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Denise Naert (Traducteur)Pierre Naert (Traducteur)
EAN : 9782748900248
315 pages
Agone (08/03/2004)
4.32/5   19 notes
Résumé :
Y en a-t-il encore parmi vous qui pensent que les vagabonds prennent la route par désir de jouissance ? Ces hommes-là sont égarés. Et on leur reproche leur égarement. " À eux d'en tâter aussi ! dit-on. De sentir l'effet que ça fait de damer le macadam ou de tailler des pavés! Que ces canailles sachent ce que c'est que de faire bouillir l'asphalte et de se balader au soleil auprès de cette marmite infernale! " Ici les hommes font la grève pour de bon. Ils ne la font ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Je ne m'attendais pas à trouver dans la liste des Nobel un petit frère de Jack London de ce côté de l'Atlantique : passé par tous les métiers manuels comme lui, expérience maritime comme lui, expérience de la route également et comme lui devenu écrivain dit prolétarien, Harry Martinson comme Jack London dans Les vagabonds du rail évoque ici le sort des « hobos » qui, dans la Suède du début du 20ème siècle s'est vidée de la moitié de sa population au profit de l'Amérique et a jeté sur les routes ceux dont l'industrialisation naissante ne voulait plus.
Ou qui eux-mêmes ne voulaient pas de cette vie nouvelle asservie à la machine, et ce sont ces vagabonds-là qui irradient de leur lumière ténue mais puissante dans ce roman magnifique. Des hommes conscients de leur dépendance à la misère, aux peurs qu'ils inspirent à la société, conscients donc que la route n'est pas la liberté mais farouchement décidés à mener leur chemin dans les espaces libres de ces chaînes qui étaient en train d'envahir toute la société moderne, quelque interlopes que soient ces espaces.
En une suite de tableaux, on suit Bolle, artisan cigarier qui, voyant disparaître son métier d'artisan, puis partir son précieux collègue et sa promise pour l'Amérique, se fait trimardeur. Par ses yeux, on voit les regards suspicieux, apeurés ou haineux des bonnes gens auprès desquels il mendie, mais on perçoit également la plénitude d'un homme qui a choisi de se donner le temp de voir se coucher le soleil ; par ses sens, on ressent la faim, le froid, la frustration du mâle, mais aussi une capacité de pénétration du sens profond des choses ; par ses mots enfin, dans les nombreux échanges de haut vol avec ses frères de galère qui émaillent le roman, on perçoit tantôt la solidarité tantôt la défiance, ici l'espoir et là le découragement, mais toujours une vision lucide de la condition humaine autant qu'une fierté princière à ne pas renoncer.
Une splendide découverte qui me donne envie d'aller vers les oeuvres poétiques de cet auteur méconnu.
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La figure du vagabond en littérature traîne avec elle tout un imaginaire poétique et romantique. Si la poésie est bien présente dans le livre de Harry Martinson (1904-1978), ce n'est pas par romantisme que les vagabonds qu'il met en scène ont pris la route. Nous sommes à la fin du XIXème siècle et au début du XXème siècle, en Suède. Les transformations économiques et sociales induites par la percée du capitalisme industriel forcent à l'émigration vers l'Amérique un million de Suédois, et jettent sur les routes des dizaines de milliers d'autres. Certains resteront vagabonds, préférant mendier leur nourriture et un abri pour la nuit plutôt que de grossir les rangs des forçats du travail obligatoire. Leurs motivations ne sont pas précises, ils se sentent poussés par une sorte d'instinct à mener cette existence marginale et à refuser la vie des « honnêtes gens » : Dans tous les pays il existe des milliers de gens qui ne veulent pas de la réalité de la majorité. Ils n'y voient qu'enfer et damnation. Et ils prennent la route, quoique ce soit également un enfer de crainte et de blâmes. Mais ils le font quand même. Ils partent malgré tout. Par malice et par esprit de rébellion, à défaut d'autres motifs.
La vie sur le trimard n'est pas de tout repos. le vagabond est un être instable et inquiet. Ses joies sont éphémères et sa liberté est toute relative. Il doit subir les reproches et les humiliations de la société pour prix de sa mendicité. Il risque les travaux forcés lorsqu'il est pris plusieurs fois à vagabonder par les policiers. Mais son plus grand problème c'est la peur, cette peur qu'il inspire au sédentaire et qui le force à se détourner des gens lorsqu'il en croise sur sa route, cette « peur exagérée que les gens aient exagérément peur de lui ». Malgré tout il lui arrive parfois, rarement, de rencontrer au détour du chemin des âmes accueillantes et compréhensives, surtout parmi les vieux, les malades, les isolés, autres marginaux comme lui.
Ce livre n'est pas un roman, plutôt une succession de tableaux sur la vie des vagabonds. On y croise entre autres Bolle l'ancien ouvrier cigarier, Sandemar le globe-trotter intellectuel, Poussière des Chemins le fataliste, Axne le vagabond malgré lui. Ils ont en commun de rejeter l'hypocrisie de la société bourgeoise et de fuir le travail vécu comme une torture. Ils sont paresseux non par désir de jouissance mais par défi, « par malaise », « par impuissance », « ils bravent le travail en le refusant ». de l'apathie comme révolte.
Harry Martinson sait de quoi il parle. Fils de petits commerçants, abandonné par sa mère veuve alors qu'il avait six ans, il s'embarque à l'âge de seize ans et parcourt toutes les mers pour gagner sa vie. Il va exercer toutes sortes de boulots sur mer comme sur terre, avant de commencer à publier des poèmes dans les journaux. Son oeuvre poétique et en prose se nourrira de cette vie d'errance et de travail. Rattaché à la génération des écrivains prolétariens, Martinson a reçu le prix Nobel de littérature en 1974.

