Deuxième critique : à propos de
Gabriel Matzneff
J'avais récemment publié une critique élogieuse de ce livre. Je le fais aujourd'hui dans un tout autre esprit. En effet, il y a peu j'ai eu l'occasion de voir le film
le Consentement tiré du livre de
Vanessa Springora. Un film éprouvant qui m'a rappelé les horreurs commises par
Matzneff, prédation sexuelle sur des adolescentes mais aussi de petits garçons aux Philippines et qui constituent souvent le coeur de ses ouvrages. le film rappelle les passe-droit qui permirent à
Matzneff d'échapper à la justice, et de vivre dans une certaine opulence alors même que ses livres ne se vendaient guère. Mais il est vrai que Pivot, Mitterrand ou ses éditeurs plaçaient son style bien au-dessus de la morale traditionnelle. Au nom de ses qualités littéraires, il avait en quelque sorte tous les droits. Assez terrifiant. Un bel imparfait du subjonctif peut-il faire oublier des actes de viol ?
Et puis je me suis rappelé, (cela m'avait un peu frappé mais j'avais sans doute préféré le refouler), que
Sébastien de Courtois cite
Matzneff (j'ai revérifié : p 49 dans l'édition de poche, extraite du livre
Comme le feu mêlé d'aromates). Jolie phrase par ailleurs, mais je me suis demandé ce que
Sébastien de Courtois, écrivant cela en 2014 (et non en 1990 par exemple) voulait faire ici. Il m'a semblé, et il me semble encore, que le message est le suivant : moi aussi
Sébastien de Courtois j'appartiens à la race des esthètes au-dessus de la morale traditionnelle qui place le style au-dessus de tout et au-dessus de notre morale traditionnelle et bourgeoise. Et ce faisant cela participe (mais dans une période différente de cette de la publication des oeuvres de
Matzneff) à ce discours contribuant à l'impunité du prédateur publié par Gallimard. Je ne suis pas du tout un ayatollah de la censure et je pense que le contexte est très important.
Dostoïevski fut un horrible antisémite mais il a écrit ses horreurs longtemps avant la Shoah.
Gide avait des pratiques proches de celles de
Matzneff peut-être, mais les lois étaient différentes et il fut parallèlement d'une clairvoyance sidérante face au colonialisme et aux totalitarismes, et il n'a pas fait de sa prédation sexuelle le coeur de son oeuvre.
Mon édition du Thé à Istanbul date de 2017, et il me semble qu'en auteur avisé il aurait été possible de changer ce passage pour ne pas donner l'impression que la littérature avait tous les droits, y compris de cautionner l'horreur. Je regrette d'autant plus que j'ai aimé ce livre. Mais j'aimais aussi Pivot et voir certains passages d'Apostrophe aujourd'hui provoque un certain malaise. C'est ainsi.
( Ci-dessous toutefois mon ancienne chronique :
J'ai beaucoup aimé ce récit de voyage consacré à Istanbul qui permet une approche littéraire et élégante de cette ville passionnante.
C'est très bien écrit, vraiment plaisant à lire et
Sébastien de Courtois, fin connaisseur semble-t-il, parle de ses amis turcs, décrit la ville, s'appuie sur les récits littéraires, sur
Orhan Pamuk. On se ballade ainsi parmi les églises byzantines, dans des quartiers touristiques ou pas du tout, et le livre est idéal pour approcher la ville avant un voyage, ou bien pour approfondir son voyage et réfléchir sur ce que l'on vient de voir.
le titre est élégant, et on a ainsi l'impression en plaisante compagnie de boire un thé (ou un çai !), mais le sous-titre est bien le récit d'une ville et c'est bien de la confrontation entre l'image fantasmée d'une ville très souvent décrite et la réalité d'une métropole bien plus complexe et bien moins lisse que se nourrit le livre.
Passionnant, relativement court, mais pas très écolo, car 'sauf si vous prenez l'Orient-Express) vous n'êtes pas à l'abri de prendre l'avion pas très longtemps après la lecture de ce livre, direction le Bosphore !