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EAN : 9782330092610
416 pages
Actes Sud (14/03/2018)
3.58/5   19 notes
Résumé :
Les Mirages de la certitude revisite la manière dont l’antique question (jamais résolue) du rapport du corps et de l’esprit a informé la pensée contemporaine, et ce souvent pour la déformer, voire la brouiller, dans les domaines des neuro-sciences, de la psychiatrie, de la génétique, de l’intelligence artificielle ou de la psychologie évolutionniste.
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Parallèlement à une carrière littéraire réussie, romancière de talent (auteure entre autres de «Elégie pour un Américain», un roman à mon avis remarquable, d'une grande finesse et intelligence), Siri Hustvedt écrit également des essais sur la littérature, l'art, la philosophie, et s'intéresse par ailleurs tout particulièrement aux neurosciences.
Auteure d'un premier livre à ce sujet en 2010 («La Femme qui tremble»), elle n'a cessé, depuis, d'approfondir ses connaissances dans ce domaine de recherches et d'accompagner les derniers développements scientifiques des disciplines en rapport avec les questions qui l'intéressent de plus près, telles la logique et la philosophie analytique, la psychologie du développement, la psychiatrie, la neuropsychologie, la génétique, la neurobiologie ou encore les sciences cognitives appliquées à l'intelligence artificielle et à la robotique.
Depuis 2015 aussi, parallèlement à une carrière littéraire qu'elle poursuit toujours, elle est chargée de cours en Psychiatrie à l'Université Cornell.

Pour son essai Les Mirages de la Certitude, paru en 2016 (2018, pour la traduction française) l'auteure aura dévoré une somme colossale d'ouvrages et d'articles scientifiques (recensés sur des dizaines de pages de notes bibliographiques en fin d'ouvrage !) en lien avec la très problématique question du rapport corps-esprit. Malgré les progrès spectaculaires réalisées dans le domaine des sciences en général, et notamment dans celui des sciences dites «dures» et de la physique des particules, celle-ci reste néanmoins, encore à ce jour, parfaitement irrésolue.

C'est ainsi que, même si à l'époque actuelle le dualisme cartésien corps/esprit n'est défendu que par très peu de philosophes, celui-ci, d'après Siri Hustevedt, serait toujours «en vigueur dans une bonne part de la science, bien que la définition même d'esprit reste l'objet de débats ardents, voire torturés».
D'entrée de jeu et à l'instar de la princesse Elizabeth de Bohême faisant part dans sa correspondance avec Descartes de son étonnement qu'une «cause non étendue et immatérielle puisse mouvoir le corps», Siri Husvedt remet sérieusement en question la recherche actuelle en sciences cognitives et en intelligence artificielle par le biais d'une analyse détaillée des mécanismes qui permettent à certain nombre de courants et de chercheurs dans ces disciplines, soit d'éluder partiellement, soit de simplifier au maximum la question de savoir de quoi exactement seraient faites nos pensées...
«Si elles ne viennent pas de notre corps d'où viennent-elles ?» se demande l'auteure.

Quoi qu'il en soit, , «la séparation entre psyché et soma reste un lieu commun dans la culture contemporaine» et "la vieille énigme philosophique" continuerait à nourrir les débats contemporains en de nombreux domaines.
L'auteure, loin par ailleurs d'ambitionner à trancher définitivement par une démonstration quelconque cette épineuse question, chercherait avant tout à mettre en évidence le rôle que l'imagination, ainsi que des croyances plus ou moins irrationnelles, peuvent jouer dans une démarche qui se veut en revanche purement "rationnelle" risquant de transformer insidieusement certaines de ses prémices en apparence scientifiques en véritables mirages tacites de la certitude...

Prônant en matière de recherche la prudence et l'immense modestie d'un génie tel Heisenberg quand ce dernier rappelle «que ce que nous observons, ce n'est pas la Nature en soi mais la Nature exposée à notre méthode d'investigation», Siri Hustevedt s'en prend tout particulièrement aux propos immodérés des nouvelles théories computationnelles de l'esprit qui projettent pouvoir réussir un jour à créer des machines «humaines», c'est-à-dire des êtres alternatifs composés d'acier, de fils, de câbles, mais capables d'une totale autonomie dans leurs raisonnements, de créativité et de prise d'initiative, à l'image du célèbre Hal du film culte de Stanley Kubrick, «2001, l'Odyssée de l'espace».

