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EAN : 9782760330665
169 pages
Les Presses de l'Université d'Ottawa (19/02/2020)
4.25/5   6 notes
Résumé :
Poupées, machines à coudre, aliments en boîte, miroirs, corps défaillants défilent au fil de nouvelles qui sont tour à tour enfantines et naïves, grotesques et sombres. Ici une révolution féministe; là une ouvrière qui fait tout ce qu’elle peut pour ne pas perdre son Homme dans une société où il est mal vu d’être sans Homme; là encore une créature mi-humaine, mi-araignée qui trouve enfin l’amour dans une grande ville européenne. En explorant de mille façons ses obse... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Un cabinet de curiosités fait livre…

Poisseuses mes idées, empoussiéré mon esprit, en pagaille mes pensées, pétrifiée mon âme, après lecture de ces si étranges nouvelles. Ce recueil me fait penser à un cabinet de curiosités fait livre, il suffit d'en ouvrir quelques pages pour évoluer dans un monde chargé et hétéroclite, surprenant, envoutant et étouffant. Oui très chargé, chargé d'insolite, d'horrifique, de bizarre, d'objets et d'êtres surprenants dont la présence et le mélange forment un tableau singulier au décorum d'une extrême richesse dans la pauvreté la plus absolue.
Un monde également habité d'une multitude de femmes, des femmes louves, de femmes objets, de femmes sirènes, de femmes marginales, de femmes fortes et faibles.
Un monde dans lequel tous nos repères disparaissent, comme si nous avions changé de taille, changé de normes, changé d'espace temporel, changé de monde…un cabinet de curiosités empreint d'une sombre tristesse, d'une mélancolie qui vous empoigne à la gorge pour ne plus vous lâcher, au point de vouloir délicatement, sur la pointe des pieds, sans faire aucun bruit le refermer de temps à autre ce cabinet. Non sans laisser en vous un certain malaise, voire un léger vertige.

« Coquerelles et perce-oreilles habitaient les lustres de verre pendus au plafond du restaurant ; les souris mâchouillaient les petits pains avant les peintres et les critiques. Ces créatures ne dérangeaient pas le bougeoir, il était donc heureux et, au restaurant, il fut réuni avec l'odeur de son cher romarin, abondamment saupoudré sur tout pour masquer la rancissure ».

De prime abord ce livre fait penser au recueil de nouvelles horrifiques de Mariana Enriquez et son récent « Les dangers de fumer au lit », il s'en démarque cependant par son extrême étrangeté. Mais comme dans le livre de Mariana Enriquez, l'horreur et l'étrange sont des moyens pour parler des femmes, évoquer leurs conditions, leurs sentiments, leur âme et leur coeur, leur part la plus intime allant, ici, jusqu'à les mettre totalement à nues comme le montre la première nouvelle « Découture » dans laquelle une femme est décousue permettant de faire apparaitre sa véritable essence, ce qui n'est pas sans inquiéter les hommes. La machine à coudre est un objet récurrent dans les différentes nouvelles comme symbole associé certes à une tâche féminine mais aussi comme objet permettant de se découdre puis de se recoudre, comme si le fait de pouvoir changer, changer de peau, changer d'apparence, « en découdre » littéralement parlant, était quelque chose d'important pour l'auteure, une forme de liberté. La dernière nouvelle « Notes d'une araignée » fait même de la machine à coudre la Femme même, l'objet de toutes les dévotions et de tous les sacrifices. Réification si surprenante dont le sens m'échappe mais dont les images sont gravées en moi. Je pense à Boris Vian, à Jean-Pierre Jeunet, à Kafka, à Baudelaire, ou, plus contemporain, à notre français Mathias Malzieu, à cette poésie du réel teintée de mélancolie qui permet de cultiver l'étonnement, la surprise, voire l'émerveillement…