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"Does it take much of a man to see his whole life go down
To look up on the world from a hole in the ground
To wait for your future like a horse that's gone lame
To lie in the gutter and die with no name?"
(Bob Dylan, Only A Hobo, 1963)

Pourquoi commencer une critique de ce livre de Martinson en citant un couplet d'une obscure chanson de B. Dylan ?
Tout simplement parce que cette chanson résume en peu de mots la destinée tragique des vagabonds, trimardeurs et chemineaux dont il est question dans ce livre.
Et aussi parce que Dylan et Martinson ont en commun d'avoir obtenu le Prix Nobel de Littérature et d'avoir eu à subir des propos méprisants suite à cette distinction.

Pourtant, il est incontestable que l'oeuvre de Martinson fait écho au testament d'Alfred Nobel qui souhaitait récompenser des oeuvres littéraires ayant "fait la preuve d'un puissant idéal".

En nous invitant à cheminer avec un vagabond nommé Bolle, l'auteur nous fait découvrir toutes les facettes de cette vie hors du commun.
Du début à la fin de son errance, Bolle sillonne la Suède. Telle est sa vie. Sa raison de vivre et de survivre.
Il n'attend plus grand chose du monde dans lequel il a vécu. Un peu de chaleur quand il fait trop froid. Un peu de nourriture pour tenir debout et continuer.

Plutôt que de se mettre lui-même dans la peau d'un sans-abri (comme le fit le sociologue américain Nels Anderson au début des années 1920), Harry Martinson s'attache à décrire en détail les états d'âme de son personnage. Cela donne lieu à quelques chapitres magnifiques ("La peur", "La barbe", "Les montés") dans lesquels on se trouve plongé dans ce monde cruel de l'errance.
La description des grands espaces scandinaves renvoie davantage à la noirceur d'un film d'Aki Kaurismäki qu'à l'exaltation de la liberté naturelle dépeinte par Arto Paasilinna dans le lièvre de Vatanen.
Ici, les routes sont interminables et certaines sont à éviter absolument, sous peine de se voir envoyer en prison pour vagabondage.

Il serait possible d'écrire encore longuement sur ce chef d'oeuvre méconnu, en insistant sur la précision de l'écriture, sur l'humanisme profond qui s'en dégage ou sur l'éblouissant chapitre final. Mais cela ne suffirait pas pour exprimer ce qu'on ressent à le lecture de ce livre.
Ni optimiste, ni pessimiste, Harry Martinson nous donne à voir une réalité qu'on préfère souvent occulter : c'est parfois douloureux mais c'est incontestablement salutaire.

"When you got nothing, you got nothing to lose.
You're invisible now, you got no secrets to conceal"
(Bob Dylan, Like A Rolling Stone, 1965)
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"Tu veux dire qu'il ne faut jamais penser la vérité? Qu'il faut toujours embellir les circonstances réelles?

- Oui, toujours. Je veux dire que la beauté qu'on ajoute aux choses leur a d'abord été enlevée."

Il est bien probable que vous soyez comme nous et que le nom d'Harry Martinson ne vous dise pas grand chose. Harry Martinson, écrivain suédois que l'histoire de la littérature classe dans les "écrivains prolétariens" qui firent entendre leur voix dans la première moitié du XXe siècle, fait partie de ses écrivains oubliés à coup de prix Nobel.

La société des vagabonds nous invite à un voyage intérieur dans ce monde des chemineaux et des trimardeurs en des temps où l'industrialisation et les progrès technologiques mettent tout un peuple d'artisans à la rue, laissant miroiter aux plus chanceux le mirage de l'Amérique. Bolle, lui, ne sera pas des chanceux qui parviendront à franchir l'océan à la quête d'une autre vie. Cigarier, il sera mis au chômage par les machines et le succès des cigarettes industrielles, "car lorsque la mécanique s'est insinuée dans un métier, elle y reste à jamais". Repoussé par celle qu'il voudrait aimer, il sera aussi perdant au coup de dés qui aurait pu lui ouvrir l'horizon du grand voyage.

Irrépressiblement, Bolle prendra alors la route, marchant du nord au sud, d'est en ouest, d'un village à l'autre, de la montagne aux forêts, d'une rencontre à une autre, sans jamais cesser d'aller son chemin. Pour échapper au froid humiliant de l'hiver - celui qui est dans le coeur de ces hommes bien pensant, travailleurs et sur d'eux-mêmes - il y a l'enfer brûlant des briqueteries où se réfugie tout un peuple de vagabonds. Ce n'ai pas que le travail leur fasse peur, mais leur rapport au travail tel que le pense les moralistes de tous bords, c'est un monde d'enfermement et de peur qu'ils préfèrent éviter. Cela n'est pas simple et l'apprentissage est parfois dur. Apprendre à ne pas faire peur, à avaler toutes sortes d'humiliations pour peut-être avoir le droit à un peu de rêve.

