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sur 1085 notes
Si je n'ai pas vraiment ressenti de l'ennui en lisant "A rebours", il est vrai que je n'ai pas ressenti pour autant du plaisir en lisant ce texte.
J'ai plutôt eu l'impression d'avoir affaire à un texte incolore, indolore, malgré la beauté certaine du style, malgré la critique de la société, malgré quelques passages fort beaux, aussi.
L'émotion a manqué. Je n'ai rien ressenti en lisant cette histoire ; tout au plus, ai-je senti une petite nuance de plaisir ou d'ennui ci et là. J'ai lu ce texte à froid, comme j'aurais lu un essai. le problème, c'est que dans un essai, l'intérêt réside dans les idées ; ici, l'intérêt est avant tout artistique, esthétique. Et c'est cette dimension qui manqua à ma lecture, cette dimension esthétique, artistique, émotionnelle, ce je ne sais quoi qui fait qu'on aime un livre, ce caractère magique de la lecture, ce quelque chose qui m'a secoué tant de fois. J'ai eu l'impression d'avoir affaire à un livre théoriquement bon : l'histoire est intéressante, le style est très beau, quoiqu'un peu vieilli, la psychologie est pleine de finesse, mais point de vue plaisir et point de vue émotion, il ne me reste pas grand-chose.
Pourtant, je n'ai pas détesté "A rebours". le sentiment dominant de ma lecture, si tant est que c'est un sentiment, fut l'indifférence.
Les pages se sont tournés et rien ne s'est passé ; ni ennui, ni plaisir, ce livre est resté hermétique et il n'y eut aucun autre événement.
Tant pis…
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C'est suite à une très belle exposition consacrée au peintre et dessinateur Odilon Redon au musée Fabre de Montpellier que j'ai découvert Joris-Karl Huysmans et "À rebours". C'est peut-être le roman le plus connu de Huysmans et aussi celui qui suscita de très vives réactions de la part du milieu littéraire de son époque. L'incompréhension qui suivit sa parution n'a pas totalement disparu aujourd'hui (voir la critique de marcanciel) et je déconseillerais le livre à ceux qui attendent de la littérature qu'elle leur serve des sucreries.
Mais je crois que ceux qui n'ont pu entrer dans cette oeuvre s'attendaient à lire un classique roman. Peut-être y-a-t-il là un malentendu ? Huysmans se démarque dans cette histoire sans histoire de l'impasse naturaliste et du grand maître Émile Zola. Il se rapproche plutôt des oeuvres de Flaubert comme "La Tentation de Saint-Antoine" ou "Salammbô". Il se réfère également à la poésie et au décadentisme de Baudelaire, au symbolisme de Mallarmé, ainsi qu'à l'angoissant univers d'Edgar Allan Poe. Il y a certes un personnage et une situation initiale : un riche dandy croyant abolir son mal de vivre en quittant la société parisienne pour la campagne, mais aucune véritable intrigue. le seul objet du récit est les tentatives successives de des Esseintes pour combler sa sensation de vide existentiel. Il s'apparente un peu à Antoine Roquentin dans "La Nausée" de Sartre ou Adam Pollo dans "Le Procès-verbal" de le Clézio. La différence est dans l'espoir spirituel de des Esseintes, il ne s'y raccroche pas encore, mais on sent qu'il lui paraît comme sa seule issue possible.
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Voilà un roman que je n'aurais jamais eu l'idée de lire si je n'avais croisé deux fois son héros, Jean des Esseintes au cours de lectures très rapprochées et très inspirantes. D'abord dans L'enfant céleste de Maud Simonnot puis chez Julian Barnes et son Homme en rouge... Avant ça je n'avais jamais entendu parler de Huysmans, personne n'est parfait. A rebours est apparemment son roman le plus déconcertant (et décrié), paru en 1883 avant d'être réédité vingt ans plus tard, et sur lequel on a beaucoup parlé, beaucoup écrit comme nous l'apprend la passionnante préface de Pierre Jourde. Je comprends à présent pourquoi.