J'ai eu des préférences pour certaines nouvelles, entre autres pour deux nouvelles que sont La reine des souris et Teint-ciré. La première, que j'avais déjà chroniquée, est une nouvelle surréaliste mélangeant le fantastique et le burlesque, l'humour noir et le gothique, sur le thème de la maternité.
La seconde est incroyable dans sa façon de poser les bases d'un monde totalement nouveau, un monde inquiétant, étrange et sombre, imprégné de diktats aussi indépassables que l'attestent les lettres majuscules qui martèlent chaque terme : les femmes doivent avoir un Homme qui gagne assez d'argent avec les prix d'Examen, tel est le But dans la Vie. Dans ce monde, garçons et filles sont retirés de leur foyer dès l'âge de trois ans. Les filles reçoivent cinq ans d'instruction en Aptitudes et Perspectives de Vie, puis vont travailler dans une usine de Formation. Les garçons, eux, restent à l'école jusqu'à l'âge de seize ans, âge auquel ils commencent les Examens et la recherche d'une femme pour s'occuper d'eux. Ordre sociétal immuable. Notre narratrice s'est entiché d'un homme hors système, non enregistré, qui ne gagne pas sa vie n'allant pas aux Examens, avec lequel elle va avoir un enfant de façon clandestine, surnommé Teint-ciré que les parents doivent cacher dans leurs manteaux.
La vie y est chiche, les gens s'échangeant certains objets, des boites de conserve de viande contre des sous-vêtements, la débrouille, la pauvreté, la délation, l'obéissance à des règles absurdes, le manque de saveur imprègnent chaque page de cette nouvelle qui m'a fait grand effet.
Nous ne savons pas où se déroule ce récit, à quelle époque, sorte d'image universelle de la soumission des peuples, des vies éculées aux espoirs aussi maigres qu'une boite de conserve de viande…

« le menu était le même partout : CAFE PAIN GRILLE AU SIROP DORE VIANDE EN CONSERVE BOUILLIE ET PAIN GRILLE. Bouillie la viande en conserve devenait grise et détrempait le pain ; la plupart des gens ne commandaient que du Pain Grillé au Sirop Doré et du Café ».

Mentionnons également le récit « La triste histoire du bougeoir », seule nouvelle dans laquelle l'auteure se met à la place d'un objet, d'un bougeoir en l'occurrence, au destin empli de soubresauts du fait d'une étrange odeur de poisson qu'il dégage, ou encore « Anchois de Hongrie » dans laquelle un homme, pour protéger ses possessions lors d'un voyage, décident de les mettre toutes dans des boites de conserve avec pour étiquette le mot anchois dessus permettant de faciliter, croit-il, l'anonymat total de ses biens ainsi cachés…

Certaines nouvelles m'ont laissé davantage sur le rivage, plus observatrice, comme « Interdit de dorloter les morts », histoire sans doute la plus gothique du recueil dans laquelle les morts restent vivants, à nous de nous débrouiller sur la façon dont ils apparaissent, l'auteure ne nous donne pas vraiment de clés…Certaines ont même dépassé mon entendement. Comme cette page intitulé L'alphabet des poupées sur laquelle seul un alphabet tronqué, aux lettres manquantes, apparait. Que veut nous dire Camilla Grudova…Que l'alphabet des poupées, celui des femmes objets, est tronqué comme elles le sont dans la société ? Je reste songeuse…A moins que cela ne soit une énigme à résoudre…

A l'image du nénuphar de Boris Vian, La plume de Camilla Grudova dérape, parfois légèrement, parfois étonnamment. Cela fait éclore des images poétiques d'une beauté troublante, désuète, surannée, fanée…Un homme qui sent la pierre froide et les fleurs pourries ; Une femme, devenue enceinte, ne peut plus exercer son petit boulot dans une boutique de maison de poupées car elle avait elle-même « l'impression d'être une maison de poupées, avec une personne miniature à l'intérieur, et je m'imaginais avalant de minuscules chaises et casseroles pour qu'elle soit plus à l'aise ». Ou bien ce gramophone qui règne sur les objets comme une grande fleur fanée. Ou encore en parlant des couturières :

« Oh, ces pauvres et maigres être à lunettes qui vivaient dans des sous-sols ou des greniers, vivant de soupes maigres et de conserves de poisson bosselées, le dos voûté, les mains maitres et calleuses. Oui, il y avait chez les couturières quelques chose qui tient de l'insecte ».

Quand ce ne sont pas des images poétiques ce sont des images absurdes, burlesques, qui sont convoquées. Cela fait sourire et ne cesse de surprendre.
« La mise en conserve de dindes et de veaux entiers s'avéra un véritable désastre, leur viande étant trop volumineuse et la boite trop grande pour qu'on puisse bien cuire et préserver le tout. Mais les poulets et les porcelets entiers, dans leur gelée, s'y prêtaient merveilleusement bien ».

