Un très bon livre récapitulatif sur la laïcité. Un passage me semble particulièrement intéressant :
« Si l'on peut attaquer de façon choquante les musulmans, les catholiques ou les francs-maçons, ne peut-on traiter de même les juifs et les Noirs ? le refus de l'idée de diffamation collective, central dans l'argumentation des défenseurs de Rushdie, peut-il rigoureusement s'accommoder d'une condamnation de propos racistes, lesquels s'en prennent clairement à l' « honneur » d'un groupe ? C'est ici que la confusion est sans doute à son comble. En effet, il est nécessaire de faire une distinction nette entre les propos attaquant des idées (et atteignant donc, bien évidemment, indirectement leurs défenseurs) et ceux qui s'en prennent à la personne avant qu'elle ait pu émettre quelque idée que ce soit. […] La raison d'une telle affirmation consiste en ceci que l'idée ne « colle » pas entièrement à celui qui l'émet. C'est l'une des présuppositions fondamentales de l'éthique laïque que de considérer l'individu comme capable d'autonomie, et par conséquent susceptible de s'arracher à la doxa qui l'a constitué. […] le « discours » raciste récuse des individus avant toute expression d'idées. »
(Il est à noter que le mot « juif » dans cet extrait est donc à prendre au sens de l'origine ethnique, pas au sens de la croyance en une religion. Alors que par exemple les mots « musulman » (qui désigne une opinion) et « arabe » (qui désigne une origine) sont bien distincts, la polysémie du mot « juif » peut être à l'origine de beaucoup de confusions dans ce genre de débats. A mon avis, l'auteur G. Haarscher aurait dû ici le signaler.)
Ajout : j’ai appris depuis que « Juif » fait référence à l’appartenance ethnique et « juif » à l’appartenance religieuse. Il me semble donc que l’auteur aurait dû mettre la majuscule dans l’extrait ci-dessus.
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Fondamentalement, on met sur le même plan le choix d’une conception religieuse, légitime en tant que tel et d’ailleurs juridiquement (souvent constitutionnellement) protégé, et la libre approche scientifique des phénomènes : le premier élément relève d’une conception particulière de la vie (tout le monde n’admet pas le créationnisme) ; le second, d’une pratique par principe ouverte à tout interlocuteur de bonne foi, désireux d’en acquérir les compétences, par-delà les enracinements particuliers.
Le pluralisme constitue en effet la condition même de tout débat démocratique. Mais ce que veulent les fondamentalistes, ce n’est pas l’introduction, dans la sphère publique de l’école, de débats concernant les diverses vues du monde, religieuses en particulier. Souvent, ils revendiquent des cours séparés. Une telle exigence implique inéluctablement pour les élèves une situation de « tribalisation »
Pousser la demande d’autonomie communautaire et de respect des différences jusqu’à la négation de toute instance supérieure, laïque et citoyenne, garante de l’égalité de tous devant la loi par-delà les divers enracinements, c’est réduire le social et le politique à une mosaïque de « tribus » au mieux coexistantes
la formation des citoyens dans les sociétés multiculturelles implique nécessairement qu’ils aient appris à vivre ensemble, et que ce qui vaut au-delà de leurs enracinements respectifs acquière quelque substance.
"Pousser la demande d'autonomie communautaire et de respect des différences jusqu'à la négation de toute instance supérieure, laïque et citoyenne, garante de l'égalité de tous devant la loi par-delà les divers enracinements, c'est réduire le social et le politique à une mosaïque de "tribus" au mieux coexistantes ( mais sans aucune garantie que les droits individuels de leurs membres seront respectés), au pis ramenées à la violence de la guerre de tous contre tous, en bref à la loi de la jungle.