Difficile de qualifier ce texte, mieux vaut s'y laisser aller quitte à soupirer parfois lorsque la promenade artistique ou littéraire se fait trop pesante. On y est comme dans un cabinet de curiosités où chaque pièce exposée serait matière à disserter longuement. On s'y prend un flamboiement de couleurs, de senteurs, de bibelots, de statues, de tissus, de tableaux et de volumes ouvragés. Car des Esseintes est une sorte d'esthète érudit qui ne supporte que le sublime et bannit le commun. Au point de ne plus souffrir le monde, les autres, et choisir de s'enfermer dans une demeure isolée à la campagne avec pour seule compagnie du mobilier, des livres et des oeuvres d'art triés sur le volet. Au point de préférer recréer artificiellement ou par la pensée des odeurs, des sensations de promenades ou de voyages plutôt que de devoir affronter les foules vulgaires. 

Quelle étonnante lecture dans laquelle j'ai évolué entre fascination et perplexité. Je m'y suis sentie souvent inculte face à l'étalage des connaissances du héros dans bien des domaines à commencer par la poésie à travers les siècles ; je comprends que ce livre puisse servir de référence à un Julian Barnes pour les balades artistiques et littéraires qu'il affectionne. Il y a là de quoi considérablement agrandir le spectre de son vocabulaire, d'une richesse rare au service de descriptions époustouflantes. J'ai noté des passages incroyables autour des couleurs ou de l'édition spéciale d'un volume rare. Les prises de position du sieur des Esseintes poussent assez loin l'art de la provocation, à rebours du "prêt à penser" et l'on imagine très bien les réactions fort choquées des intellectuels de l'époque. Cela dit, cette envie de se couper du monde, de ses bruits et de ses laideurs pour se calfeutrer dans un cocon de beauté et de douceur aux murs entièrement habillés de livres, ma foi.. peut-on complètement rejeter l'idée ?
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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C'est extrêmement bien écrit, érudit, volontairement décadent et très complexe : l'auteur a élaboré soigneusement la figure d'un anti-héros, Jean des Esseintes, dandy blasé et "fin de race", esthète raffiné jusqu'aux limites de la déliquescence et du ridicule ; dont il se moque mais fait parfois, en douce, son porte-parole. Comme si, en faisant passer quelques unes de ses idées par le biais de ce personnage épuisé et loufoque, c'est Huysmans lui-même qui avançait masqué : on a furieusement l'impression de participer à un jeu de devinette qui consisterait à retrouver l'auteur caché dans ce paysage foisonnant et tarabiscoté.
C'est un roman dense, précieux, roboratif, asphyxiant. On y manque d'air comme dans la maison confinée et décorée de façon horriblement rococo par des Esseintes lui-même.
De grandes et passionnantes dissertations sur l'art et la littérature (Baudelaire, Mallarmé, Verlaine, Flaubert, Odilon Redon, Gustave Moreau, et bien d'autres) sont développées avec verve et humour, maintenant l'attention éveillée. On y retrouve quelquefois ses propres goûts et même ses dégoûts envers des monstres sacrés qu'on n'aurait pas osé attaquer et on jubile. Mais on finit par s'enliser, on aurait préféré tout ce talent exercé dans des essais critiques.
Bref cette oeuvre ressemble à une immense digression. C'est d'ailleurs ce qui fait sa très grande originalité.
La variété des thèmes abordés mériterait une étude approfondie. Mais je ne l'entreprendrai pas, par peur de tomber dans un puits sans fond. Il y faudrait des années.
Huysmans est l'écrivain préféré de Michel Houellebecq, et l'on comprend pourquoi : rigueur de style, désenchantement, humour noir sont incontestablement présents.
Avec en toile de fond l'émergence d'un monde voué à la consommation, qui coupe l'homme du règne des vivants pour en faire un être suprêmement artificiel, à l'élan vital atrophié et voué à une extinction prochaine. Le sort de la tortue du roman, morte de l'excès d'incrustations de pierres précieuses sur sa carapace, en est la préfiguration. Le déclin de l'Occident étouffé dans sa propre boursouflure est annoncé.
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Si vous cherchez un livre entrainant, un roman d'action, des intrigues croustillantes ou un ton optimiste... vous pouvez irrémédiablement passer votre chemin. À rebours est un roman, sans intrigue, sans action, quasiment sans dialogue ni rapports humains. Publié en 1884 en France par Joris-Karl Huysmans, À rebours n'a effectivement pas d'intrigue à proprement parler mais nous propose plutôt une sorte de catalogue des gouts et dégouts, des pensées et envies de son protagoniste principal (et unique) : des Esseintes.


