1984. A Paris, s'ouvre le chantier de l'Opéra Bastille : démolitions, expropriations, un quartier populaire disparait sous les yeux de ses habitants résignés. A Buenos Aires, on prépare les auditions des témoins survivants d'exactions des dictatures successives. "
Bastille tango" de
Jean-François Vilar (1947-2014) est un roman noir à l'atmosphère fascinante dans lequel la représentation de la réalité par l'image (affiche, photo, film, tag, peinture) joue un rôle important.
Victor Blainville, le narrateur-témoin de
Bastille tango est photographe-reporter ; il ne tardera pas à être aussi acteur dans l'histoire. Il sort d'une liaison houleuse avec Jessica, réfugiée politique passée par les geôles des tortionnaires argentins. Il veut oublier, retrouver enfin plus de légèreté, mais son projet consolateur de rendre compte en photos du bouleversement de la Place et de ses alentours ne fera pas long feu. Il y a d'abord cette horrible affiche, menace ou dénonciation, qui apparaît soudain sur les murs voués à la démolition ; décollée, déchirée, elle est immanquablement remplacée, déplacée (je ne dévoile pas ce qu'elle représente : les toutes premières pages du roman sont époustouflantes, l'impression qu'elles laissent imprègne tout le roman, un formidable tour de passe-passe littéraire...).
Dans l'intrigue surviennent ensuite, très vite, un accident, un suicide, une disparition, qui touchent le petit monde des réfugiés argentins de la Bastille au moment où se préparent à Buenos Aires les auditions des témoins dans les procès des bourreaux de la junte militaire. Et toujours, la progression des bulldozers, le bruit, les gravats qui s'amassent, les enseignes qui tombent, quand elles n'ont pas été subtilisées à temps par Victor ou ses amis.
En marge, de beaux personnages annexes, icônes du quartier massacré, eux-mêmes fêlés, abimés : une geisha japonaise tenancière d'une boîte à tango ; une ancienne ouvreuse sans ressources, un vieux collectionneur de frivolités. Ils connaîtront des histoires d'amour bancales et désespérées, brefs moments de douceur et de poésie avant de retrouver ou de finir des vies décevantes et sans espoir.
Très tango tango, tout ça. Avec en bande-son subliminale, le Cuarteto Cedrón, les soupirs du bandonéon, les poèmes de
Julio Cortázar.
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