Le peintre est un nombrilisme du pinceau: il se plait à se peindre. Offre des autoportraits avec oreille coupée (ou pas). L'écrivain, lui, hypocritement égocentrique, se plaît à se raconter, l'air de rien. Il publie des autofictions en appuyant sur la seconde partie du terme. Toussaint, lui, ne trompe pas ses lecteurs. Il brosse un portrait narquois de l'écrivain qu'il est, dans ses déplacements payés au titre de conférencier. En retenant à sa plume la drôlerie d'anecdotes exotiques.
Contribuable pas rancunière pour un sou, je suis ravie d'apprendre avoir financé une séance de travail à Hanoï où Jean-Philippe (le caritatif crée des liens. Je me sens proche du Belge soudain),
Olivier Rolin et
Tahar Ben Jelloun échangent gravement en se gavant (on mange beaucoup dans la réunion de travail) avec quatre écrivains vietnamiens, (un par génération) prompts à se réveiller lors de l'arrivée surréaliste d'une
Jane Birkin que l'on presse de chanter.
Surtout que j'aime beaucoup Jane. D'autant plus qu'elle entonne, devant un représentant du ministère: "Et quand tu as plongé dans la lagune, Nous étions tous deux nus".
J'ai un mouvement de sympathie spontanée pour le diplomate français qui a convié Jean-Phil à Sfax, afin de contenter une assemblée de neufs personnes ("peut-être dix avec l'organisateur"). Attentives, ill est vrai. Mais neuf personnes, tout de même, même très attentives ou très très attentives, c'est peu … Neuf en comptant les deux archéologues dépannées sur le trajet entre Tunis et Sfax (9 - 2, reste 7)! Bon, après tout, je milite pour que jamais la culture ne soit soumise à une quelconque rentabilité.
Ce qui est heureux pour une lectrice de Jean-Philippe; lequel ironise sur la "matière très ténue" de ses livres.
Ténue, certes mais à l'auto-dérision délectable. En terre corse, pétanquiste patenté, vacancier et non plus conférencier,
Monsieur Toussaint se brocarde (tandis que je reprends de respectueuses distances - mes impôts n'ayant pas contribué au championnat de boules local). Un portrait en deux temps: physique puis vestimentaire. Allez donc aux pages 39 et 40.Pour la jubilation.
Si l'on pioche du côté de Berlin, l'aristocrate "très prince de Savoie", Jean-Phil, laisse percer un mesquin pinailleur. Qui a raison de la germanique et désagréable charcutière. Et de Berlin, on ne saura rien. Pas plus que de Carthage où il n'y a rien à voir. Ou de Tokyo. Ou de Kyoto.
Sauf que le retour à Kyoto confronte l'écrivain à une gare désaffectée.En deux ans, la ville a plus changé que le conférencier.
Jean-Philippe Toussaint, le railleur nonchalant, devient Jean-Philippe le mélancolique qui donne sens à l'acte d'écrire: "(…) écrire était en quelque sorte une façon de résister au courant qui m'emportait, une manière de m'inscrire dans le temps, de marquer des repères dans l'immatérialité de son cours, des incisions, des égratignures".
Au prochain passage de mon percepteur, je garde le sourire.