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Marianne Faurobert (Traducteur)
EAN : 9782264082497
240 pages
10-18 (05/01/2023)
  Existe en édition audio
3.99/5   452 notes
Résumé :
Sur les pentes abruptes du mont Kujira-yama, au milieu d'un immense jardin, se dresse une cabine téléphonique : le Téléphone du vent. Chaque année, des milliers de personnes décrochent le combiné pour confier au vent des messages à destination de leurs proches disparus.
En perdant sa mère et sa fille, emportées par le tsunami de 2011, Yui a perdu le sens de sa vie. C'est pour leur exprimer sa peine qu'elle se rend au mont Kujira-yama, où elle rencontre Takes... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (152) Voir plus Ajouter une critique
3,99

sur 452 notes
« Yui lui avait appris que demain, par principe, n'existe pas. »
Yui le sait bien elle qui a perdu sa mère et sa fille dans le terrible tsunami du 11 mars 2011. Et rien ne peut atténuer sa culpabilité d'être toujours vivante et sa difficulté à surmonter ce deuil, à vivre sans elles. Quand elle découvre l'existence d'une cabine téléphonique battue par les vents où il est possible de s'épancher auprès de ceux qui sont partis, elle s' y rend et rencontre Takeshi, père d'une petite fille, endeuillé par le décès de sa femme. Une rencontre décisive. Désormais le voyage dans ce lieu de confession se fera à deux…
Un très beau roman sur le deuil, la résilience, la reconstruction, l'acceptation d'aimer à nouveau. C'est doux, poétique, pudique, émouvant. Une très belle lecture.
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le Téléphone du vent , sur le mont Kujira-yama, existe vraiment. Au sein d'un beau jardin, dans la cabine venteuse, les êtres endeuillés décrochent le vieux combiné noir et parlent aux proches perdus...

Yui, animatrice radio, découvre son existence. Elle décide de s'y rendre, hantée toujours par la disparition de sa mère et de sa petite-fille dans le tsunami de 2011. Elle y rencontre Takeshi, dont la femme est morte d'un cancer.

Quel magnifique roman! Délicat, poignant sans être larmoyant, il livre peu à peu la difficile reconstruction des vivants, à travers quelques destins liés a ce lieu de résilience. Yui et Takeshi vont se rapprocher mais envisager un avenir est tellement angoissant et complexe. La nostalgie douloureuse se mêle ici à la douceur, la chaleur humaine, notamment celle du gardien de cet endroit émouvant, et l'espoir vacillant mais présent.

Ce que nous confions au vent, ces bribes de mots que l'on aurait voulu dire, ces aveux murmurés, cet amour qui s'envole vers les sommets...
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J'ai beaucoup aimé ce magnifique roman lu par Clara Brajtman avec le ton juste et une voix douce qui donne vie à Yui, une animatrice de radio qui a perdu sa mère et sa petite fille de trois ans lors du tsunami du 11 mars 2011 et qui ne s'en remet pas. Trois plus tard, alors qu'elle présente une émission sur le deuil, un auditeur parle du téléphone du vent, installé dans un grand jardin. Il n'est pas branché et les gens viennent y parler à leurs proches décédés. Yui décide alors de s'y rendre. Elle ne peut franchir le pas et parler à ses disparus lors de ce premier voyage, mais elle rencontre Takeshi, un chirurgien qui a perdu sa femme et dont la petite fille de six ans ne parle plus depuis lors. Ils reviennent chaque mois dans le jardin et rencontrent d'autres personnes endeuillées, partagent leurs histoires et s'entraident de leur mieux. Peu à peu Yui et Takeshi se lient d'amitié, apprennent à se connaître. La vie reprend ses droits petit à petit, ils osent aspirer au bonheur et à l'amour retrouvé. Cette nouvelle étape de leur vie n'est pas simple pour la jeune femme qui a beaucoup de peine à se donner le droit d'aimer de nouveau et se pose beaucoup de questions sur ce que sera sa relation avec Hanna lorsqu'elle sera adolescente, arrivera-t'elle à l'aimer vraiment et supporter un conflit probable ?

