Dans un récit sensible, Françoise Grard décrit comment, pendant quelques semaines, elle a perdu la vue. Et gagné un nouveau regard sur le monde et sur elle-même.
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« Ce n’est pas tout à fait vrai » : d’emblée, Françoise Grard instaure un mouvement de balancier entre l’ombre et la lumière, maintenant et l’enfance, l’incrédulité et la lutte. Récit d’un basculement, Et le jour sera pour moi comme la nuit est d’abord celui d’une réclusion.
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Un roman insatiable, qui fait de l’écriture un don de double vue. Et de la débrouillardise l’art de détricoter le brouillard.
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P94
J'ai soif de livres. Il me faut des livres.
Je me souviens avoir répété, avec une conviction inépuisable, que le meilleur moment de la journée, c'est
le soir. L'heure du livre, sous la lampe de chevet, le corps relâché sous sa couette, dans le recueillement de la chambre où la pénombre réduit le monde au cône de lumière projeté sur la page.
La fatigue qui dilate la réceptivité du lecteur finit par le faire dériver vers des zones troubles, aux frontières du
rêve, où il flotte au milieu d'images mêlées ; celles suscitées par sa lecture et celles du sommeil dans lequel il finit par plonger.
P70
J'avais oublié les escaliers. Ceux que l'habitude fait grimper sans réfléchir ou, plus exactement, tourné « en dedans », vers les préoccupations du moment.
On peut grimper sans voir. La difficulté, c’est de savoir quand ça s'arrête.
Alors, je compte les marches. Sept pour le demi-palier, puis une, puis sept. Et cela, sur cinq étages.
À chaque palier, mon pied glisse vers l’avant, avec précaution, jusqu’à buter sur la nouvelle volée de marches.
Je me souviens dans la vie ordinaire de l'effet produit par l'extinction de la minuterie. On s’immobilise, suspendu, craintif, tâtonnant, désemparé par les distances brouillées par l'obscurité. Et si une main providentielle nous devance, la lumière retrouvée rationalise instantanément l’espace souvent rétréci.
P23
Très tôt, j'ai donc entrepris de détourner l'attention de mes congénères de sorte que mes compétences, ou mes facéties, ou mes audaces, passent au premier plan de mon identité. Je devins ainsi très vite la plus enjouée des écolières, la plus insoumise, pratiquant l’insolence et la transgression pour amuser la galerie, me faire aimer d'elle, et surtout estimer.
P134
Il arrive un âge où, en dehors des pronostics vitaux, notre capacité d’adaptation est considérable. C'est que l'expérience nous a enseigné la fragilité de tout, la réversibilité de tout, l’inépuisable banalité de cette évidence : « Tout peut arriver à chaque instant ».
P28
Le thé que je bois ensuite ramollit l'angoisse. Elle se réduit peu à peu à une masse nauséeuse, guère plus pesante qu’une mauvaise digestion. Un soulagement, doux comme un influx tiède, ne tarde pas à courir dans mes veines, à défroisser mon esprit.