De fait, des Esseintes est un personnage complexe et névrosé. Il s'agit d'un aristocrate complétement désoeuvré qui vit reclus dans sa propre maison, évitant au maximum les contacts humains. Érudit et esthète, la recherche de la beauté (picturale, littéraire, musicale etc.) et de la distinction dans ses gouts (il ne s'agirait tout de même pas d'aimer une oeuvre que le vulgum pecus serait également en mesure d'apprécier) l'obsède de manière pathologique. Cette recherche esthétique compulsive s'accompagne d'un plaisir lié à la provocation, d'un individualisme forcené et d'une quête du plaisir égoïste et artificiel qui reste toujours inassouvie. Sans valeurs, sans but, sans famille, sans amis, sans religion, sans travail ni utilité sociale, des Esseintes se sait perdu dans une société en quête de sens. Il se perçoit comme médiocre au sein d'une époque, d'un monde qui l'est tout autant, rejeton fragile et "dégénéré" issu d'une lignée abâtardie par l'oisiveté et la perte de ses repères moraux : c'est un décadent. Il le sait et trouve sans doute même un certain plaisir à cette idée. En dehors de brèves phases d'excitations, Des Esseintes n'en finit pas de s'ennuyer, d'un ennui sophistiqué et excentrique mais surtout désespéré et profond.


Joris-Karl Huysmans associe la forme au fond avec un style absolument remarquable où chaque mot semble avoir été soigneusement recherché et choisi avec précision. Un style précieux parfaitement coordonné avec son personnage et que l'on lit comme on savoure une friandise onctueuse. du travail d'orfèvre.


Ce roman reflète sans nul doute parfaitement ce que l'on appela l'esprit fin de siècle. Une époque où la religion s'efface ("Dieu est mort" annonça même Nietzsche en 1882) et avec elle les repères moraux traditionnels s'estompent et apparaissent dans tout leur arbitraire. La défaite de Sedan (1870), quinze ans plus tôt, a porté un coup fatal aux rêves de conquêtes et de gloire militaire en France. Reste donc pour seul exutoire le rêve matérialiste et bourgeois dans lequel des Esseintes plonge malgré lui via une inexorable soif d'accumulation (meubles, joaillerie, livres) qui comble bien mal son vide intérieur.

Ceci d'autant que notre protagoniste est également un aristocrate, dernier fruit d'un ordre social qui a peu à peu perdu le pouvoir, le prestige et le rôle social qu'il possédait dans l'ancien régime. Cela est mis en lumière dès la première phrase du livre (« À en juger par les quelques portraits conservés au château de Lourps, la famille des Floressas des Esseintes avait été, au temps jadis, composée d'athlétiques soudards, de rébarbatifs reîtres ») où une série de portraits accrochés au mur montre la « dégénérescence » de la famille au fur et à mesure des siècles. À l'image de l'aristocratie toute entière, des Esseintes est réduit à l'oisiveté et à un « déclassement » symbolique.


Si le personnage du roman est fortement ancré dans un cadre français, je ne peux m'empêcher de voir un lien avec les personnages que décrit à la même époque l'écrivain russe Fiodor Dostoievski rendus fous suite à l'effondrement des repères moraux traditionnels (déclin de la foi orthodoxe, fin du servage) comme le fameux Raskolnikov de Crime et Châtiment (1866) ou Ivan Karamasov (Les Frères Karamasov - 1879). Dostoievski résumera remarquablement la crise morale qui caractérise son époque et traverse ses personnages avec ces questions d'Aliocha Karamasov : « Mais alors, que deviendra l'homme, sans Dieu et sans immortalité ? Tout est permis, par conséquent, tout est licite ? ».


