AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782359252606
312 pages
Les Empêcheurs de penser en rond (11/01/2024)
4/5   3 notes
Résumé :
Les sociétés industrielles, extractivistes et productivistes, ne manifestent aucun souci pour la reproduction de leurs conditions d'existence car elles ont oublié que la perpétuation du monde avait besoin d'être accompagnée par celles et ceux qui le composent. Mais cela a-t-il toujours été le cas ? Et quel rôle les rapports de genre ont-ils joué dans cette histoire ? L'autrice explore les manières de concevoir cette perpétuation dans différentes sociétés pré- et non... >Voir plus
Que lire après De la génération: Enquête sur sa disparition et son remplacement par la productionVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Dans Par-delà nature et culture, Philippe Descola nous propose une matrice structurant les façons d'être au monde en quatre ontologies. Il achève également la moribonde idée de Nature comme élément décorrélé de nos existences humaines et avance que la manière, naturaliste, dont nous envisageons le monde est le dernier avatar d'une société ayant préalablement fonctionné, depuis le Moyen-Age au moins, sur le mode analogique. Mais il ne dit rien de la façon dont nous avons glissé de l'une à l'autre de ces ontologies et vous vous souvenez peut-être que cela m'avait chatouillé. Et ce d'autant plus que, au-delà de ces travaux d'anthropologue, Philippe Descola s'inscrit dans une démarche plus militante et nous invite à renouer avec une façon d'être au monde qui rompe avec la délétère et fautive naturalité. Comment a-t-on changé d'ontologie ? Et peut-on recommencer ? Ca urge.

Emilie Hache traite ces deux questions. C'est même l'essentiel de son travail dans de la génération: enquête sur sa disparition et son remplacement par la production. Montrer comment nous sommes passés d'un rapport au monde fondé sur la génération à un système d'exploitation des ressources et des êtres vivants par une toute petite partie de l'humanité. Et montrer comment il est possible de ne pas en rester là.

Recoupant des bribes de récits, des allusions à des moeurs antérieurs, des découvertes archéologiques, elle revient aux sources de notre civilisation occidentale et explique que le fonctionnement des citées grecques antiques repose sur une tension entre d'une part la relégation des femmes à des rôles subalternes et déconsidérés et d'autre part la reconnaissance de leur pouvoir de fécondité. Elle postule que cette situation est le reliquat d'anciennes pratiques où le culte des morts, les rites autour des moissons et des naissances concernaient hommes comme femmes et visaient à entretenir le monde.

Les prières, les chants, les actes sexuels, les funérailles, tous les actes sociaux étaient des moyens pour chacun, en fonction de son rôle dans la société – et les femmes n'avaient pas les mêmes que les hommes – de participer à la régénération du monde qui, si on ne s'en occupait pas, risquait de ne plus être renouvelé.

Les Grecs auraient commencé par retrancher les hommes de ce rôle régénérant, via la mythologie des dieux de l'Olympe, leur capacité à s'auto-engendrer sans matrice féminine, avant de reléguer les femmes et ce qui restait de leur rapport au monde à des superstitions dévalorisantes.

Emilie Hache poursuit son enquête et montre ensuite comment la naissance des religions monothéistes a donné une nouvelle inflexion à cette relation entre les hommes et le monde. En accordant leur foi à un dieu qui, contrairement aux dieux précédents, loin d'être faillible, d'incarner certains des attributs du monde parmi une myriade d'autres, aurait créé le monde et l'homme à son image, les chrétiens coupent la divinité du monde. Il ne s'agit plus alors de contribuer à la bonne marche d'un monde auquel nous participons tous, végétaux comme animaux, morts comme vivants, esprits comme corps mais de veiller au bon déroulement du plan divin menant, à la fin des temps, au jugement dernier. le monde devient le lieu de déploiement de la volonté divine et les hommes, tous frères en chrétienté, ses plus fidèles exécutants.

Ensuite, c'est facile – façon de parler ! – de dérouler le fil et de montrer comment, de l'immaculée conception à la trinité, des sacrements du mariage et de la confession au prosélytisme vu comme mission, des croisades aux colonisations, tout le dogme chrétien conduit l'homme, masculin, blanc et patriarche, à se considérer en dehors du reste du monde vivant, mis sur terre pour exploiter des ressources inépuisables et contribuer ainsi à la réalisation de l'économie divine.

La démarche d'Emilie Hache est minutieusement étayée, documentée. C'est passionnant de suivre l'évolution des concepts et des notions coupant un à un tous les fils qui nous reliaient à une conception génératrice du monde. Elle revient par exemple sur les pratiques rituelles dans les campagnes au moment des moissons, des solstices, avant le 18e siècle, sur la chasse aux sorcières et ce qu'elle montre d'anciens cultes éradiqués par le dogme chrétien.

