Une oeuvre qui, plus qu'un roman, pourrait être le journal de voyage d'un écrivain qui revient dans une ville où il a vécu et qu'il a beaucoup aimée, sur les traces de ses fantômes. Il n'y en a qu'un dans le titre, celui d'aziyadé, une « petite fille » avec laquelle le Narrateur a eu une liaison il y a dix ans et qu'il a abandonnée. Il n'a plus de nouvelle depuis sept ans et rêve régulièrement de sa mort. Ce portrait en partie effacé qui ne subsiste que dans la mémoire est émouvant et serre le coeur – même sans avoir lu aziyadé, ou même en en ayant des souvenirs un peu vague comme moi ; j'ai d'ailleurs préféré lire
les Désenchantées de Loti. Oui, cette histoire d'amour est plus belle maintenant qu'elle est finie, plus forte que lorsque le Narrateur et cette femme se rencontraient.
Comme dans le rêve du Narrateur, le début de l'oeuvre est donc littéralement une course contre le temps pour retrouver des indices sur Achmet, son guide et serviteur, sur la maison d'aziyadé, sur son esclave, et finalement sur l'emplacement de sa tombe. Cependant, si le Narrateur est pressé, le rythme n'est pas haletant, au contraire, l'écriture prend son temps, car le Narrateur revit plus ses souvenirs qu'il ne ressent le temps présent, celui du récit.
Et c'est là que, pour moi, le terme de « fantôme » du titre aurait pu être écrit au pluriel : aziyadé, Achmet hantent le Narrateur, mais aussi les maisons, les cafés, les rues et la ville elle-même. Istamboul a changé, ce n'est plus la ville dans laquelle le Narrateur a vécu, certains quartiers ont brûlé, d'autres ont vieilli ; car la ville s'est modernisée, ce qu'il regrette. Il cherche une ville orientale, dans le sens d'orientalisme, c'est-à-dire le goût voire la mode pour l'Orient vu comme un ailleurs exotique. Ainsi, ce qu'il regrette, c'est que la ville et les passants perdent leur originalité pour ressembler de plus en plus à des Occidentaux.
Enfin, le dernier fantôme, c'est celui du jeune Narrateur, celui qu'il était et qu'il n'est plus ; il était pauvre, inconnu, maintenant il est riche et puissant, mais il est moins heureux.
Une oeuvre dont les tonalités dominantes sont la mélancolie et la nostalgie, où l'histoire d'amour qui finit mal est celle d'un voyageur pour la ville qu'il habitait plutôt que pour la pauvre petite fille qu'il a abandonnée, portée par la beauté de la langue et de la poésie de Loti, surtout pour restituer l'accord entre un paysage et d'un coeur.