Pour en revenir à Joris-Karl Huysmans, on lui prédit* après lecture de ce livre, le funeste destin d'un suicide ou une conversion imminente à la religion chrétienne. C'est finalement la seconde option que choisira l'auteur dans les années qui suivirent.


Voilà donc un livre très intéressant qui comporte plus que son lot d'aspérités mais qui, à ma propre surprise, m'a complétement subjugué. Ce livre fut pour moi une belle expérience de lecture, sans doute la plus mémorable de cette année, car elle appartient à celles, rares, qui nous marquent parce qu'elles bouleversent nos habitudes et nous inspirent.



*Jules Barbey d'Aurevilly dans une critique du 28 juillet 1884 « Après un tel livre, il ne reste plus à l'auteur qu'à choisir entre la bouche d'un pistolet ou les pieds de la croix. »
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Quel roman !
Fatigué de la vie parisienne, lassé des amusements de sa jeunesse, Des Esseintes se retire à Fontenay. Il y a acquis une maison loin du village, qu'il aménage avec un goût particulier et y enferme tous ses trésors : livres, tableaux, meubles, liqueurs, tapis... Il entend y vivre reclus, seulement accompagné par un couple de vieux domestiques auquel il cède tout le premier étage.
Dans sa solitude, pourtant, la névrose le rattrape et le voilà, entouré de tant de richesses, de nouveau en proie aux fantaisies de son corps.

Quel roman, comme je disais, quel roman ! Rien de ce que je pourrais écrire dans cette critique ne sera à la hauteur de ce que m'a inspiré ce livre. Il s'agit d'une petite merveilleuse, tant sur le fond que sur la forme.
Une bonne moitié des chapitres reviennent sur les arts : peinture, littérature, etc, mais aussi botanique, au travers des objets que Des Esseintes a emporté dans sa maison, ce qui est l'occasion d'exposés extraordinaires d'érudition. L'autre moitié revient sur les souvenirs du personnage, un peu à la manière que Marcel Proust développera dans La Recherche du temps perdu, ou nous expose les maux dont il souffre, tout rongé par l'ennui qu'il est. Dans ce roman, Huysmans entendait rompre avec le réalisme, courant littéraire qu'il juge arrivé en fin de vie.
Quant à la forme, que dire sinon que l'écriture de Huysmans est somptueuse? J'en suis restée sans voix. Il y avait un moment que je n'avais pas été autant impressionnée par le style d'un auteur. Pour une découverte, c'est un coup de coeur !

Challenge ABC 2017/2018
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Des Esseintes, un espèce de dandy blasé par sa vie de débauche, s'exile de la ville pour chercher l'isolement le plus complet possible tout en ayant accès à tout le luxe désiré. L'élaboration de son nouveau nid douillet est décrit dans les plus infimes détails et reflète l'extrême raffinement de ce déconcertant personnage. On assiste ensuite à quelques-unes de ses manies et activités, et ceci est composé de telle sorte qu'on a l'impression de lire une collection d'essais et d'opinions, sur l'art, certains artistes, certains auteurs, ainsi que tout ce qui est susceptible d'exciter l'un de nos cinq sens, et bien d'autres choses encore.

Le personnage est intéressant mais tient souvent en même temps du vieil excentrique grincheux et méprisant, bref, il peut se montrer insupportable. Heureusement, la majorité de ses semblables se trouve à l'abri de son tempérament du fait de sa retraite solitaire. Ce n'est pas autobiographique, mais il paraît clair que J.-K. Huysmans insère beaucoup de lui-même dans ses livres. ''À rebours'' marque une rupture avec son passé naturaliste et offre au monde quelque chose de différent et de bienvenu, d'où sa célébrité.

