Ce livre, quoiqu'un peu confus à certaines de ses charnières, est tout bonnement passionnant, érudit et original.
C'est beaucoup pour un seul livre !
Mais c'est que son auteur a bien profité de chaque mot pour y glisser deux portraits croisés assortis d'un grand principe d'humanité et de culture.
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Le grand pillage" de Yannick le Marec est paru aux éditions "Arléa" en octobre 2022.
On y rencontre deux grandes figures orientalistes :
Pierre Loti et
Victor Segalen, deux marins-écrivains, deux officiers de la Marine de la République.
Le premier, en 1867, était passé par l'École Navale et prit l'habitude de saisir sa plume et ses crayons pour jeter sur son bloc de quoi se souvenir.
Le second était médecin, et n'aimant pas naviguer, profita de ses escales pour découvrir de nouveaux paysages, d'autres cultures et civilisations.
Les deux hommes ne s'aimaient pas.
L'un méprisait l'autre qui le haïssait.
Mais Yannick le Marec n'évoque pas ces deux hommes et leurs voyages pour être dans le vent, pour prendre la plume de la vague.
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Le grand pillage" est une réflexion, un réquisitoire même.
C'est une exposition de l'artiste chinois
Ai Weiwei à Marseille qui fut le point d'appui de ce livre de Yannick le Marec, qui lui donna envie de fouiller sous les tapis de Loti, de Segalen et d'une colonisation occidentale pire qu'un cyclone.
C'est l'envers du décor qui est ici montré et évoqué.
C'est les coups de scie mordant la pierre du grand moaï dérobé en 1872 à Rapanui, l'
île de Pâques par l'équipage français de la "Flore", frégate mixte équipée de trois mâts et d'une grande cheminée centrale à vapeur ...
(Ce grand moaï trône aujourd'hui à l'entrée du musée du quai Branly !)
C'est les massacres perpétrés en Chine et le sac du Palais d'été ...
Cette manie est toute occidentale de toujours s'accaparer, de piller, quitte à détruire et à mutiler, à n'emporter qu'un morceau.
Victot Hugo, lui-même, le grand Hugo avait ses faiblesses, collectionnait les "chinoiseries" pour sa maîtresse, lui qui écrivit :
- "Nous, européens, sommes les civilisés, et pour nous les chinois sont des barbares. Voilà ce que la civilisation a fait à la barbarie", notant en forme de conclusion, "qu'un jour, sous un autre régime politique, ces trésors devraient retourner dans leur pays".
Au XIXème siècle, l'Empire puis la République, au nom de leurs grandes valeurs universelles, ont lancé sur le monde barbare une colonisation vers la Chine, l'Océanie, l'Afrique et bien d'autres ailleurs ...
C'est là tout le thème de ce livre qui entremêle histoire, art et littérature.
Yannick le Marec réussit le tour de force de nous livrer à la fois une profonde réflexion et deux beaux portraits littéraires qui viennent l'étayer.
C'est bien écrit, c'est parfois un peu fouillis mais l'on y retrouve pourtant assez le vite le fil du mot, le sens de la phrase et du propos.
C'est intelligent et très à propos, en ces temps où une question polémique vient à enfler : bien mal acquis devra-t-il être un jour absolument restitué ? ...