Aux montagnes divines.
Glaciers bleus, pics de marbre et d’ardoise, granits,
Moraines dont le vent, du Néthou jusqu’à Bègle,
Arrache, brûle et tord le froment et le seigle,
Cols abrupts, lacs, forêts pleines d’ombre et de nids !
Antres sourds, noirs vallons que les anciens bannis,
Plutôt que de ployer sous la servile règle,
Hantèrent avec l’ours, le loup, l’isard et l’aigle,
Précipices, torrents, gouffres, soyez bénis !
Ayant fui l’ergastule et le dur municipe,
L’esclave Geminus a dédié ce cippe
Aux Monts, gardiens sacrés de l’âpre liberté ;
Et sur ces sommets clairs où le silence vibre,
Dans l’air inviolable, immense et pur, jeté,
Je crois entendre encor le cri d’un homme libre !
José Maria de Heredia (Les Trophées)
Li Po
Chine, 701-762
Dialogue dans la montagne
On me demande pourquoi j'habite la verte montagne,
Souriant, je me tais, le cœur en repos.
Quand les fleurs tombent, quand l'eau passe,
Mon univers n'est plus celui des hommes.
Traduction Patricia Guillermoz
(Anthologie de la poésie chinoise, 1957)
Sonnet
Voyant ces monts de vue ainsi lointaine
Je les compare à mon long déplaisir.
Haut est leur chef, et haut est mon désir,
Leur pied est ferme et ma foi est certaine.
D'eux maint ruisseau coule et mainte fontaine,
De mes deux yeux sortent pleurs à loisir ;
De forts soupirs ne me puis dessaisir,
Et de grands vents leur cime est toute pleine.
Mille troupeaux s'y promènent et paissent,
Autant d'amours se couvent et renaissent ;
Dedans mon cœur, qui seul est ma* pâture.
Ils sont sans fruit, mon bien n'est qu'apparence,
Et d’eux à moi n'a qu'une différence,
Qu'en eux la neige, en mot la flamme dure.
Mellin de Saint Gelais (Œuvres poétiques, 1553)
*j'ai trouvé : « leur » et non « ma » sur poesie.webnet.fr, ce qui me semble vraisemblable