Je vais à pas de géant mais le propos est celui d'une philosophe, sa démarche est universitaire et érudite. Elle s'appuie constamment sur des travaux antérieurs, dans la lignée de Bruno Latour à la mémoire de qui est dédié cet ouvrage. Ivan Illich et son le Genre vernaculaire est un des piliers de sa réflexion tout comme les très nombreux travaux des penseuses écoféministes, et, pour les besoins de sa démonstration, des textes antiques, ouvrages d'historiens antiques, médiévistes ou s'attachant à notre modernité. C'est un travail minutieux et passionnant que de la suivre et de dérouler avec elle un argumentaire précis, étayé.

Mais là où l'argumentaire est encore plus pertinent, c'est qu'il ne se veut pas seulement historique. Il vise à mettre en perspective « le changement de monde engagé par la mutation écologique en cours » et à proposer « un questionnement aux dimensions mythologiques » afin d'ouvrir « le renouvellement des conditions d'habitabilité du monde de manière égalitaire. ». Cette longue traversée de plus de 2500 ans historicise les moments de bascule conceptuelle, démonte les mécanismes de pensée ayant conduit à concevoir un statut différent pour certains hommes par rapport aux femmes, aux enfants et à tous les infériorisés. Ce travail de déconstruction est nécessaire afin que revienne à la conscience le fait qu'autre chose a déjà existé, existe encore et que nos modes de penser naturalisés ne sont finalement que des représentations possibles et pas le décalque exacte d'un réel univoque.

Bien sûr, encore mal remise de ma lecture de Les Structures fondamentales des sociétés humaines de Bernard Lahire, j'ai trouvé dans de la génération de solides contrepoints à la vision fataliste induite par l'accumulation de lois universelles et intangibles telle que la décrit Lahire. Est-ce que ce dernier est torpillé par les analyses d'Emilie Hache ? Non, j'ai reconnu dans les descriptions de cette dernière beaucoup des lois qu'énonce le premier. Méta-fait de l'interdépendance des organismes vivants, fait de la séparation des deux sexes, socialité, historicité de l'espèce humaine, lignes de force du magico-religieux, de la division du travail, on retrouve tous ses petits. Mais sans que cela ait pour conséquence inéluctable et éternelle une domination de l'homme sur la femme, de l'adulte sur l'enfant ! Ça, c'est la vision d'un homme englué dans une certaine représentation du monde, conséquence de la longue histoire qu'a remonté l'autrice pour nous, de l'Antiquité grecque à la sécularisation progressive de nos Etats-nations en passant par le monde chrétien.

Emilie Hache prouve par exemple, contre Lahire qui se dit désolé de ne pouvoir y porter crédit, que des sociétés matriarches ont bien existé, existent encore et constituent une alternative possible. Attention, pas des sociétés où les rapports de pouvoir sont inversés et où ce sont les femmes qui sont les bonshommes. Ca, c'est encore un fantasme de mec jouissant d'affirmer qu'on leur a piqué le phallus. Non, des sociétés où les hommes et les femmes ont des rôles, des fonctions bien différentes mais sans hiérarchisation de leur importance et où, tous, contribuent à générer le monde. Les hommes tout autant. Il n'y a pas de guerre des sexes. D'ailleurs, il n'y a pas de sexe. C'est-à-dire pas de division intangible et étanche. Il n'y a pas non plus de conjugalité qui autoriserait le pouvoir d'un patriarche sur le reste de la maison. On n'y achète pas les femmes. On n'y vend pas les bêtes. Chaque être vivant contribue, à sa place, dans une attention aux autres, à lui-même, aux esprits et au monde, à faire que ce dernier continue d'advenir dans la circularité de ses énergies renouvelées.

Il s'agit alors, pour un avenir vivable, de tout refonder. « Dans ces nouvelles manières d'habiter, faisant place à de nouveaux ancêtres, de nouvelles parentés comme de nouvelles formes de richesses non propriétaires, des pratiques (re)génératives pourront se réinventer qui nous rendent à nouveau capables d'accepter la précarité du monde comme d'affronter les bouleversements que nous avons provoqués. »