Sans être un coup de coeur, je reconnais à ce recueil étonnant d'avoir semé en moi une multitude d'images surprenantes et d'avoir réussi à me faire ressentir des émotions singulières allant de l'étonnement, au malaise, en passant par l'émerveillement et, par moment, par une certaine incompréhension que j'ai cependant accueillie. Ces nouvelles me laissent une empreinte, une saveur unique et rare. Une lecture permise grâce à la proposition de @NicolaK qui avait lu, comme moi, la nouvelle La reine des souris. Nous nous étions promis de lire le recueil dans son intégralité suite à la découverte de cette nouvelle singulière.

Pour conclure, voici un extrait me faisant penser à la façon dont j'envisage l'entrée dans ce livre : « Entre deux pans d'un épais rideau violet, un mannequin portant une perruque du dix-huitième siècle avec des cornes du diable, des bijoux en or en forme de serpent et une robe en dentelle noire, tenait une petite pancarte qui disait : COSTUMES D'EPOQUE ET RARETES »…Oui, tel est ce livre, un capharnaüm, un magasin de costumes, un cabinet de curiosités. Venez, approchez, entrez et vous verrez…
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La nouvelle est un format que j'affectionne de plus en plus. C'est une forme de respiration entre deux romans, c'est aussi une pause, un temps de relâchement que l'on s'accorde au milieu d'un roman long ou difficile.

Camilla Grudova est une jeune nouvelliste canadienne, diplômée en histoire de l'art et en allemand.
Je ne connaissais pas cette autrice jusqu'à ce que deux amies, Nicola (NicolaK) et Chrystèle (HordeDuContrevent) m'entraînent dans une lecture commune. Je vous remercie pour cette aventure étrange qui plonge les lecteurs dans les méandres de l'esprit humain avec toutes ses variantes. En effet, l'autrice a créé un univers dérangeant bien à elle, hors du temps et de l'espace : le monde fantastique, horrifique, onirique et surréaliste s'y combine en treize tableaux cauchemardesques et déstabilisant où prédominent le désespoir, la crasse et la solitude.

*
Ce premier recueil de l'autrice se décline en treize nouvelles, dont une insérée au milieu qui donne son nom au livre. Elle a de quoi surprendre par ces deux lignes laconiques et énigmatiques ci-dessous :

« Les onze lettres de l'alphabet des poupées sont :
A B C D
I
L M N O P U »

Ces 11 lettres d'un l'alphabet de poupées, comme un carnaval grotesque et incomplet, m'ont interpellée. Est-ce une devinette ? une anagramme ?
En voici mon interprétation.

*
La lettre A comme : Atmosphère, Ambiance
En quelques pages seulement, l'autrice crée, avec beaucoup de virtuosité, une atmosphère originale, surprenante, décalée, torturée, qui marque les esprits. Toutes ont en commun de nous immerger dans des décors miséreux, miteux, nauséabonds.

« Un après-midi, après avoir bu une tasse de café dans son salon, Greta découvrit comment se découdre. Ses vêtements, sa peau et ses cheveux se détachèrent comme la pelure d'un fruit et son vrai corps apparut. Comme Greta était très propre, elle balaya son vieux soi et le déposa dans la poubelle avant même de remarquer sa nouvelle physionomie, les difficultés à mouvoir ses nouveaux membres ne faisant aucunement obstruction à sa détermination de tenir une maison propre. »

La lettre B comme : Bougeoir
Parmi les treize histoires, c'est celle du bougeoir m'a le plus touchée, à la fois onirique et pleine . Durant une nuit, un poulpe ensemence la sirène de bois à la proue d'un navire de pêche. de cette union naîtra, de nombreuses décennies plus tard, dans l'obscurité des salles d'entrepôts d'un musée, un bougeoir à visage d'ange. Objet de convoitise, de perversion, il aura de nombreux maîtres.

La lettre C comme : Coudre
Camilla Grudova puise dans ses talents de couturière, cousant, brodant, surpiquant, décousant et raccommodant avec adresse, pour concevoir et confectionner des destins en souffrance. Elle insère entre les coutures des images d'une humanité infirme, vaniteuse, immorale.
Le symbole de la machine à coudre traverse toute l'oeuvre de l'autrice, objet révélant les attentes, les fantasmes, les désirs cachés.

