Paru en 1926, «
Point et ligne sur plan » est à la fois la suite et le complément d'un premier essai paru en 1911 : «
Du Spirituel dans l'art, et dans la peinture en particulier ».
On sait, de son propre aveu, que
Kandinsky n'était pas satisfait de n'avoir pu trouver dans cet ouvrage une théorie des formes cohérentes; une théorie qui soit équivalente à celle exposée pour la couleur : une morphogonie pendant de la chromogonie.
Dix ans de travail lui furent nécessaires pour développer cette théorie dont le postulat est de faire correspondre les éléments, formes et couleurs.
Plusieurs problèmes théoriques lui résistaient devant la nécessité de trouver une logique picturale d'une forme sans objet : l'évaluation intérieure cohérente pour les couleurs (relation à l'âme) peut-elle exister pour les formes?
Il lui faut donc rechercher un point de départ clair et objectif.
Quand sera-t-il alors de la fonction prophétique de l'art?
Comment concilier cette fonction qui implique un contenu figuratif avec la disparition de la représentation?
Les réponses à ces questions sont exposées dans «
Point et ligne sur plan » de manière minutieuse et très détaillée.
Par son spiritualisme,
Kandinsky est conduit à un postulat d'ordre, ordre qui sous-tend toute la théorie des formes.
1.Théorie des éléments :
-Le point, élément initial parce qu'il est le départ de l'aventure humaine picturale, l'image première de toute expression picturale.
-La ligne, née du point lorsque celui-ci sort de ses limites en perdant sa tension de nature concentrique par l'action d'une force : la dynamique humaine. La ligne, caractérisée par sa direction sur le plan devient ainsi la base de la morphogonie, sa relation à l'homme établissant un contraste de qualité de la même manière que celui établi pour les couleurs dans « Du Spirituel dans l'Art… » :
Horizontale - froid - bleu
Verticale - chaud - jaune
Diagonale - froid/chaud (différents d°) - couleurs diverses
Ainsi progressivement se construit la théorie des formes sur base de deux éléments sources : le point et la ligne, cette dernière engendrant les différentes formes.
Ces deux éléments se combinent avec le plan originel (celui-ci n'étant que le support) et chaque implantation d'un élément entraîne des effets que
Kandinsky analyse.
2. La construction, première grande étape de la théorie de l'art, est la combinaison rationnelle des éléments, les différentes parties devenant vivantes par l'ensemble.
La construction est une organisation en mettant en place un ensemble cohérent et compréhensible.
3. La composition est la deuxième étape. Elle est le but ultime pour
Kandinsky.
Considérant que «
Point et ligne sur plan » ne livrait seulement que quelques éléments sur ce terrain, il renonça à intituler son essai « Traité de composition ».
Il appelle de tous ses voeux à un travail d'évaluation intérieure réalisé sur la base d'une méthode scientifique pour franchir le pas de l'expérimental vers l'expérimentation.
N'empêche, ce livre saisissant par sa rigueur et sa profondeur permet d'aborder l'abstraction d'une tout autre manière et de regarder les oeuvres de
Kandinsky (et de bon nombre d'artistes du vingtième siècle) non plus avec curiosité ni circonspection mais avec la conscience que les qualités d'une image ne sont pas liées, nécessairement, à la figuration.
La préface éclairante et très érudite de
Philippe Sers, par son analyse et ses explications, facilite la bonne compréhension de ce livre passionnant et dense.
Cantus