Je me sens à présent membre à part entière du cheptel des littérateurs. Mon absence de talent n'a pas constitué un obstacle. Je suis décidé à persévérer, à me cloîtrer des mois durant pour obtenir un produit susceptible de séduire le public et les gens des médias.
Cette fois mon personnage est un vieillard qui réussit la performance de raconter sa vie à l'impératif en se vouvoyant comme un inconnu. Le lecteur aura l'impression étrange que mon héros se donne perpétuellement l'ordre d'avoir existé.
J'ai assez souffert aujourd'hui, additionnées l'une à l'autre les petites douleurs du quotidien valent bien une migraine ou une rage de dents. Il est temps de me cloîtrer dans ma chambre. J'emporte un sachet de noix de cajou et trois canettes de bière. Je ne regarderai pas de film, je me laisserai filer comme une feuille morte le long de n'importe quel programme. Les images contribueront à m'anesthésier, à oublier jusqu'à ce travail qui m'épanouit comme un coup de pied dans le ventre.
J'éteins l'ordinateur. Je décampe. Peut-être qu'un raz-de-marée noiera la tour dans la nuit jusqu'au vingtième étage où est perché mon bureau que j'aime de tout mon cœur comme une métastase du cancer généralisé de la kyrielle des gagne-pain serviles dont ma vie a été pourrie depuis ma sortie de cet IUT en préfabriqué où les garçons étaient si rares qu'on acceptait avec reconnaissance les avances des plus laids.
Le bonheur est une sale bête après laquelle j'ai toujours couru. A chaque fois j'ai cru l'attraper et il m'a griffé au visage comme un chat exaspéré. Après une convalescence de plusieurs mois je le reprenais en chasse et une nouvelle déconvenue récompensait mes efforts.
J'ai à peine quarante ans, mais à présent je m'épargne, je me materne.
On n'a pas cru bon de m'opérer à nouveau. Pour éviter d'encombrer l'hôpital ma femme a dû trouver une clinique. Elle a pris un congé sans solde le temps que je meure. Elle me tient compagnie toute la journée. Je lui serre la main des heures entières, elle me caresse le front comme une mère. J'ai de la chance qu'elle existe.
Augustin Trapenard accueille Tatiana de Rosnay pour "Poussière blonde", roman qui raconte la rencontre entre une femme de chambre et Marilyn Monroe, paru chez Albin Michel. A ses côtés, Sonia Kronlund présente "L'Homme aux mille visages", l'histoire d'une extraordinaire imposture éditée chez Grasset, François Garde évoque "Mon oncle d'Australie", paru chez Grasset. Régis Jauffret publie, lui, "Dans le ventre de Klara", aux éditions Récamier, et Julia Malye, âgée d'à peine 18 ans, présente son premier roman, "La Louisiane", paru chez Stock.