une certaine manière « post-apocalyptique », au sens où nous y errons dans les ruines d'une société qui fût brillante, et dont pourrait surgir une nouvelle civilisation. À cet égard, l'Empire pourrait évoquer la Terre mourante de Jack Vance, ou le continent de Zothique chez Clark Ashton Smith – mais sans magie, donc.


La question du lien avec notre monde est sans doute d'une pertinence variable – mais il peut être utile de mentionner ici qu'à l'autre bout du recueil, la dernière nouvelle (qui n'est peut-être pas le dernier conte, car c'est le seul récit du recueil à ne pas être introduit par la formule rituelle « le narrateur dit », etc., désignant le « conteur de contes »), la dernière nouvelle donc, « La Vieille Route de l'encens », introduit quant à elle l'idée de ce lien avec un caractère bien plus explicite : le vieux guide y joue en définitive le rôle du conteur, au travers d'une « reprise », en forme de mythe des origines, de l'Iliade et de l'Odyssée… avec pour héros des noms propres clairement dérivés de notre histoire – et pour l'essentiel des stars d'Hollywood ! À vrai dire, c'est une dimension du récit qui m'a un peu décontenancé, et qui me fait le priser beaucoup moins que la plupart de ceux qui précèdent – mais je suppose que ça se discute, et, en tout cas, qu'il y a quelque chose à creuser, ici.


D'autant que cette nouvelle a une autre ambiguïté : elle oppose des individus ne pouvant croire qu'il y ait eu un temps où l'Empire n'existait pas, et rejetant l'hypothèse comme une baliverne, et d'autres qui son prêts à l'envisager… si cela permet une bonne histoire. Or l'idée même de l'Empire est tout à fait problématique au prisme de cette éternité supposée – car cela peut donc être d'éternité que nous parlons, ou peu s'en faut : le recueil ne s'en fait bien sûr jamais écho directement, mais le « Kalpa » figurant dans son titre est en fait une conception propre à notre monde ; c'est une notion issue de l'hindouisme, une unité de temps correspondant à une journée de vie du dieu Brahma… soit 4,32 milliards d'années ! L'Empire aurait donc duré aussi longtemps ? Cela paraît très improbable – mais surtout dans la mesure où nos conceptions historiques et même préhistoriques prohibent l'acceptation d'une telle durée dans le règne humain.


De toute façon, l'idée d'un Empire, qui semble si incontestable aux personnages figurant dans ces contes (dit-on...), est probablement sujette à caution pour le lecteur (et à cet égard pour le ou les conteurs, dont l'art est donc aussi celui du mensonge et de la manipulation). En effet, ce que tous ces récits semblent nous dire, c'est que la continuité de l'Empire est illusoire : tous ces contes ou presque nous parlent de crises, et de brutaux changements dynastiques ; peut-être y a-t-il ici quelque chose (outre la référence argentine, bien sûr, mais j'y reviendrai plus tard) de l'histoire de la Chine, disons, où le Mandat Céleste a toléré bien des ruptures chaotiques tout en maintenant l'esprit de l'unité de l'empire, mais on est ici d'autant plus porté à trouver suspecte cette continuité posée en axiome que les conteurs eux-mêmes semblent, mais avec discrétion (pour ne pas tomber sous le coup de l'accusation de subversion ?), témoigner explicitement de ce que cette histoire n'est qu'un rêve, et peut-être pire (ou mieux ?) : une contrefaçon. Sinon pourquoi parler de cette dynastie des « Trois Cents Rois »… qui n'a en fait connu que douze monarques ? À moins bien sûr que la manipulation soit le fait, non de l'histoire, mais du conteur narquois, assis en face de vous, et que vous payez pour qu'il vous raconte de belles faussetés...


Mais le récit, de manière générale, justifie bien des entorses à la vérité. Alors admettons : l'Empire est le plus vaste qui ait jamais existé, et il a toujours existé. Mobile, cependant – peut-être, ou plus qu'on ne le croirait ; car les seules choses qui semblent vraies du début à la fin sont donc l'idée même de l'Empire, sinon son existence concrète, et l'immémoriale certitude de ce que le Sud est rebelle, car « "Tel est le Sud" » (titre de l'avant-dernier conte, mais l'agitation dans le Sud est évoquée dans la plupart des nouvelles d'une manière ou d'une autre) ; en fait, le Sud est peut-être bien le meilleur critère permettant de définir l'Empire – mais par défaut : en étant, il constitue par opposition l'Empire qu'il n'est pas, dans une optique presque manichéenne où le tiers semble exclu.


L'ART DU CONTEUR DE CONTES


Reste que le conteur joue un rôle essentiel – qui va pr
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Dense, épique, baroque et subtilement politique, l'art du conte d'un empire imaginaire.

Sur mon blog : https://charybde2.wordpress.com/2017/05/10/note-de-lecture-kalpa-imperial-angelica-gorodischer/
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Angélica Gorodischer rédige une oeuvre où elle fait toute la lumière sur ses talents de conteuse, caractérisés par le recours à une écriture baroque et humoristique qui soutient un mode de l'invention historiographique. Ce roman culte est l'une des rares fictions en langue castillane à approcher la fantaisie héroïque.
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