Après les sorties enfiévrées d'Achille Mbembe sur la possibilité de réenchanter nos récits par leur innervation dans ce que l'Afrique sait de tout temps, l'invitation de Soeurs, Pour une psychanalyste féministe à communier dans le symptôme partagé d'une sororité revendiquant l'attention à un délire participant du monde, voici une troisième voie, pavée de réflexions historiques et philosophiques. Une troisième voix pour nous dire qu'au fatalisme confortable d'un « on est foutus » on peut substituer une inventivité fondée sur un autre rapport au réel. Que c'est une question d'histoires qu'on se raconte, de représentations et que, si on a été capables de prendre une certaine orientation, on est bien en mesure, pleinement conscients des enjeux, d'en changer radicalement aujourd'hui. Engageant, non ?
Commenter  J’apprécie          3133
C'est plutôt une déception. Malgré un départ sur les chapeaux de roues, Hache s'essouffle à sa quatrième grande partie, censée enfin faire le lien dans tout ce qu'elle dit, et devient très franchement incompréhensible (je suis pas plus con qu'un autre mais j'avoue avoir du mal à comprendre "la matrice des genres, c'est le monde des dieux et des déesses [...], la matrice du sexe, c'est l'église chrétienne, mère de tous les chrétiens"). J'ai bien compris que je n'irai pas mettre mon nez chez Ivan Illich tant il paraît torturé et tortueux.
Le vrai problème d'Émilie Hache, c'est qu'on a parfois l'impression de lire une complotiste qui met du sens et une causalité derrière tout ce qu'elle veut relier : certains changements sociétaux arrivent par hasard, et cela, l'autrice semble l'ignorer. C'est fort dommage, puisque l'idée était bonne.
Enfin, quelques tics d'écriture (i.e. à toutes les sauces) et le recours constant aux sources secondaires (c'est si difficile que cela d'aller voir dans un texte antique ce qui est dit ? Pourquoi rester sur un mec qui cite un mec qui cite un mec ?) nuisent un peu au charme de l'ouvrage.
En gros, c'est une lecture soufflé au fromage : ça commençait super bien, beaucoup d'espoir sur le gonflé, mais ratatinement de la pensée dans la deuxième partie du livre.
Commenter  J’apprécie          00
De la génération. Enquête sur sa disparition et son remplacement par la production d'Émilie Hache :

De la génération raconte les origines de la modernité articulée autour de la destruction des sociétés de subsistance. Cette mutation s'est appuyée sur l'exploitation sans limites du monde vivant, ce qui est représentatif, selon l'autrice, de la dévalorisation de tout ce qui est associé au féminin.

Émilie Hache revient, tout d'abord, sur un passé construit sur le respect et l'interdépendance à l'égard de la nature, des femmes et de leur puissances génératives puis sur sa transformation progressive en une société économique qui ne se prévalait plus de ces attributs. Avec cette mutation inaugurée par le christianisme, le monde a été mis sous la domination de l'homme qui pouvait exploiter la nature sans vergogne. Les pratiques (re)génératives qui assuraient le renouvellement de la société n'étaient alors plus valorisées et elles se sont éteintes sous l'esprit de la providence qui se chargeait, sous l'aval de Dieu, de la naturelle perpétuation du monde.

Pour comprendre cette histoire, l'autrice a cherché les rituels de fertilité valorisant à la fois la nature et les femmes. Elle s'est ainsi aperçue qu'en Grèce, ces rituels de regénération du monde n'étaient dévolus qu'à la femme, comme si c'était un pré-requis de sa condition. Ensuite, durant le christianisme, la génération a été remplacée par le salut et fut accolée à la figure négative et très méprisable du féminin. le monde avait ainsi changé d'image : il n'était plus question d'engendrer le monde mais de jouir des ressources infinies de Dieu. On pouvait donc l'exploiter et le voir comme un simple instrument de la production.

Ce livre est un travail d'histoire de la culture et de la mémoire, il propose une autre approche du monde, sous l'angle de l'éco-féminisme. Il invite à, de nouveau, se tourner vers des pratiques génératives afin de se reconnecter à la nature et de repenser son approche du vivant.
Lien : https://www.instagram.com/p/..
Commenter  J’apprécie          10


critiques presse (2)
LaViedesIdees
19 mars 2024
Le monde chrétien affiche une indifférence égalitaire à la différence des sexes, mais il est en réalité très inégalitaire avec les femmes. Dieu le père a remplacé l’imaginaire païen de la terre-mère, qui vante la commune appartenance à Gaïa.
Lire la critique sur le site : LaViedesIdees
LesInrocks
02 février 2024
Surgi des marges de la pensée politique actuelle, mais du cœur de la philosophie écoféministe la plus audacieuse, l’essai d’Émilie Hache génère plein d’idées pour “affronter les bouleversements que nous avons provoqués”. Pour qu’enfin nous écoutions ces militantes chantant : “Ma planète, ma chatte, sauvons les zones humides !”
Lire la critique sur le site : LesInrocks

Videos de Emilie Hache (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Emilie Hache
Le monde que nous habitons n'est pas composé que de populations, d'activités économiques, de terres habitables et d'espaces inexplorés : il est aussi tissé de récits. Face à la crise écologique, nous devons fabriquer de nouveaux imaginaires, plaident les auteurs d'un livre collectif radical et inventif dirigé par la philosophe Émilie Hache : "De l'univers clos au monde infini".
autres livres classés : philosophieVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (18) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
438 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}