Voici un livre vraiment passionnant. Bien que nous ayons là une étude rigoureuse, fouillée et strictement historique sur les cinq étudiants de Cambridge qui parvinrent à noyauter le contre-espionnage britannique au milieu du 20ème siècle, on a parfois l'impression de glisser dans un nouvel épisode des aventures de Blake et Mortimer, mais dans une des versions Sente-Juillard, beaucoup plus riches et complexes à mon gout que les épisodes originaux de
E.P. Jacobs. (Et, s'il vous plait, prenez ceci comme un compliment absolu !)
L'auteur montre comment, autour de
Kim Philby, cinq étudiants issus de la meilleure société britannique et unis par une même vision romantique du socialisme, vont accepter de trahir leur pays dans les années 30. Intellectuellement très brillants, ils parviendront tous, par la suite, à des postes éminents qui rendront leur activité d'espionnage particulièrement dangereuse pour leur pays.
Agent du MI6 pendant les années 40, Philby est officier de liaison du SIS (Secret Intelligence Service) à Washington au début des années 50. Il est alors informé de la plupart des échanges entre les services secrets britanniques et américains. Et en informe l'Union Soviétique..
Guy Burgess, personnage flamboyant et bizarrement attachant, deviendra assistant personnel de Hector
McNeil, ministre d'État du Foreign Office.
Donald McLean deviendra Premier Secrétaire du Foreign Office à l'ambassade de Washington.
John Cairncross fit également une carrière brillante au sein du Foreign Office, après avoir travaillé à
Bletchley Park pendant la guerre.. Sa participation au groupe de Cambridge fut toutefois suffisamment discrète pour qu'il puisse nier en avoir fait partie jusqu'à sa mort en 1995, malgré les révélations de ses officiers traitants soviétiques.
Mais le plus impressionnant de tous est peut-être
Anthony Blunt, qui, après une carrière au MI5, fut considéré comme l'un des plus éminents historiens d'art britanniques, et devint de 1945 à 1970 conservateur des collections royales, fonction qui lui valut d'être anobli en 1956 et lui donna accès pendant toutes ces années à la famille royale. Tout en restant une taupe soviétique..
Rémi Kauffer ne se contente pas de débrouiller l'écheveau compliqué des carrières entremêlées des cinq espions. Il montre chacun d'eux dans sa complexité psychologique, qui frise parfois la pathologie.
Trois thèmes ressortent particulièrement du récit et donnent matière à réfléchir :
1. La relation entre espionnage et sexualité, soit parce qu'elle est le ressort du recrutement de certains membres du groupe, notamment sa partie homosexuelle, soit et surtout parce qu'elle alimente l'hubris qui leur permet de surmonter les contraintes et tensions occasionnées par leur double vie.
2. L'aveuglement de ces intellectuels devant la réalité du monde communiste. On voit bien leurs relations avec leur officier traitant se tendre quand celui-ci change pour un apparatchik trop proche du standard stalinien. On peut sourire de les voir souffrir de leur exil en URSS, lorsqu'ils sont découverts. Mais quand même, il y a là un mystère d'entêtement et de déni que le livre ne lève que partiellement.
3. le conformisme crasse de l'establishment britannique, sans lequel ces cinq espions n'auraient jamais pu prospérer et qui garantira leur impunité juridique, parfaitement ahurissante, quand ils seront découverts.
Si vous aimez l'histoire et l'espionnage, voici un livre à lire comme un témoignage renversant sur l'histoire du 20ème siècle. Mais vous pouvez aussi le lire simplement comme un roman d'espionnage fascinant et très bien écrit.