Ce roman est très touchant, tout en délicatesse et en poésie, les sentiments blessés des héros sont décrits avec une grande pudeur. L'auteure y parle des différentes étapes du deuil et aussi de différents deuils. Certaines personnes sont encore en vie, mais tellement atteinte dans leur intégrité que leurs proches sont en deuil, comme le fils de ce pêcheur, survivant du tsunami mais qui y a laissé sa raison, il lui faudra de nombreuses rencontres avant de pouvoir raconté son histoire à ses amis. La petite Hanna ne retrouvera la parole qu'après avoir parlé à sa mère dans le téléphone du vent. Ce téléphone existe vraiment et aide de nombreuses personnes à avancer dans leur processus de deuil, afin que la vie puisse reprendre le dessus. Venant d'une culture où le fait de parler aux morts est un tabou absolu, j'avoue que cette pratique m'étonne.

J'ai beaucoup aimé le personnage de Yui, qui a toujours le bon ton. Elle parle de ses sentiments avec pudeur et on suit ses lents progrès sur le chemin du retour à la vie. Son questionnement sonne juste, elle ne se lance pas tête baissée dans sa nouvelle vie. Entre les chapitres, il y a des listes diverses, concernant les personnages. Elles disent l'importance des petites choses de la vie et du moment présent, du fait qu'il faut savourer le bonheur quand il est là. Yui avait acheté plusieurs cadeaux et vêtements pour sa fille d'avance et n'a jamais pu les lui donner, elle décide alors d'offrir tout de suite ce qu'elle prévoit. Elle se demande si le risque d'être rejetée durant l'adolescence d'Hanna, dans dix ans, vaut la peine d'être pris. Finalement ce rejet n'est pas une certitude et tout peut bien se passer, Yui ose alors aller de l'avant. On ne sait pas ce que l'avenir nous réserve et il ne faut pas se priver d'un bonheur présent à cause de problèmes qui ne se poseront peut-être même pas. Je pense que toutes les femmes qui tombent amoureuse d'un père de famille se posent ces questions-là.

Ce livre est un magnifique hymne à la vie et à la résilience, il nous parle de la douleur universelle de la perte. Mais l'espoir existe et avec le temps, la vie continue grâce à l'amour et à l'amitié. On n'oublie pas les défunts, mais on accepte que notre vie ne finisse pas avec la leur. Un grand merci à Audiolib et Netgalley pour ce coup de coeur. La couverture est aussi très belle et sa
Lien : https://patpolar48361071.wor..
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Il existe au Japon, sur les pentes du mont Kujira-yama, dans le jardin de Bell Gardia, une cabine téléphonique. Installée après le séisme du 11 mars 2011 qui a entraîné un des plus terribles tsunamis de l'histoire ainsi que l'accident nucléaire de Fukushima, elle accueille ceux qui ont survécu à cette catastrophe sans pour autant s'en être sortis indemnes : par l'intermédiaire de ce Téléphone du vent coupé de toute connexion, ils s'adressent à leurs proches disparus et laissent s'envoler les mots qu'ils ont besoin de leur dire. C'est le point de départ du roman de Laura Imai Messina. Dans Ce que nous confions au vent, elle donne vie à Yui, une jeune animatrice radio qui entend pour la première fois parler de ce téléphone grâce à un auditeur, lors d'une émission consacrée au deuil. Se rendre sur place lui apparaît alors comme une nécessité, elle qui a perdu lors du tsunami de 2011 sa mère et sa fille. Alors qu'elle s'approche du but de son voyage, Yui fait la connaissance de Takeshi qui chemine dans la même direction. Takeshi est veuf et sa fille Hana est muette depuis le décès de sa maman. Yui et Takeshi vont poursuivre ensemble leur route vers l'acceptation et la reconstruction.
Le roman de Laura Imai Messina m'a d'abord attirée par son titre poétique et par sa première de couverture pleine de délicatesse. L'histoire est belle, à la fois simple, délicate et puissante par les thèmes qu'elle aborde. J'ai trouvé certains passages particulièrement émouvants et très bien écrits. Bien sûr, je partage l'avis de ceux qui regrettent un style trop occidental pour un roman se déroulant au Japon et censé s'appuyer sur l'histoire et la culture japonaise. Cependant, parce qu'il m'a permis de découvrir l'existence de ce Téléphone du vent, je garderai un souvenir très fort de ce roman et je vous conseille d'ailleurs, si la curiosité vous y pousse, de regarder le reportage Arte qui y est consacré.