Les thèses scientifiques des TCE (théories computationnelles de l'esprit) partent donc de l'hypothèse que le cerveau fonctionne sur le même modèle que celui d'un ordinateur. En remplaçant les neurones «réels» par des neurones «conceptuels», poursuit l'auteure, elles écartent du même coup la question des «complexités et subtilités biologiques» impliquées dans les capacités neuronales, au bénéfice d'un modèle cybernétique basé essentiellement sur le traitement de l'information.

À en croire les auteurs d'un article cité par Siri Hustevedt , «l'esprit est un ensemble de machines de traitement de l'information mis au point par la sélection naturelle afin de résoudre les problèmes d'adaptation auxquels étaient confrontés nos ancêtres chasseurs-cueilleurs». Sous des aspects censés être novateurs sur la question de l'esprit, les auteurs de l'article, ironise-t-elle, sont en réalité tombés bel et bien dans le vieux piège de la dualité corps/esprit cartésienne!

D'une plume par moments délicieusement littéraire, Siri Hustevedt n'hésite pas à insérer dans l'aspérité et la complexité du propos scientifique, souvent ardu pour le lecteur néophyte, un certain nombre de commentaires personnels et de métaphores qui viennent à la fois délecter ce dernier, donner de la respiration au propos, ainsi qu'étayer et éclairer sensiblement les points de vue théoriques de l'auteure.
Un chapitre intitulé «Le Sec et l'Humide» est particulièrement représentatif de cette démarche. Oui , car en fin de compte il s'agit bien de pouvoir incarner ses pensées ! Cette particularité essentiellement humaine et mystérieuse qui nous rendrait, entre autres, aptes à la création de liens imaginaires entre les concepts et les objets, aux inventions langagières et aux métaphores nouvelles, ne peut être, au stade actuel nos connaissances, évincée complètement du champ des sciences cognitives. Avez-vous déjà essayé, nous demande l'auteure, de faire tout simplement traduire un texte littéraire ou un poème par une machine ? Et à cette dernière d'illustrer sur-le-champ son propos par la transcription surréaliste d'un texte d'Emily Dickinson soumis à traduction française par Google traduction !

Nos pensées, insiste Siri Hustevdet adoptant un point de vue ouvertement moniste et phénoménologique, s'enracinent et se construisent à partir d'expériences qui arrivent tout d'abord dans un corps. C'est bien la «formation des rythmes sensuels musculaires et émotionnels » qui se mettent en place dès notre vie utérine qui viendront progressivement sous-tendre la pensée, et qui pourront aboutir plus tard aux «récits clairement énoncés destinés à décrire symboliquement l'arc d'une existence singulière», que ce soit la sienne propre, celle de ceux qui nous entourent, voire d'un personnage de fiction, ou de nos propres idées abstraites et constructions rationnelles...


Dans un essai surprenant et très agréable à lire, aux répercussions à fois philosophiques, scientifiques, aux accents parfois très ouvertement personnels ou littéraires, le lecteur «incorpore» progressivement, sans se rendre compte (et permettez-moi l'expression, «sans douleur»), une masse considérable d'informations sur des questions aussi diverses et intéressantes que la théorie de l'esprit, la gémellité, l'empathie vue d'un point de vue neuropsychologique, ou encore les effets placebo et nocebo.
Des notions relevant de différents courants de la tradition philosophique occidentale et/ou de l'histoire des sciences, complémentaires à son sujet d'étude, viennent également enrichir ce brillante réflexion.

