JE VEUX PLUS !
Une belle et sombre histoire de sororité (terme Ô combien en vogue, sauf qu'en ce début de second millénaire où il fut écrit par
Ursula K. le Guin, il s'agissait encore de sororité stricto sensu) dans un univers presque plus proche de celui de
Robert E. Howard que de celui qui fit pourtant la célébrité de sa créatrice, les rivages de
Terremer. Il y est question d'enfermement, d'esclavage, d'injustice, de temps barbares, de relations de sang et d'amitié entre femmes, de mariages forcés, d'amours contraintes, de déracinement, d'oubli, de tendresse, de société autoritaire et paternaliste, de partage socio-économique, de violence...
Il suffit de quelques pages à la grande Ursula pour dresser, sans jamais en avoir l'air, le portrait d'une société passée et présente tout à la fois, profonde, vraie, possible, vraisemblable. Cette nouvelle, qui fait l'entame de ce (trop) rapide opus proposé par la petite maison d'édition rennaise Goater, obtint plusieurs prix, et ce fut amplement mérité.
Suivent deux essais - toujours aussi bien sentis que ceux déjà traduit dans notre langue, tel
le langage de la nuit : Essais sur la science-fiction et la fantasy, pour citer le plus connu en français - de la créatrice du cycle de l'Ekumen ainsi qu'un choix, très rapide, de poèmes. L'ensemble s'achève sur un entretien qu'eût
Ursula K. le Guin avec l'auteur de science-fiction
Terry Bisson, ainsi que quelques lignes sur l'autrice suivi d'une biographie assez complète de ses oeuvres traduites en français.
Et c'est ici que nous exprimons, parce que ce fut le cas, une vraie déception. L'ouvrage, qui compose l'un des titres de la collection "Rechute" de cette jeune maison d'édition, hommage direct à la collection "Chute Libre" des éditions Champ Libre (vers le milieu des années 70 et qui fit découvrir, entre autres,
Philip K. Dick au public français) manque clairement de quelque chose de très en vogue aujourd'hui, mais qui eût certainement été conçu sans doute à bon escient ici : une certaine contextualisation de cet ensemble d'apparence fort disparate. Ainsi le lecteur pourra-t-il se demander ce qui lie "La fille feu follet" à "Lire sans s'endormir" (une charge terrible et juste contre le capitalisme lié à la création littéraire), aux quatre malheureux poèmes qui suivent (très inégaux, pour qui connait, par exemple, ceux présents dans cet ouvrage magnifique et injustement méconnu de l'autrice :
La vallée de l'éternel retour) puis au bref essai consacré à la modestie ("La conversation des gens modestes"). Ce recueil très éclectique manque clairement d'une plume assurée, érudite et intelligente pour relier ce tout qui n'en forme pas un, qui ne tient, finalement, qu'au seul nom de son créateur.
Signalons tout de même que nous n'avons pas boudé notre plaisir de découvrir des textes inédits en français de l'une des dernières grandes plumes "classiques" de la SFFF américaine (même si
Ursula K. le Guin fut bien plus que cela), mais que cette édition nous a semblé, pour autant, un peu légère.
Le génie ne fait pas tout.