Lien : http://aperto-libro.over-blo..
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Inspiré d'une véritable histoire, voici "Ce que nous confions au vent" de Laura Imai Messina, un roman sur Yui. Cette dernière, alors qu'elle animait une émission sur le deuil, apprend l'existence d'une vieille cabine téléphonique qu'un homme a installée dans son jardin. Petit à petit, les gens commencent à se rendre à la cabine téléphonique pour parler à leurs proches décédés lors du tsunami au Japon le 11 mars 2011. Yui, mère célibataire, a perdu sa mère et sa fille dans cette tragédie et a passé des années à essayer de continuer sa vie et de faire face à tout ce qui s'est passé, mais elle n'y arrive pas vraiment. Quand elle apprend l'existence de ce "téléphone du vent", elle décide d'y aller.
Bien qu'elle ne soit pas encore capable de décrocher le téléphone, son voyage n'est pas en vain, car elle rencontre un homme nommé Takeshi qui est devenu père célibataire d'une jeune fille après avoir perdu sa femme dans le tsunami également.
Je ne souhaite pas vous dévoiler autre chose car ça sera dommage d'en savoir plus que nécessaire sur cette belle histoire. le récit suit généralement Yui et Takeshi dans leurs voyages avec chagrin, mais en même temps, elle comprend également d'autres histoires qui m'ont beaucoup touchée.
Ce n'est pas un livre à parcourir à la va-vite, mais à découvrir et à apprécier lentement pour ce qu'il est. Comme on peut s'y attendre, il y a une atmosphère définie de mélancolie et de chagrin, mais en même temps, il y a aussi un souffle d'espoir.
Je ne sais pas si ce livre finira par toucher une corde sensible chez tout le monde, mais pour moi, son exploration du deuil était si brute et si pertinente qu'il a fini par me toucher d'une façon beaucoup plus importante que je n'y pensais.
J'ai trouvé très intéressant le fait qu'entre chaque chapitre, il y avait une petite bouchée de vie. Il y avait des listes banales, un objet décrit, une courte conversation entre les personnages. Ils étaient en quelque sorte liés à l'histoire et j'ai adoré la façon dont ils aidaient à donner vie aux personnages un peu plus, montraient à quel point ils étaient "ordinaires".
Certains livres sont trop beaux et trop passionnants pour être capturés avec précision dans une critique. le risque de les "écraser " est trop grand. Ce livre en fait partie.
Ce beau roman raconte une histoire de perte universelle et du pouvoir de l'amour. Il restera gravé dans mon coeur et dans mon esprit pour toujours. En ces temps difficiles auxquels nous sommes confrontés, il aborde des questions que nous pourrions tous avoir - comment se connecter avec ceux que nous avons aimé et perdu et comment nous permettre de vivre et d'aimer à nouveau. Magnifiquement écrit, sensible et évocateur, il brosse le tableau d'un monde intérieur et extérieur qui est imprégné à la fois de tragédie et d'espoir. Il m'a émue aux larmes et m'a donné envie d'exprimer mes propres pensées secrètes dans la cabine téléphonique au bout du monde...
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critiques presse (2)
Culturebox
16 février 2023
C'est un roman sur le retour à la vie qui se bricole à travers les petits bonheurs du quotidien et le don de soi. Laura Imai Messina entrecoupe les chapitres de son récit avec des recettes, l'adresse de la librairie où se rend Yui, l'album que Takeshi lit à sa fille un soir...
Lire la critique sur le site : Culturebox
LaCroix
07 juin 2021
Dans ce roman d’une immense délicatesse, une jeune femme durement frappée par la vie découvre l’existence d’une cabine téléphonique où parler à ses défunts.
Lire la critique sur le site : LaCroix
Citations et extraits (169) Voir plus Ajouter une citation
On reste parents, même quand nos enfants ne sont plus.
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Deux choses que découvrit Yui en cherchant le mot « câlin » sur Google le lendemain

Au cours d’une étude menée par l’Advanced Telecommunications Research Institute International de Tôkyô (ATR), on a demandé à un certain nombre de personnes de s’entretenir pendant quinze minutes avec leur partenaire ou conjoint ; au terme de ces discussions, certains ont reçu un câlin et d’autres non. L’étude a mis en évidence un abaissement significatif de cortisol (l’hormone du stress) dans le sang des sujets qui avaient bénéficié d’un geste tendre.
 
