Dans le confort piégé des classes affaires en tous genres, une formidable leçon de désamorçage des péroraisons les plus auto-satisfaites du capitalisme tardif s'affirmant si élégamment mondialisé. Hilarant et incisif, du grand art discret.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2023/03/01/note-de-lecture-
aires-de-prieres-helene-ling/
Conseiller financier de haut vol en investissements internationaux, Charles Serjic, à la vue d'un panonceau qu'il n'avait jusqu'alors jamais remarqué, malgré sa fréquentation assidue de l'aéroport
Charles-de-Gaulle (et de bien d'autres), panonceau indiquant un espace de méditation, ou espace de prière oecuménique désormais répandu dans la plupart des grands hubs occidentaux (ou orientaux), voit son flux de pensée, hautement blasé et joliment satisfait de lui-même – à juste titre, ajouterait-il sans doute discrètement -, prendre la direction plutôt inattendue de la sociologie du fait religieux contemporain, et de ses répercussions internationales politiques et économiques. Partageant de ce fait avec nous, lectrice ou lecteur, (ce qu'il estime sans le moindre doute être) sa culture, son sens de l'observation et sa capacité à établir des liens entre données apparemment disjointes, il reconstitue en son for intérieur, tout en allant profiter du salon VIP et de ses attentions, une forme syncrétique (à son tour) de sociologie religieuse contemporaine, qui oscille et s'entrechoque avec une possible éthique du capitalisme, naturellement (car c'est son souvenir universitaire de
Max Weber qui provoque le deuxième déclic). Lorsqu'il se retrouve, dans l'avion, à côtoyer une séduisante businesswoman chinoise, il ne peut résister à la tentation de faire étalage auprès d'elle de sa sagacité, espérant obtenir d'elle la promesse d'un dîner à Londres, leur destination commune, le lendemain soir. Mais n'y a-t-il pas d'autres manières de décoder ce qui est en train de se passer ici, à son insu narcissique ?
Dès 2006, comme le signalait ma collègue et amie Marianne dans sa note de lecture sur ce même blog (à lire ici), le court premier roman d'
Hélène Ling, «
Lieux-dits », cinglant avec élégance la muséification de Paris, nous impressionnait. Dans son troisième, «
Ombre chinoise », en 2018, elle traquait admirablement l'illusion des généalogies et des identités coulées dans le béton des mensonges.
«
Aires de prières », publié chez Jou en 2023, est son quatrième roman, et sans doute son plus malicieux à date, reprenant le fil conducteur possible de la mondialisation faussement heureuse, du métissage authentique face aux essentialisations identitaires, directes ou indirectes, et de la boue des clichés, y compris lorsqu'elle se drape dans le pseudo-« intellectualisme », syncrétique et volontiers méprisant, utilitairement matois et presque toujours blasé, des grands serviteurs du capital. En provoquant l'entrechoc d'imaginaires concurrents, qu'ils soient ou non identifiés comme tels, en débusquant les néo-fondamentalismes de toutes espèces qui se lovent au coeur des circuits financiers et commerciaux les plus repus, «
Aires de prières » déroule un redoutable tapis de névroses secrètes et de jeux de miroirs délétères qui n'a rien à envier à ceux du «
American Psycho » de
Brett Easton Ellis ou du fondamental « Mémoires posthumes de Brás Cubas » de Joaquim
Maria Machado de Assis. Dans le confort feutré et subtilement fallacieux des classes affaires en tous genres, en ne dédaignant pas un magistral et fort inattendu coup de théâtre final,
Hélène Ling nous offre en à peine 80 pages une formidable et goûteuse leçon de ruse de la raison, de contre-cynisme et de dessillement de certains tours et détours du capitalisme tardif qui passeraient sinon si volontiers dans les moeurs. du grand art, songeur et acéré, politique et retors en diable dans sa fausse bonhomie si élégante.
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