On trouve donc de bien curieuses choses dans ce bouquin par moments. En combinaison avec l'écriture unique, stylée et pointue de cet auteur, il y a de quoi justifier l'engouement qu'il suscite. J'ai hâte de voir ce qu'en disent les autres, je suis tout de même impressionné de cette razzia de 5 étoiles.
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Le mal du siècle s'est emparé de Des Esseintes avec la même avidité que ce dernier s'empare et se nourrit d'oeuvres d'art insolites.
On pénètre dans une sorte de cabinet de curiosités aux éléments disparates et aux couleurs chatoyantes.
Esthète en proie à son mal, Des Esseintes se consume dans un huis clos - contemplatif - propice à la dissection de l'esprit.
Un roman dans lequel on ne pénètre pas à rebours qui m'a beaucoup marquée et qui me donne envie de découvrir l'oeuvre de Huysmans dans son ensemble.
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Quel est le comble du dandysme?

Se faire servir un oeuf à la coque dans une vaisselle précieuse et par ses gens de maison en grande livrée? Aller boire une bière rousse au pub de la rue de Rivoli et décréter que tout voyage à Londres est superfétatoire et vain, puisqu'on connaît désormais de fond en comble l'Angleterre? In cruster de pierres précieuses la carapace de sa tortue domestique? Donner un grand banquet pour se virginité défunte , en prenant soin d'accorder mets et boissons au noir requis par un tel deuil?

Je ne sais si tous les détails sont parfaitement exacts: je ne suis pas allée vérifier, et me suis fiée à ma seule mémoire: j'ai lu ce livre voilà plus de 30 ans, c'est dire si les marottes de l'extravagant Des Esseintes m'avaient frappée!

Ce manifeste désespéré du dandysme qui proclame hautement son refus du réel, sa haine du naturalisme, ne manque ni de panache, ni...d'humour , tant il est provocateur et outrancier. Je me souviens d'avoir ri, oui ri, et j'en souris encore en y pensant.

Que ceux toutefois qui ne supportent pas la description en littérature passent leur chemin: à côté de A rebours, Salammbô , c'est Zola rewrité par le Reader's Digest!
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De Huysmans, je ne connaissais que La Cathédrale roman lu à l'adolescence, dont je n'avais gardé qu'un vague souvenir, et dans mon esprit Huysmans était un de ces écrivains catholiques que le 19ème et le début du 20ème siècle avaient produit.
C'est d'abord le roman plutôt médiocre de Houellebecq, Soumission, qui m'a mis à nouveau sur le chemin de cet écrivain, le héros étant un spécialiste de Huysmans. En écho à la décadence présumée de notre époque, il évoque ce roman À rebours, comme un roman de la décadence et un jalon important dans l'oeuvre du romancier. Et puis, d'excellentes critiques de mes amis babeliotes m'ont amené à franchir le pas.
Je ressors ébloui, déconcerté, étourdi, ébahi, par ce roman complètement baroque, hors normes.

Le héros, Jean Floressas des Esseintes, est le dernier descendant d'une lignée de nobles abâtardis par les mariages consanguins.
Lassé du monde parisien, il décide de s'installer dans une demeure ni trop loin, ni trop près de Paris, à Fontenay, et d'y vivre, "à rebours" reclus.
Mais cette retraite n'a rien de monacal.
Des Esseintes se crée une atmosphère luxueuse, factice, et on ne peut s'empêcher, par exemple en le voyant vivre dans son imitation d'ambiance de cabine de bateau, aux ersatz de réalité virtuelle qu'est capable de nous proposer notre époque.

Le roman nous livre les expériences multiples et décadentes auxquelles se livre le héros, certains de ses souvenirs insolites, et ses réflexions diverses sur la peinture, la musique et surtout sur la littérature.