Les Mirages de la Certitude serait en définitive un essai cherchant davantage à interroger et à ouvrir des perspectives nouvelles, plutôt qu'à défendre des points de vue arrêtés autour d'un sujet dont on peut après tout se demander légitiment, comme le fait Siri Hustevdet, si un jour une théorie pourra véritablement exister à laquelle n'échapperait pas quelque chose..!
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Un essai sur lequel je suis tombé par hasard et qui naît de cette question: qu'est-ce que l'esprit ? Et son corolaire: qu'est-ce que la conscience (voire le moi) ? En filigrane, la question est peut-être de savoir si les machines peuvent avoir un esprit, si l'intelligence artificielle va nous faire interagir avec des alter-egos de métal et d'électronique. Cette question n'apparait pourtant pas explicitement avant la fin de la première moitié du livre alors qu'elle me donnait l'impression d'être un des réels moteurs de l'ouvrage ... mais peut-être est-ce là de la projection de ma part ? A la lumière de quelques philosophes (Descartes, Vico et Elisabeth Cavendish), Hustvedt pose le décor: l'esprit est-il séparé du corps (vision cartésienne) ou fait-il un ? Est-ce autre chose ? Est-il réductible au seul cerveau ? Notre intelligence est-elle purement computationnelle et résulte-t-elle d'une suite d'opérations logiques ? Voilà une liste non exhaustive des questions, abordées souvent avec cette même structure mathématique hypothèse - thèse – démonstration. Une démonstration « par l'absurde », qui vise souvent à démontrer que les thèses développées par d'autres ne tiennent pas.
Le texte est riche en références philosophiques, mais surtout scientifiques (au point que je me suis demandé à de nombreuses reprises si Hustvedt, que je ne connaissais que de nom, n'avait pas une formation de neurologue, ou du moins médicale). le moins que l'on puisse dire est que la réflexion d'Hustvedt est richement guidée par la recherche scientifique sur le cerveau, mais sans y être cantonnée. Il ne s'agit pas non plus de lecture superficielle, ou une absorption de résultats de mauvaise vulgarisation, mais bien d'argumentation qui me semblent généralement solides. Malgré ses défauts (j'ai eu le sentiment que la même argumentation aurait pu être développée avec le même poids en 30% moins de pages; le texte est aussi parfois prétentieux voire péremptoire), cet essai m'a conduit à de nombreuses réflexions, et à affiner mes idées éparses sur ce qu'est effectivement l'esprit. Parti d'une conception dynamique (i.e. en évolution) d'un esprit émergeant de processus neuronaux en interaction avec un corps (vus comme capteurs d'une réalité extérieurs), j'ai rejoint pour une bonne part la vision de Hutsveldt, qui rajoute à celà une interaction plus grande avec « le monde extérieur » et qui voit le corps et l'histoire personnelle comme autre chose que des "capteurs" et un renforcement de circuits privilégiés (vision plus computationnelle). Hustvedt insiste aussi, à raison, sur l'importance du corps dans l'enfance (et l'interaction mère-enfant ; mais je généraliserais à parent - enfant) dans la construction du moi et de l'esprit. Elle aborde aussi la question du placébo pour éclairer le rôle de l'inter-relationnel dans la construction de l'esprit et de la conscience. Il y a réellement peu d'éléments éclairants la question de l'esprit qui ne soit pas abordé dans ce livre sauf peut-être celle du coma et des états dits de conscience minimale.
Au final, c'est le rôle du corps et de l'histoire personnelle, qui pour Hustvedt font que des machines conscientes sont un phantasme. Même si je la rejoins sur de nombreux points, je ne suis pas intimement convaincu par sa conclusion. Peut-être parce que rien ne dit que le modèle animal/humain soit le seul qui donne naissance à l'esprit. Mais peut-être n'est ce qu'une question de langage et qu'un esprit issu d'autres processus, ne serait simplement pas le même esprit et ne pourrait être appelé comme tel. le débat n'est pas clos. Un livre plutôt intéressant (surtout ne pas se laisser décourager par le ton des premières pages … la suite est plus intéressante !) pour ceux que ces questions intéressent, sans pour autant les avoir vraiment sorti de leur esprit ...
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critiques presse (1)
LaPresse
05 septembre 2018
Siri Hustvedt nous propose un ouvrage touffu mêlant science, neuroscience et philosophie, une grande quête pour mieux comprendre les liens entre notre corps et notre esprit. À la base, il y a de la part de l'écrivaine une réelle volonté de redonner le pouvoir aux individus. Une lecture exigeante, mais ô combien stimulante.
Lire la critique sur le site : LaPresse
Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
L'éducation des enfants était l'un des principaux soucis de Vico. Il craignait qu'un enseignement sous la seule égide de Descartes ne fasse des enfants qui le recevraient des êtres chétifs aux piètres compétences linguistiques. Ce débat n'est pas clos. Aux Etats-Unis, les mathématiques et les sciences sont en général considérées comme plus importantes dans l'éducation que les lettres et les arts. Les mathématiques et les sciences ont une aura de sérieux, une sévérité disciplinée qui manquent aux sciences humaines et aux arts.[...] Vico voulait maintenir en vie l'enseignement classique, dont il craignait la disparition dans le programme cartésien. Il vit aussi que la spécialisation accrue dans les universités fragmentait le savoir au point que les divers domaines devenaient inintelligibles les uns aux autres.