« Ça et ses morsures d'amour. Je crois qu'elle commence à m'aimer ; je la nourris et elle écrit, elle écrit :
La dernière page s'achève sur une tache floue. Difficile de dire s'il s'agit de sang, d'encre ou d'alcool, la tache étant trop vieille pour le deviner à l'oeil nu. »

La lettre d comme : Décors
Camilla Grudova a un talent certain pour fabriquer des décors familiers qui génèrent néanmoins des ambiances déprimantes et dérangeantes. Elle capture avec aisance la tristesse, la grisaille et la laideur du monde : appartements sordides, chambre insalubre, grenier « métaphorique » cachant ses pensées obsessionnelles, zoo abandonné de toute sa faune, magasin lugubre, façades d'immeubles se couvrant d'une croûte gothique comme un parasite se fixant sur son hôte pour s'en nourrir jusqu'à l'absorber.

La lettre I comme : Idées
Les nouvelles de Camilla Grudova se nourrissent du monde actuel. Ainsi, au fil des pages, l'angoisse et la violence de nos sociétés s'insinuent, distordant la réalité pour mieux explorer les profondeurs de l'âme humaine, ses peurs, ses obsessions, sa dépravation, sa folie.
Sous ces abimes, Camilla Grudova explore la place de la femme dans nos sociétés capitalistes et patriarcales, la féminité, la maternité et les exigences du quotidien, les difficultés de concilier vie familiale, intime et professionnelle. Au-delà de ces réflexions, il est aussi question d'émancipation et de ce qu'attendent les femmes dans leur relation de couple.

« Il n'y a rien de pire que d'être abusée par l'Homme d'une autre. On considère toujours que c'est la faute de la femme. Je savais que je ne serais pas à l'abri là-bas. »

La lettre l comme : Liberté
Comment retrouver son indépendance dans un monde qui assujettit ? Pourquoi ne pas se transformer en louve, à la fois mère nourricière et protectrice, à l'écoute de son corps et de ses désirs, animée d'un instinct de liberté et d'une envie de contrôler sa vie et son corps ?

« Je me sentais intolérablement misérable. Des affiches me rappelaient partout que j'étais Sans Homme :
PRENEZ SOIN DE VOTRE HOMME
UNE FEMME COMME IL FAUT NE LAISSE PAS SON HOMME FLÂNER
NOURRISSEZ BIEN VOTRE HOMME »

La lettre M comme : Métamorphoses
C'est un monde effrayant, misérable, monstrueux, parfois absurde, burlesque, foncièrement égoïste dans lequel les personnages dénudés, décoûturés laissent voir leur carapace intérieure.
Dans nos sociétés modernes, hypocrites, indifférentes, tombées dans l'importance du paraître, Camilla Grudova fait fit des tabous et des pudeurs. Elle exhibe au contraire ses personnages, dans toutes leurs difformités, leurs faiblesses, leur médiocrité, leur obscénité.

« Je me sentais moi-même comme une maison de poupée, avec un petit être en moi, et je m'imaginais avaler de petites chaises et de petites casseroles pour la rendre plus douillette. »

La lettre N comme : Nouvelles
Camilla Grudova maîtrise les récits très courts de quelques pages seulement, comme des récits un peu plus longs d'une quarantaine de pages. Malgré la brièveté des histoires, l'autrice fait montre d'un talant particulier pour développer des personnages complexes et créer des ambiances remarquables.
Bien sûr, elles ne se valent pas toutes, mais toute valeur est subjective et dépendra des goûts littéraires de chacun.
Mes préférences vont à « Teint-Ciré », « L'histoire du bougeoir » que j'ai évoqué précédemment, et « Notes d'une araignée ». Louise Bourgeois avait fait de sa mère une araignée, à la fois monstrueuse et prédatrice. Ici, l'araignée est un homme qui piège les femmes et s'en nourrit, les aspirant jusqu'à ne laisser qu'une enveloppe vide et morte.

La lettre O comme : Obsessions
La plume de l'autrice est une arme qui découpe et pénètre dans l'intime, dévoilant la complexité des émotions et des relations humaines. Ce sont des contes de fées modernes où les obsessions reviennent sans relâche, absorbant toute lumière : les poupées, les machines à coudre, les corps difformes, les contenants (boites de conserve, valises, domicile conjugal, le corps, …).
Dans "La machine d'Agata", deux adolescentes actionnent une machine à coudre qui révèle l'image de leur fantasme. C'est comme un effet miroir qui renvoie leur fascination autant que leur folie.

