La merveilleuse écriture de Merleau-Ponty pose les conclusions de sa pensée dans ce texte qui se voulait une introduction à son grand oeuvre, humblement intitulé "L'origine de la Vérité".
Nous n'aurions pas été déçu d'apprendre quelle était cette origine. Il reste ce texte introductif qui résume la pensée du philosophe et sur laquelle devait se projeter une nouvelle progression. Il s'aborde donc plus simplement que la Phénoménologie de la Perception.
Il faut abandonner le vocabulaire et les concepts de la philosophie classique tel que conscience, sujet, objet, réalité en soi, essence, Idée, etc. Ces notions ne permettent jamais de comprendre en quoi ce que je vois est une réalité semblable à ce que perçoit autrui, elles opposent les subjectivités qui prétendent chacune constituer le monde à sa manière, faisant disparaître la réalité sous le couvert d'une illusion idéalisée en esprit.
Au contraire, il faut se considérer comme un néant qui se nie et la réalité comme ce qui est, ce qui remplit le vide de l'individu. Cette conception est-elle juste dans l'absolu ? Car in fine, il reste toujours quelque chose qui pense en moi, qui voit, qui décide : je ne suis donc pas néant, je ne suis pas "rien". Mais inverser les données de la philosophie qui voyait le plein dans la pensée et le vide dans le monde, permet d'expliquer en quoi cette réalité pleine que je vois est la même que celle qu'autrui voit. Bien sûr, nous la voyons chacun à notre manière, mais la source est la même, et elle n'a plus rien de mystérieux comme l'essence de Kant ou l'Idée platonicienne. La réalité n'est que ce que je vois et rien d'autre.
Cette conception de l'existence autorise alors que nous comprenions comment l'intersubjectivité s'organise, comment nous pouvons ensemble, ignorants que nous sommes, puits au fond desquels un peu de sédiments de connaissance seulement s'est déposés, dépasser nos connaissance et les projeter dans la recherche d'une compréhension mutuelle, donc plus affinée, plus subtile de ce qu'est la réalité, l'être, la pensée et toute chose. Concevoir l'être comme un plein et l'individu comme un néant est la condition qui nous autorise à envisager de vivre ensemble.
Cette idée d'un néant qui inexiste peut sembler étrange, surtout dans la France de Charles de Gaulle où la réalité et les connaissances se constituent en bloc, mais elle donne à comprendre 60 ans plus tard la manière dont notre époque fonctionne, ce que nous appelons avec évidence le "second degré".
La pensée de Merleau-Ponty était sans doute à l'avant-garde dans les année 50, elle semble actuelle aujourd'hui : se serait-elle généralisée ? Ce texte nous ouvre quoi qu'il en soit des perspectives de compréhension de notre époque.
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Déjà notre existence de voyants, c'est-à-dire, avons-nous dit, d'êtres qui retournent le monde sur lui-même et qui passent de l'autre côté, et qui s'entrevoient, qui voient par les yeux l'un de l'autre, et surtout notre existence d'êtres sonores pour les autres et pour eux-mêmes, contiennent tout ce qui est requis pour qu'il y ait de l'un à l'autre parole, parole sur le monde.
Avec la première vision, le premier contact, le premier plaisir, il y a initiation, c'est-à-dire, non pas position d'un contenu, mais ouverture d'une dimension qui ne pourra plus être refermée, établissement d'un niveau par rapport auquel désormais toute autre expérience sera repérée. L'idée est ce niveau, cette dimension, non pas donc un invisible de fait, comme un objet caché derrière un autre, et non pas un invisible absolu, qui n'aurait rien à faire avec le visible, mais l'invisible de ce monde, celui qui l'habite, le soutient et le rend visible, sa possibilité intérieure et propre, l’Être de cet étant.
Il ne faut même pas dire, comme nous le
faisions tout à l'heure, que le corps est fait de deux feuillets, dont l'un,
celui du « sensible », est solidaire du reste du monde ; il n'y a pas en lui
deux feuillets ou deux couches, il n'est fondamentalement ni chose vue
seulement, ni voyant seulement, il est la Visibilité tantôt errante et
tantôt rassemblée, et, a ce titre, il n'est pas dans le monde, il ne détient
pas, comme dans une enceinte privée, sa vue du monde : il voit le
monde même, le monde de tous, et sans avoir à sortir de « soi », parce
qu'il n'est tout entier, parce que ses Mains, ses yeux, ne sont rien d'autre,
que cette référence d'un visible, d'un tangible-étalon à tous ceux dont il
porte la ressemblance, et dont il recueille le témoignage, par une magie
qui est la vision, le toucher mêmes.
Sartre dit bien qu'à la fin de son livre il sera permis
de passer à un sens plus large de l’Être, qui contient l'Être et le néant.
Mais ce n'est pas que l'opposition initiale ait été dépassée, elle demeure
dans ; toute sa rigueur ; c'est elle qui justifie son renversement, qui
triomphe dans cette défaite ; la passion du Pour Soi, qui se sacrifie pour
que l'être soit, est encore sa négation par lui-même. Il est tacitement
entendu que, d'un bout à l'autre du livre, on parle du même néant et du
même être, qu'un unique spectateur est témoin du progrès, qu'il n'est
pas pris lui-même dans le mouvement, et que, dans cette mesure, le
mouvement est illusoire.
La philosophie n'est pas science, parce que la science croit pouvoir survoler son objet, tient pour acquise la corrélation du savoir et de l'être, alors que la philosophie est l'ensemble des questions où celui qui questionne est lui-même mis en cause par la question.
Fanny Arama
Camille Froidevaux-Metterie
Najat Vallaud-Belkacem
Kaori Ito
La façon dont une culture traite le corps – en particulier le corps des femmes – dit une profonde vérité sur cette culture. le corps est en effet une construction : il prend forme au cours de notre vie et en fonction de nos relations, il est modelé par nos choix, mais également forgé par les institutions, leurs diktats et leurs requêtes. Les sciences humaines et la philosophie ont mis en évidence cette construction sociale du corps – cette « incorporation » : le corps est façonné, comme l'a montré Foucault, par une kyrielle de dispositifs disciplinaires qui en font une « chair » à racheter, une force de travail à employer, un organisme à soigner, mais aussi, dirait Merleau-Ponty, le véhicule de notre advenir au monde que l'être au monde nous oblige à ajouter sans cesse. Mais le corps n'est jamais neutre : il est déterminé entre autres par des facteurs de race et de genre. Réfléchir sur le corps construit implique donc qu'on analyse la manière dont il est construit, qu'on voie quels corps sont construits, selon quels différentiels, et qu'on mette au jour les effets qui produisent les inégalités de pouvoir entre les hommes et femmes. Dans une telle construction sociale, l'empreinte machiste a été déterminante: aussi le corps féminin a-t-il été façonné selon les désirs des hommes. Quelle vérité sur le corps des femmes – maternité, menstruations, ménopause, apparence, sexualité… – apparaîtrait si, dans une perspective féministe, on déconstruisait cet ensemble iconique et idéologique dans lequel l'homme a trouvé les outils de sa domination, sinon les justifications de sa violence symbolique et réelle exercée sur les corps des femmes ?
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