Dans une citation devenue célèbre, la psychothérapeute américaine Virginia Satir (1916-1988) affirme ainsi : We need four hugs a day for survival. We need eight hugs a day for maintenance. And we need twelve hugs a day for growth1.


"Il nous faut quatre câlins par jour pour survivre. Huit pour fonctionner. Et douze pour nous épanouir.

p 72
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Yui et Takeshi s’engagèrent à participer aux activités de Bell Gardia
quand celles-ci avaient lieu les jours où ils avaient prévu de venir. Ils
contribuèrent aussi, modestement, aux levées de fonds pour la tenue de
séminaires dédiés à la formation de médecins et de thérapeutes – des
journées d’étude qui rassemblaient nombre de participants venus de toutes
les régions du Japon. On y traitait de la gestion du deuil dont dépendaient la
santé et le bonheur de communautés entières. Yui évoquait ces rencontres à
la radio. Elle était convaincue que Bell Gardia fonctionnait, et que d’autres
qu’elle-même trouveraient un peu de réconfort sur la colline d’Ôtsuchi.
Avec le temps, Yui et Takeshi découvrirent que le Téléphone du Vent
était un outil dont chacun usait à sa façon ; que les deuils se ressemblent
tous et en même temps pas du tout.
Beaucoup ne venaient là que pour pleurer. Certains voulaient consoler
un défunt disparu sans sépulture, au fond de la mer ou dans l’un de ces
nombreux ossuaires remplis par les guerres. Une mère qui avait perdu ses
trois enfants pendant le tsunami, ne pouvant se résigner au silence, parlait
encore et encore pour combler ce vide. Un petit garçon passait tous les soirs
lire le journal à son grand-père ; une petite fille demandait à son chien
comment c’était l’au-delà ; un écolier venait saluer l’un de ses camarades
qui pourtant n’était pas mort, mais qu’il ne voyait plus depuis que ses
parents avaient dû rentrer en Chine – leurs jeux lui manquaient tant.
En fréquentant cet endroit, on comprenait un peu mieux comment
fonctionnaient les autres.
Tous les morts n’étaient pas regrettés, cependant. Certains haïssaient
leurs défunts, et n’acceptaient pas que leur punition ait ainsi pris fin – ils
leur reprochaient leur lâcheté : « Alors comme ça, tu t’es enfui en me
laissant ce foutoir sur le dos, et c’est à moi d’assumer le poids de toutes tes
erreurs ? » Les suicides, surtout, étaient rarement pardonnés : les femmes
accablaient leurs maris et les maris leurs femmes ; les enfants, en particulier
les jeunes, étaient les plus féroces.
Takeshi en vint à penser que si la mort avait un visage, c’était le fait des
rescapés, des survivants ; sans eux, elle n’eût été qu’un vilain mot – vilain
mais somme toute plutôt inoffensif.
Yui développa quant à elle une théorie originale : certaines personnes
vivaient une sorte de dissociation corporelle et ce, depuis le berceau. Il leur
fallait lutter pour maintenir ensemble tous leurs morceaux. Yui visualisait
clairement leurs jambes, leurs pieds, leur foie, leur rate, le tout contenu dans
leurs bras, comme les pièces du jeu du Docteur Maboul. À un moment
donné, néanmoins, quelque chose s’apaisait : elles tombaient amoureuses,
fondaient une famille, obtenaient un travail gratifiant, une belle carrière et
semblaient se ressaisir. Mais en réalité, c’était parce qu’elles avaient décidé
de confier certaines parties de leur corps à des parents ou à des amis chers,
comprenant qu’on ne peut pas se suffire à soi-même et qu’il faut bien se
reposer un peu sur les autres – se décharger d’une vessie ou d’un crâne
tombe alors sous le sens si l’on veut réussir à faire quelque chose de sa
vie…
Et ensuite ? Que se passait-il ? Eh bien, d’après Yui, c’était une question
de chance. Car si l’une de ces personnes perdait un proche qui avait la garde
d’un morceau essentiel, il n’était plus possible de défaire le lien qui les
unissait. Leur équilibre disparaissait avec le défunt.
Yui était persuadée d’être ainsi faite. Avant de mourir, sa mère s’était
chargée de ses intestins et sa fille d’un de ses poumons. Voilà pourquoi elle
respirerait et digérerait désormais avec difficulté, quelle que soit la quantité