La lettre P comme : Poupée
Qui sont ces poupées ?
Sans aucun doute, les femmes que les hommes brutalisent pour en faire des objets de désirs, de fantasmes et de caprices. Les relations de couple sont en effet au centre de ces histoires, et la femme change de costumes, se métamorphosant tour en tour en femme-poupée, femme-souris, femme-louve, femme naine, femme-fourmi, ou femme-sirène.

« Trouver un Homme qui gagnait assez d'argent avec les prix d'Examen et qui voulait aussi des enfants, c'était le But dans la Vie. »

La lettre U comme : Unique
Chaque nouvelle présente un univers qui lui est propre, à la fois réaliste et surréaliste, insolite et sombre, angoissant et fascinant. Mais l'autrice tisse des liens entre elles, enlaçant thèmes, personnages et objets.

*
L'écriture de Camilla Grudova est belle, son univers original, mais au final, je n'ai pas été totalement séduite.
Peut-être est-ce sa manière de conclure chaque histoire de manière inattendue, demandant une réflexion sur le sens caché du texte ? Est-ce l'univers monotone, poisseux et terne qui émane de ces histoires et laisse un sentiment d'inquiétude qui colle à la peau et dont on a envie de se débarrasser ?

« On a enterré un petit cercueil noir aujourd'hui, avait dit Peter, j'ai trouvé ça épouvantable, l'éternelle grossesse de la mort. S'il faut qu'on en ait deux, pourquoi pas trois. Il avait eu un rire ignoble, un rire d'âne. Un rire qu'il n'avait jamais eu avant. J'ai déterré le cercueil, j'ai sorti le corps et j'ai remis le cercueil vide dans le trou. Personne n'en saura rien. »

*
Pour conclure, ce recueil de nouvelles illustre le talent de l'autrice et son sens esthétique pour façonner des récits autour de la folie, des désirs inavoués, des fantasmes. C'est un livre atypique et déroutant, poétique et obscur, dont il faut découdre l'enveloppe superficielle pour en découvrir sa profondeur.
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Une femme qui découd sa peau, une autre qui se transforme en loup, une étrange série de nouvelles.

On est dans le fantastique, le dystopique, le post-apocalyptique ou le gothique. Il y a des machines à coudre, des femmes qui doivent prendre soin des hommes qui ne peuvent gagner de l'argent qu'en allant passer des examens, ou même un homme absurde qui met ses bagages en conserve…

Un recueil surprenant, une jolie prose pour sortir des sentiers battus…
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Camilla Grudova a si bien tissé ses nouvelles qu'elle m'a prise dans sa toile.

On l'apparente à Angela Carter, Sheila Heti, H.P. Lovecraft, Franz Kafka, Margaret Atwood, David Cronenberg et David Lynch, d'après la description de l'Alphabet des poupées. Je rajoute à la liste Hoffmann, Leonora Carrington, Mircea Cărtărescu ( ceux qui me viennent à l'esprit là tout de suite). En faisant quelques recherches, on se rendrait vite compte qu'elle est férue de littérature et de cinéma de l'étrange. Elle est donc idéale pour une soirée de l'Etrange, parfaite pour le soir d'Halloween ( elle donne même des idées de costumes, je n'ai plus qu'à me fabriquer six jambes pour un chouette costume d'araignée).

Table des matières :
Découture
La reine des souris
La Société Gothique
Teint-Ciré
L'alphabet des poupées
La sirène
La machine d'Agata
Rhinocéros
La triste histoire du bougeoir
Edward, ne dorlote pas les morts
Anchois de Hongrie
Le marché aux mites
Notes d'une araignée
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C'est un livre bizarre, fait de pièces rapportées, de babioles trouvées dans des vide-greniers, rassemblées à la va-comme-je-te-pousse. Des nouvelles absurdes et grotesques, un peu hors du temps, prenant place dans des décors démodés, des maisons délabrées, pleines de vermine. Sans être réellement effrayantes, ces histoires ont "l'inquiétante étrangeté" des rêves qui menacent de tourner au cauchemar à tout moment.

