L'auteure m'avait déjà fait forte impression avec son premier roman,
Et tu vis encore, une histoire de famille, le poids des secrets, déjà une plume et une mise en perspective des personnages complètement originale, sortant des sentiers battus et revisitant les codes habituels du thriller, l'alternance de la narration à la première personne, intention de déboussoler le lecteur, de ne pas lui faciliter la tâche pour répondre à une seule et unique question qui sonne comme le tocsin dans un fil rouge conducteur pendant tout le roman : A leur place, qu'auriez-vous fait ... ?
Le lecteur se devait de rester concentré du début à la fin, le temps a son importance, chaque page révélant ou presque quelques particules ou poussières d'indice, dans le but de trouver la clé pour éclairer tous les tenants et aboutissants de cette intrigue qui se clôturera sur un twist génial !
Pour son deuxième roman,
Les voleurs du temps, l'auteure fait encore mieux, le talent entrevu alors explose ici, il y a clairement de la matière, le style s'est affiné, la construction de l'intrigue est encore plus travaillée et soignée, toujours cette volonté de brouiller les pistes, de ne pas jouer la carte de la banalité du récit ou de la complaisance dans les péripéties situationnelles, une lecture encore plus ambitieuse et jubilatoire que son premier roman, encore plus incisive et toujours cette part de donner la parole aux personnages, de tisser une histoire qui tient la route, j'en suis juste sorti estomaqué par une fin tout simplement réussie et surprenante !
Je remercie l'auteure,
Corinne Martel, de m'avoir donné l'opportunité de lire cette histoire assourdissante, difficile d'en sortir indemne, quelques heures après la fin de la lecture, des images qui restent encore gravées dans mon esprit, des situations chocs, une violence toujours omniprésente et éclaboussante, sans pour autant tomber dans le grand guignolesque ou de verser dans la gratuité du propos, tout est dans la peau de ses interlocuteurs, dans cette part obscure de leur état d'esprit, ces jaillissements qui ne demandent qu'à sortir et à s'exprimer, par tous les moyens, le poids du passé, les remords, la culpabilité, la vengeance, tic tac, l'horloge tourne, demain n'est plus un autre jour, l'état d'urgence est décrété, pas de compromis, l'heure est proche, l'auteur a imaginé un script absolument hors normes, une nouvelle fois, l'originalité de la mise en scène, vous découvrirez bien vite ce qui démarque son univers et ses thrillers des autres, elle sait donner dans l'audace, d'oser, d'intercaler, son exigence de développer ses personnages par ce qu'ils vivent au présent en proie aux affres de l'existence, de les faire s'agripper à ce passé pernicieux malgré eux, de les ensorceler pour mieux les piéger dans une folle odyssée meurtrière, rassurez-vous je ne vais pas spoiler, vous pouvez rester avec moi, merci, vous allez maintenant pénétrer dans une zone de non-confort, une ambiance flirtant avec le malsain, c'est grisant, oppressant souvent, angoissant parfois, j'avais toujours ce sentiment de donner de l'empathie envers certains personnages, de les comprendre, d'éprouver une forme de compassion qui me les faisait adhérer dans leur transgression, dans leur délire, des scènes subversives, une mise en abîme des personnages qui confine aux meilleurs des thrillers psychologiques !
Toujours ces clins d'oeil et références apportant une touche d'humour ... noir ou de légèreté dans le texte et sans dénaturer ou ralentir un rythme qui va crescendo, une succession de jours impertubable dans sa mécanique, l'écriture n'est jamais incohérente ou délirante, malgré toute la violence qui est déchargée, cette plume si particulière, si entraînante, une lecture qui agit vite comme une drogue, une fois lancée difficile de s'arrêter en si bon chemin, à l'instar de son premier roman, je me suis senti plus d'une fois embrouillé mais ne perdant jamais patience, ni de vue que, tôt ou tard, les clés de l'énigme allaient se démasquer mais pour mieux encore, ensuite nous désorienter, nous donner d'autres pelotes à tricoter ou à dénouer des fils qui semblent prendre un malin plaisir à nous faire perdre la tête.
Casse-tête ou sac de noeuds ?
Pourtant au fil de l'avancée de la lecture, l'auteur sait qu'il faudra bien y trouver une certaine linéarité ou adoucissement dans la narration pour toucher à cette scène finale, cet ultime coup de grâce porté par des personnages totalement en marge du tout venant, hallucinés, décapant, une atmosphère qui s'alourdit de jour en jour, des vibrations de tous les instants, impitoyable compte à rebours orchestré de main de maître par un personnage démoniaque, définitivement désaxé.
