Quel incroyable et puissant livre que "
L'infinie patience des oiseaux". A la fois aérien et lourd. A la fois léger et grave. A la fois sensuel et sauvage. A la fois raffiné et bestial.
Un antagonisme fort entre d'un côté la description délicatement poétique des oiseaux sur la cote australienne, et de l'autre la guerre des tranchées lors de la 1ère Guerre Mondiale en
France, dans ce qu'elle a de plus atroce et de plus abjecte. Nous passons de pages d'une poésie à couper le souffle sur le vol, la grâce et l'intelligence des oiseaux dans un cadre somptueux bleu-vert aux teintes changeantes, à la cohabitation pestilentielle dans les tranchées boueuses. le vol des oiseaux contre le vol des obus. le haut et le bas. le paradis et l'enfer. La descente aux enfers. La liberté des grands espaces contre la sécurité qu'en étant à plat ventre, voire sous terre. Mais même dans cet antagonisme, les oiseaux sont toujours présents, imperturbables et indifférents aux hommes, traits d'union entre ces deux versants d'un même monde et un thème est également relaté avec beaucoup de sensibilité dans les deux versants: les valeurs humaines, l'humanité dans ce qu'elle a de plus noble et de plus précieux. Ce petit livre (216 pages) est un bijou, écrit de façon remarquable (je l'ai personnellement lu à haute voix pour mieux savourer la poésie et l'écriture toute en retenue de l'auteur).
David Malouf, auteur australien (à ne pas confondre avec
Amin Maalouf) a écrit ce magnifique roman en 1982 et a été récemment traduit en français. Il raconte l'histoire de Jim Saddler et d'Ahsley
Crowther.
Jim, jeune homme issu d'une famille modeste, au père violent, passionné par les oiseaux, est engagé par Ashley, jeune homme du même âge qui vient d'hériter de son père d'un grand domaine sur la côte australienne. Ashley aime observer les oiseaux,
Jim non seulement aime les observer mais les connait. Il connait leurs noms, leurs caractéristiques, leurs habitudes, leurs migrations. le voilà, pour son plus grand bonheur, à consigner pour Ashley, dans un livre, les nombreux oiseaux présents sur ce domaine coincé entre océan et montagne : « océan, plage, marécages, prés salés, versants de collines sèches couvertes de forêt, pics bleus déchiquetés. Chaque étagement assurait la subsistance de sa propre faune d'oiseaux : la frontière territoriale de chaque espèce y était tracée, invisible mais nette, les oiseaux étant libres de la franchir mais ne le faisant pas ». Une femme, Imogen Harcourt, viendra lui prêter main forte en y associant également sa passion pour la photographie. « de sa plus belle écriture d'écolier, formant toutes les boucles, tous les crochets, toutes les queues des lettres capitales que l'on omet quand on prend des notes à la va-vite, il les consignait, quatre ou cinq par page. Ce travail d'écriture était sérieux. Il conférait à chaque créature, par le biais de son nom, une place permanente dans le monde, comme Miss Harcourt le faisait par le biais des images. Les noms étaient magiques. »
La vie est silencieuse, contemplative, tête levée au ciel et yeux rivés aux jumelles. A admirer la beauté et l'intelligence des oiseaux, leurs migrations, les petits nouveaux. Les deux hommes ne sont pas du même milieu social mais se retrouvent dans cette contemplation silencieuse. Les mots ne sont pas nécessaires pour admirer l'oiseau lotus, l'oiseau dollar, l'ibis blanc, le courlis de Sibérie et la bécassine. Entre autres.
La IGM les amène tous deux à se mobiliser et à quitter l'Australie pour cette guerre lointaine.
Alors nous basculons avec eux dans l'enfer. Les descriptions des combats sont hallucinantes de réalisme, nous sommes avec
Jim, nous sentons l'odeur âcre de la mort, nous entendons le bruit assourdissant du chaos, nous nous abimons dans cette humidité qui fait tout pourrir, nous sommes effrayés par la férocité d'énormes rats bien nourris. « Ils combattaient l'eau qui leur faisait pourrir les pieds, et la terre qui refusait de garder sa forme ou de rester immobile, détruisant chaque jour ce qu'ils venaient tout juste de réparer ; ils combattaient l'insomnie et l'abrutissant désespoir qui en résultait, et qui résultait aussi du fait d'être, pour la première fois, aussi crasseux, avec des morpions qui pullulaient dans les coutures de leurs vêtements et dont les morsures les démangeaient et s'infectaient quand on les grattait ; et les rats revêtus du même uniforme vert-de-gris que l'ennemi invisible, qui étaient aussi gros que des chats et ne reculaient devant rien, vous galopant sur la figure dans l'obscurité et sautant hors des musettes, bondissant même pour s'emparer de croûtes juste sous votre nez. Les rats étaient gras parce qu'ils se nourrissaient des cadavres, s'enfouissant dans les entrailles d'un homme ou culbutant par dizaines dans le ventre des chevaux. Ils mangeaient. Puis ils vous galopaient sur la figure dans l'obscurité ».
Ce petit livre est un grand hymne à la paix. Se côtoient la violence d'un carnage innommable et les valeurs d'une humanité primitive et vierge. La brutalité d'un chaos meurtrier et la force de la Nature, porteuse d'espoirs et de lumière même dans les moments les plus sombres. Ce livre est poétique, beau, fort, émouvant. Je ressors de cette lecture chamboulée. le dernier chapitre contemplatif, au bord de l'océan, aura su me donner une bouffée d'oxygène salvatrice.