"Si on veut arriver à Klockrike, il faut que ce soit en rêve. C'est pour cela que le rêve existe. Pour que l'homme puisse aller plus loin qu'avec ses propres jambes et se libérer de ses chaînes."

Cela en évitant autant que possible de se retrouver à Berget, la prison où les trimardeurs cassent les pierres.

"Les raisons d'arpenter les routes du pays, année après année, se comptaient par milliers.

L'une des plus belles était les forêts, la forêt.

Les forêts avaient une façon de se dissimuler derrière elles-mêmes, d'arbre en arbre, de crête en crête, et de ne jamais cesser de promettre quelque chose de caché."

On trouve chez Martinson un peu de cette mythologie de la nature et du vagabond qu'on rencontre dans l'oeuvre de Knut Hamsun l'écrivain norvégien, mais le fond n'est pas le même. La question du vagabondage, de l'errance est ici autant sociale que morale ou philosophique. de tous temps vagabonds et marginaux ont fait et font peur, et un rien peut justifier toutes les violences "honnêtes" à leur égard.

"Espèce de propre à rien qui traîne constamment sur les routes. Vous n'avez pas honte? Maudit voyou! Vous allez recevoir une bénédiction que vous n'oublierez pas de sitôt. Une bonne raclée, oui. Pour une fois vous allez voir ce que c'est que de rencontrer un honnête homme. (...) Oh oh, vous regimbez? Vous n'en avez pas le droit, pas du tout. Vous n'avez pas le droit de faire un mouvement dans ma maison. Remuer un doigt est une violation de domicile. Vous défendre? Vous dites que vous avez le droit de vous défendre? Ah! Ah! C'est ridicule de prétendre cela. Chaque mouvement, chaque pas que vous faites est un délit contre la société, contre les gens honnêtes et ceux qui travaillent."

Proche des mouvements anarchiste et du socialisme de ce temps, Martinson a puisé dans sa propre expérience pour écrire et décrire cette société des vagabonds. Ces récits, parus en Suède en 1948, font suite à la biographie qu'il avait publié dans les années trente. L'écriture porte ma marque de ce temps-là mais les réalités qu'elle porte sont toujours parmi nous, même si les "vagabonds" ont pu changer de nom et de style.
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Un roman qui nous offre une plongée dans le monde des trimardeurs suédois vécue de l'intérieur. Où le réalisme se joint à la philosophie et à la légende. Un roman à lire en prenant son temps de voyager avec ces hommes qui ont choisi la route plutôt l'esclavage. Une liberté qui se paie cher car leur quotidien est fait de peur, de faim, de froid, de solitude ou d'humiliations. Mais aussi de rencontres généreuses et douces, tellement rares. Une façon de vivre qui ne correspond pas à la majorité mais qui est défendable et compréhensible. Un roman pour s'interroger sur notre vie et notre manière d'être.
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Citations et extraits (10) Voir plus Ajouter une citation
Ils disent qu'on n'arrête pas le progrès. Les machines sont une bénédiction à condition qu'elles tombent dans des mans honnêtes.
Mais y a-t-il sur terre un homme qui n'ait pas considéré ses mains comme honnêtes?
Tout ça, ce sont des illusions sur la bonté de l'homme, pourvu qu'il soit un numéro dans une association, se dit Bolle.
n multiplie les machines.
On répand cette façon de penser.
C'est exactement cela. C'est le mot. on répand le raisonnement qui transforme tout en entreprise industrielle.
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La tartine de morale distribuée avec la pain était si lourde....
On n'a jamais pu savoir si le péché est plus fort que la morale. Les choses les plus épouvantables de la terre ont été accomplies en son nom. Ce sont les monstrueux péchés de la morale.
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Seule la nature entière est vraie.
Le reste, ce ne sont que des consolations que l'homme se confectionne. Et quand il ne convertit pas les autres à son choix, il les persécute, devient chasseur d'hommes, chevalier d'intolérance, fanatique.
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" Le meilleur logis, ici-bas, à mon avis
c'est celui où nous nous retrouvons au soir de la vie,
où le vagabond repose au milieu des gens de renom,
d'où nul n'est expulsé, qu'il paie son loyer ou non.
Lorsque, changés en terreau et en vers, ma foi,
nous ferons de la mort le charroi
vers l'Octroi.


Chant des vagabonds
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Quand le monde sera devenu un chaos organisé, rempli de machines se combattant les unes les autres, la paresse et l'apathie seront choses importantes en comparaison. Ce sera la paille dans l'oeil d'autrui. Un monde comme ça, c'est l'enfer. Il mérite qu'on le fuie, qu'on fasse la sourde oreille, qu'on refuse de coopérer avec lui et qu'on lui fasse cadeau de sa force.
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