Dans les expériences, j'en retiendrai celles qui excitent les sens, parfois jusqu'à l'excès, où l'ironie pointe souvent le bout de son nez, mais où l'on trouve aussi une réminiscence des Correspondances de Baudelaire:
- Une description fascinante et morbide de toiles de Gustave Moreau, d'Odilon Redon, du Greco, de gravures d'artistes hollandais ou français;
- Une liste à faire pâlir d'alcools de toutes sortes parfois assemblées sur un orgue, l'ancêtre du piano-cocktail de Boris Vian;
- une sélection d'horribles plantes dont certaines aux formes suggestives et sensuelles, d'autres aux odeurs nauséabondes;
- un choix insensé de parfums qui vont rendre malade notre Des Esseintes.
Il y a aussi un voyage à Londres avorté et fantasmé, dont la narration est un vrai régal.
Toutes ces "expériences" se soldent par des échecs et vont progressivement faire sombrer le héros dans ce que l'on appellerait maintenant une grave dépression.

Les souvenirs racontés par Des Esseintes nous montrent un être qui cherchait à nuire aux autres ou à les pervertir, sa relation ambiguë avec un jeune homme pauvre faisant étrangement écho au poème Pauvre Enfant Pale de Mallarmé, et dans un autre chapitre ses relations bizarres avec une femme athlète, qui l'attire par sa masculinité et une ventriloque qui le plonge dans un monde d'illusions. Toutes ses recherches excentriques du factice et de l'anormalité se soldent aussi par des échecs.

Tout à fait remarquables, sauf le chapitre indigeste consacré aux écrivains latins de la décadence, sont les chapitres où notre héros se livre à l'analyse d'une série d'auteurs de son siècle, voire contemporains.
Derrière les réflexions si profondes sur Baudelaire, Barbey d'Aurevilly, qu'il met en opposition avec les médiocres écrivains catholiques de son époque, celles sur Poe (qui font penser à Freud), sur Verlaine, Villiers de l'Isle Adam, sur certaines oeuvres significatives pour lui de Flaubert (La tentation de Saint-Antoine), de Goncourt, Zola (la faute de l'abbé Mouret) enfin de Mallarmé, qui lui écrira le poème Prose pour des Esseintes, il y a un sentiment général qui rejoint ses préoccupations personnelles, le dégoût du monde, l'angoisse existentielle, le spleen, la solitude volontaire et le sentiment de l'artiste, si présent chez Baudelaire et Mallarmé, l'inutilité de la recherche des plaisirs, la tentation de la mort, mais aussi la notion de péché et de recherche du salut.
C'est tout à fait passionnant, très riche, mais d'un pessimisme noir, inspiré aussi par Schopenhauer que Des Esseintes évoque dans un autre chapitre.

La fin du livre déconcerte. Je ne vais pas la dévoiler, disons que c'est un "à rebours" à l'envers, un retour à la case départ, dont je ne sais que penser, si ce n'est que c'est une triste capitulation d'un être qualifié ainsi Barbey d'Aurevilly " le névropathe de M. Huysmans est une âme malade d'infini dans une société qui ne croit plus qu'aux choses finies".

Quelque mots sur la forme. La langue est absolument magnifique, une richesse de vocabulaire à faire frémir les candidats à une dictée de Pivot, et même les longues énumérations ne m'ont pas fatigué, il est vrai que j'ai l'expérience d'un lecteur de Georges Perec.
Et il ne faut pas croire que tout y est triste et morbide, il y a tant de passages savoureux, pleins d'ironie désabusée et d'humour. Ainsi le chapitre du départ à Londres qui se termine dans une taverne près de la Gare Saint-Lazare est absolument magique, de même le souvenir de la relation avec l'athlétique Miss Urania, ou la description musicologique de l'orgue à alcools, ou celle toute de sensualité féminine des locomotives, la blonde Crampton et la brune Engerth, ou enfin le désopilant passage sur la "falsification des substances sacramentelles", dans lequel Des Esseintes nous explique que des hosties falsifiées faites avec de la fécule de pomme de terre ne peuvent assurer la transsubstantiation!

En conclusion, vous le comprendrez, A rebours a l'apparence d'un roman, mais ce n'est pas un roman, c'est pour moi un objet littéraire non-identifié, une perle rare, et tout ce qui est rare m'est cher.
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