Dans ce livre remarquable Jean-Clément Martin (Jcm) poursuit son travail sur la révolution française.
La lecture n'en est pas toujours aisée tant Jcm ne s'autorise, ni ne nous autorise, aucune facilité.
Il se refuse à sacrifier la complexité des situations et des personnes à une vérité trop simple ou tellement partielle qu'elle constituerait un contre sens.
Il accepte que des mystères subsistent qui pourraient ne jamais être élucidés puisque nous ne connaîtrons jamais les motivations profondes qui, au-delà des déclarations, ont présidé aux décisions prises.
Cela ne doit pas conduire à renoncer à étudier et vouloir comprendre.
L'essentiel est de rester honnête dans ses investigations et analyses.
La Révolution qui nous a fait entrer dans la modernité n'a pas été l'acte Fondateur, ni le moment Sublime que certains veulent voir.
On doit en rabattre sur sa grandeur mais on peut considérer que la grandeur de l'homme moderne est précisément sa capacité d'être sans illusions et sans faux fuyants.
Il ne s‘agit pas dans ce nouveau livre d'établir une fresque générale mais plutôt d'étudier au plus près et à la loupe le déroulé des événements qui ont conduit le roi
Louis XVI des Tuileries au Temple et du Temple à l'échafaud.
Pour ce travail l‘auteur retourne aux sources de l'information : discours, déclarations, comptes-rendus d'audiences, articles de presse, pamphlets, correspondances, mémoires, minutes de procès, etc...
Rien n'est simple ni univoque.
Les positions des uns et des autres changent dans le temps compte tenu des événements :
Saint-Just contre la peine de mort en 91, pour, fin 93, après la fuite du roi et les journées d'août 92.
Robespierre d'abord monarchiste dubitatif quant à l'intérêt d'une république, puis républicain infatigable. le même pour l'appel au peuple en 91, contre en 93.
Mais Jcm ne s'intéresse pas qu'aux figures connues et reconnues. Les témoignages de petits députés de province, d'acteurs réguliers ou occasionnels sont passés au crible.
L'objectif n'est pas de trouver LA vérité, ni d'apporter LA preuve mais d'essayer de comprendre comment les opinions se forment, évoluent puis se transforment jusqu'à se métamorphoser en opinions contraires.
Il s'agit aussi pour Jcm de faire oeuvre d'historien et de tordre le coup aux vérités trop vite admises, de démonter des visions partielles et partiales érigées en dogmes ou de dénoncer des partis pris idéologiques derrière de prétendues démonstrations objectives.
Jcm se penche sur les faits historiques comme sur des faits d'actualité. Cela donne de la consistance aux personnes, à leur état d'esprit ainsi que du contexte de l'époque.
On est plongé au coeur de la politique qui s'invente. Les manoeuvres politiciennes bien-sûr (il y en eut beaucoup) mais aussi la grande politique, celle qui définit des choix de société, dicte des valeurs morales et dessine une vision du monde.
Jcm veut sortir du couple Girondins/Montagnards qui lui semble trop réducteur en 92 face au foisonnement des idées.
Sur la base des prises de position de chacun il définit une typologie de 6 caractères révolutionnaires.
Il veut nous faire comprendre que ces caractères ne sont pas figés ; que les événements de 92 n'étaient pas inscrits dans ceux de 89 ou de 91 ; que ce ne sont pas les mêmes acteurs (pas tant les personnes que les catégories sociales) qui font prévaloir leur vision en 93 et en 91, les majorités se nouant et de dénouant au gré des rapports de force et des alliances.
Faut-il poursuivre la révolution ou la stopper pour assoir la république sur des bases solides ? République représentative ou république populaire ?
Et que faire du roi ? peut-il être jugé ? Doit-il l'être ? Et par quel tribunal ? Pour quelle sentence ?
Aucune de ces questions n'a été traitée à la légère par les révolutionnaires.
À partir du moment où la décision de juger le roi a été prise, les radicaux comme les modérés ont eu conscience que l'enjeu était important, qu'ils étaient tenus à un devoir d'exemplarité et que les formes devaient être respectées. Ce qui n'a pas empêché les débats d'être houleux et très violents ; c'est l'extraordinaire habileté de Barère qui a permis de trouver les compromis indispensables pour avancer, sauvant ainsi la Convention de l'explosion qui la menaçait.
Parmi toutes les sentences envisagées c'est celle des partisans de son exécution sans condition qui a fini par l'emporter, d'une très courte majorité.
Cette issue n'était pas la seule possible.
Mais c'est celle qui est apparue comme la plus à même de sortir le pays de la crise sociale et institutionnelle où il s'enlisait.
Il s'agissait de satisfaire d'une certaine manière les exigences des formations populaires (Commune, sections...) mais d'empêcher qu'elles prennent le pouvoir pour que l'assemblée garde la direction de la nation.
À lire Jcm on comprend que la révolution ne s'est pas déroulée selon un schéma établi à l'avance par de grandes têtes pensantes (même si elle n'en a pas manqué), ni n'a été une machine qui aurait échappé au contrôle d'apprentis sorciers.
Notre Révolution n'est définitivement plus un bloc.