"La reine des souris" et "La triste histoire du bougeoir" sont mes préférés, mais j'ai trouvé l'ensemble des textes fascinant. La répétition des motifs et les nombreuses énumérations ont quelque chose d'hypnotique. J'ai adoré l'esthétique "creepy kitsch"! Lire ce recueil, c'est comme fouiller dans une vieille brocante poussiéreuse pour en extirper des trésors défraîchis!
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Citations et extraits (11) Voir plus Ajouter une citation
Je me sentais intolérablement misérable. Des affiches me rappelaient partout que j’étais Sans Homme :

PRENEZ SOIN DE VOTRE HOMME
UNE FEMME COMME IL FAUT NE LAISSE PAS SON HOMME FLÂNER
NOURRISSEZ BIEN VOTRE HOMME

J’ai échangé à Pauline une boîte de viande en conserve contre un joli ensemble slip et soutif. Je me suis bouclé les cheveux, d’une belle couleur de sirop doré, et j’ai mis le rouge à lèvres que je n’avais pas porté depuis le départ de Rollo. Je passais tout mon temps libre dans les cafés à chercher des Hommes.
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Je la suivis dans l’escalier. S’y dégageait un mélange particulier d’arômes : chou, cire à chaussures, souris, tabac, vieille tuyauterie de cuisine, noix de Grenoble, jambon fumé. Comme si la cage d’escalier était un accordéon et que chaque marche était une clé qui laissait échapper non pas une note, mais un lourd jet aromatique.
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Le navire tanguait d’un côté et de l’autre sur la mer, mi-berceau, mi-taverne tapageuse. La sirène de bois à la pointe faisait bon accueil : gin et dur labeur à ceux sur deux pieds, mort à ceux qui n’avaient qu’une queue.
Cet après-midi-là, la pêche avait rapporté un splendide poulpe orangé, des poissons verts et argentés, des anguilles noires, des algues, des bouteilles en verre, des petites tortues et des morceaux de corail rouge et de méduse. Une prise aux mille couleurs et textures, comme la cuisse d’un vieux prince débauché coincée dans un bas collant, la tête bulbeuse du poulpe, un furoncle prêt à éclater.
Quel délice de le faire rôtir, s’exclamaient les matelots, mais le capitaine leur coupa court : un zoo à Berlin ou à Moscou achèterait le poulpe et ils seraient tous riches. Au zoo, il porterait un nœud papillon et ferait l’amour à des femmes qui se prétendraient des sirènes, dit le capitaine à l’équipage, réorientant les appétits. On fit un ragoût d’anguille pour le dîner, et on mit le poulpe dans un sceau rempli d’eau, fermé d’un couvercle.
Les poissons disparurent au cours de la nuit ; un par un, les marins vinrent les voler pour les emporter dans leurs couchettes, assez ivres pour que les petites créatures humides servent de substituts adéquats de femmes.
Au matin, ils avaient des écailles plein les draps, et le poulpe n’était plus là. Après s’être glissé hors du seau, puis jusqu’à l’autre bout du pont, il s’accoupla promptement avec la figure de proue à la pointe du navire avant de replonger à la mer.

(Incipit de la triste histoire du bougeoir)
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j’ai découvert que j’étais enceinte. Quand mon ventre a commencé à s’arrondir, on m’a vite congédiée ; la propriétaire du magasin de maisons de poupée pensait que je me cognerais à toutes les petites choses précieuses avec ma nouvelle rondeur, et qu’elles se casseraient. Je me sentais moi-même comme une maison de poupée, avec un petit être en moi, et je m’imaginais avaler de petites chaises et de petites casseroles pour la rendre plus douillette.
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Une seconde et dernière "pour la route". Ce recueil est vraiment génial !

La découture apportait un grand soulagement, comme ôter son soutif avant d’aller dormir ou vider sa vessie après un long voyage.

Les hommes étaient divisés : il y avait ceux qui « avaient toujours su que quelque chose sonnait faux chez les femmes » et se sentaient désormais justifiés, et ceux qui déploraient « la perte de la forme féminine ». Un petit nombre d’hommes tentèrent de se découdre eux aussi à l’aide de lames de rasoir ou de couteaux, seulement pour finir blessés et déçus. Ils n’avaient pas de « vrai soi secret » à l’intérieur, seulement ce qui était connu et enseigné.
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