p.26
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Hannah Arendt ne fut pas la seul à suggérer que savoir ce que sont les êtres humains est, pour les êtres humains, un exploit assez comparable à celui qui consisterait à "sauter par dessus son ombre". Nous persévérons néanmoins. La question est bien trop intéressante pour qu'on la laisse de côté.
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Toutes les idées sont, d'une manière ou d'une autre, des idées reçues. Ils existe des penseurs que nous considérons comme originaux mais, pour être capable de penser le moins du monde attentivement, ils ont dû, eux aussi, ingérer les pensée d'autrui, habituellement sous formes de livres, il n'est pas de pensée sans précédent.
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En termes simples, les perceptions d'un observateur sont configurées par ses perceptions antérieures. Nous poussédons l'équipement visuel qui nous permet de voir, mais nous apprenons aussi à voir et à lire le monde au travers des expériences que nous y vivons.
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Carrément à l'opposé de la pensée de Descartes et de sa vaste influence, Gimabattista Vico (1666-1744), homme de lettres, historien et professeur à l'université de naples, édifia une défense vigoureuse de la rhétorique, de la culture et de l'histoire grâce à la métaphore et à la mémoire, lesquelles, croyait-il, avaient pour origine nos expériences sensorielles.[...] Pour Vico, la conscience humaine avait elle-même une histoire.

p.24
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Vidéo de Siri Hustvedt
Dans ce nouvel épisode des Éclaireurs de Dialogues, nous vous proposons une plongée dans l'univers de Diglee.
"Si je ne les écris pas, les choses ne sont pas allées jusqu'à leur terme. Elles ont été seulement vécues." Cette phrase d'Annie Ernaux, présentée en exergue de son livre le Jeune Homme, résonne pour notre invitée, qui pratique elle aussi une écriture de l'intime.
Artiste aux multiples talents, Diglee s'exprime par le dessin et les mots, par l'humour et le sérieux, et ne cesse de nous surprendre de livre en livre. Elle est aussi une autrice engagée et une passeuse de livres. Au fil de la conversation, il est question notamment de l'importance des traces, de harcèlement de rue, de poétesses oubliées et d'une retraite en Bretagne. Et trois libraires de Dialogues, Nolwenn, Laure et Marine, présentent chacune un livre de Diglee qui les a marquées.
Bibliographie :
- Atteindre l'aube, de Diglee (éd. La ville brûle) https://www.librairiedialogues.fr/livre/22262120-atteindre-l-aube-diglee-la-ville-brule
- Ressac, de Diglee (éd. Points) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20654146-ressac-diglee-points
- Je serai le feu, de Diglee (éd. La ville brûle) https://www.librairiedialogues.fr/livre/19776423-je-serai-le-feu-diglee-la-ville-brule
- Libres ! Manifeste pour s'affranchir des diktats sexuels, d'Ovidie et Diglee (éd. Delcourt) https://www.librairiedialogues.fr/livre/11420971-libres-manifeste-pour-s-affranchir-des-dikt--diglee-delcourt
- le Jeune Homme, d'Annie Ernaux (éd. Gallimard) https://www.librairiedialogues.fr/livre/20614397-le-jeune-homme-annie-ernaux-gallimard
- Se perdre, d'Annie Ernaux (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/586873-se-perdre-annie-ernaux-folio
- L'occupation, d'Annie Ernaux (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/161352-l-occupation-annie-ernaux-folio
- La Force des choses, de Simone de Beauvoir (éd. Folio) https://www.librairiedialogues.fr/livre/16283-la-force-des-choses-simone-de-beauvoir-folio
- Les Grands Cerfs, de Claudie Hunzinger (éd. J'ai lu) https://www.librairiedialogues.fr/livre/16878883-les-grands-cerfs-roman-claudie-hunzinger-j-ai-lu
- Mon corps de ferme, d'Aurélie Olivier (éd. du commun) https://www.librairiedialogues.fr/livre/21689916-mon-corps-de-ferme-aurelie-olivier-ed-du-commun-rennes
- Ligne de fuite, de Sarah Baume (éd. Notabilia) https://www.librairiedialogues.fr/livre/21661963-ligne-de-fuite-sara-baume-les-editions-noir-sur-blanc
Au cours de la conversation sont aussi citées plusieurs autres autrices : Virginia Woolf, Siri Hustvedt, Marie Darrieussecq, Édith Boissonnas, Benoîte Groult.
Et l'émission que Diglee écoute tous les soirs depuis ses 13 ans est Parlons-nous, de Caroline Dublanche, sur RTL !
+ Lire la suite
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