A l'instar de sa première incursion dans le thriller, l'auteure cristallise son univers autour de la famille, cette cellule qui tend à nouer et dénouer des liens forts, fragiles, un climat étouffant, un milieu inquiétant et délétère, l'abysse n'est jamais loin, le lecteur devra plonger dans des ruptures familiales et liens dysfonctionnels, derrière les façades bien sous tout rapport, les mensonges et les apparences trompeuses, les actes et responsabilités de chacun se révèleront au grand jour, les traumas et autres resurgences ne restent jamais prisonniers des esprits brisés, tout doit se payer, un jour ou l'autre, la vengeance est un plat qui se mange froid, irréversibles et inélucutables marches forcée du destin, des épreuves quasi insurmontables sauf si ...
Au milieu de tout ce chaos, quid de l'amour ? cet amour interdit, définitivement preuve d'une confiance aveugle, d'un respect mutuel hors du temps et des conventions sociales, perte des valeurs fondamentales et rassurantes, quêtes identitaires et existentielles de ses personnages, des âmes torturées et prisonnières de ténèbres opaques, des chapitres qui donneront des éléments de réponse pour élargir l'approche psychologique et cette part d'ombre nichée au coeur de chacun, les secrets sont gardés précieusement, quel est le rôle de l'un ou de l'autre dans l'aboutissement du plan final ? Qui est qui ? Quelle est la part de responsabilité des uns et des autres ?
Des relations fraternelles très fortes et prégnantes embarquent le lecteur dans des chemins truffés de tabous et d'ornières toutes plus dangereuses les unes que les autres, un plan se dessine, des pistes s'éclairent à la lueur des lampadaires qui ne vont pas tarder à briller de mille feux, des clignotants par intermittence pour mieux renverser l'intrigue et donner un certain climax qui va se faire tordre l'intrigue à souhait, pour mieux souffler le chaud et le froid, ménager le suspense qui happera, saisira d'impuissance et d'effroi, effets de stress garanti, bienvenue dans l'enfer des Voleurs du temps.
Vous saisirez le choix du titre, l'importance de la cadence infernale du temps qui passe, lentement mais sûrement, des personnages complexes et paradoxalement décomplexés, ambivalents, tout le monde connaît les monstres issus des cauchemars de notre enfance, des monstres qui risquent de sortir de sous votre lit ou de votre placard, vous aurez tout le loisir d'en élargir votre connaissance avec ce thriller.
Tout est réuni pour vous faire aussi participer à une forme invisible de dialogue avec les protagonistes, une narration à la première personne convoquant différents protagonistes, certains se jouent de tout un chacun, y compris le lecteur, ce qui augmente le centre d'intérêt et de gravité quand il s'agit d'assembler toutes les pièces du puzzle, des plaies béantes ou purulentes, vous les sentirez au plus près, rien ne sera plus comme avant, l'auteure sait y mettre les formes et donner corps, la frontière entre la vie et la mort est ténue, la folie vous guette, la schizophrénie n'est jamais loin, l'emprise est implacable, l'intrigue ingénieuse et brillante, je vais vous dire que ce thriller est encore plus maîtrisé que le premier de l'auteure, plus d'état d'âme à vouloir jouer la carte de la réserve ou de la prudence, les chevaux sont lâchés dans la nature, un roman qui se déroule souvent en vase clos et pourtant, là encore, un autre éclat, une surprise concoctée par l'écrivain vous sera réservée pour la cerise sur la gâteau. Et démontrer, s'il le fallait encore, tout le talent et l'audace de se démarquer des autres thrillers, d'apporter une touche unique et originale dans le monde du roman noir et suspense.
Enfin, ces petits clins d'oeil à l'intention de personnes connues de Facebook apportent une proximité et une spontanéité bienvenue pour alléger quelque peu certains passages du livre qui reste dans l'ensemble d'une noirceur et d'une violence certaine, sans jamais tomber dans la surenchère, important de le préciser pour ne pas faire fuir les âmes sensibles.
Une confirmation davantage qu'une belle surprise,
Corinne Martel prouve qu'elle peut sans peine rivaliser avec les meilleurs, chacun des auteurs y insufflant une touche personnelle et talentueuse, celle de l'auteure des Voleur du Temps est indéniablement ... hors normes et prenante !
C'est une auto-édition que je vous conseille fortement si vous voulez lire une histoire d'amour contrariée dotée de tous les atouts d'un excellent thriller.