de bonheur qui lui échoirait.
Pourtant, elle se trompait ; et si elle lui avait exposé cette théorie,
Takeshi le lui aurait expliqué.
Car l’amour est un véritable miracle. Même le deuxième, même celui
qui survient par erreur.
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À force d’invitations répétées, accompagnées de quelques délicates
attentions (un coussin pour son dos, sa marque de tofu préférée), la vieille
dame finit par se détendre. Parfois, avant d’aller se coucher, elle adressait
de longs monologues à son défunt mari devant le butsudan : cette jeune
femme était si maigre qu’on se demandait ce qui la faisait tenir debout ; ses
jolis bonnets adoucissaient ses traits ; jamais elle ne portait de talons, elle
avait un goût extravagant pour les chaussures de sport. Mais enfin, elle la
traitait avec respect et, surtout, sa présence faisait du bien à sa petite-fille.
« Elle garde souvent le silence, si longtemps que par moments on se
demande si elle est encore là, disait-elle en astiquant le butsudan. Et puis
tout à coup la voilà qui parle – je te jure qu’à chaque fois j’en sursaute –, et
tu verrais comment Takeshi et Hana se figent et tendent l’oreille… Ils ne
perdent pas un mot de ce qu’elle dit. Tu sais combien Takeshi est distrait,
pourtant, quand on s’adresse à lui, non ? Eh bien, dans ces moments-là, j’ai
l’impression de le revoir enfant, lorsqu’il faisait ses devoirs sur la table de
la cuisine. Tu t’en souviens ? Il était si absorbé qu’on avait beau l’appeler, il
ne bronchait pas. »
Ce qui avait surpris la vieille dame, c’était qu’à la radio la voix de Yui
fusait, agile et cadencée – elle l’avait écoutée une fois, par curiosité, et en
était restée sidérée : elle semblait appartenir à une tout autre personne.
Tandis que la mère de Takeshi s’efforçait de la décrire de son mieux à
feu son mari, Yui, telle une colombe, préparait son nid. Chez elle, elle
aménagea un petit coin pour que la petite puisse faire ses devoirs et jouer
quand elle se chargeait d’aller la chercher à l’école. Elle l’emmenait parfois
à la radio car l’idée de parler dans un micro enchantait Hana. Pour elle,
diffuser sa voix jusque dans des lieux éloignés et toucher des dizaines de
milliers d’inconnus reliés entre eux par cette mystérieuse écoute relevait de
la magie.
« C’est comme le Téléphone du Vent, non ? avait-elle murmuré un jour
que Yui lui attachait les cheveux avant d’entrer dans le studio – on l’avait
autorisée à se tenir près de Yui à condition qu’elle promette de ne faire
aucun bruit. Tu parles aux gens mais tu ne sais même pas qui t’écoute.
N’empêche, tu entres chez eux et tu les rends heureux.
– Heureux, ce n’est pas sûr, en tout cas je leur tiens compagnie.
– Est-ce que ce n’est pas un peu pareil ? »
Face au miroir, Yui avait lissé les fines tresses de la fillette, tout émue.
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Yui et Takeshi ne se voyaient que pour aller à Bell Gardia, comme si le
lieu de leur première rencontre devait déterminer toutes les suivantes.
Cependant, ils étaient de plus en plus proches.
Ils se mirent à s’envoyer des messages tous les jours.
Le soir où, en cherchant une paire de gants, Yui tomba sur un cadeau
destiné à sa fille, c’est Takeshi qu’elle appela. Son déménagement s’était
fait dans la précipitation et tout ce qu’elle avait fourré à la va-vite dans des
cartons lui brûlait les doigts. Même après deux ans, sa nouvelle maison
recelait un nombre effrayant d’objets qu’elle avait autrefois mis de côté
pour son enfant : des jouets qui lui avaient plu ou qui étaient en solde,
d’autres qu’elle avait achetés bien qu’il fût trop tôt pour les lui offrir ; des
vêtements un peu grands qu’elle pourrait bientôt mettre, quand elle aurait
pris quelques centimètres ; parfois, c’étaient des poupons, des albums
illustrés ou des petites jupes qu’elle avait simplement oublié de lui donner,
désordonnée qu’elle était. À chacune de ces perfides réapparitions, Yui
ressentait un pincement, le regret poignant d’avoir privé sa fille d’une petite
joie.
Takeshi répondit à son message avec délicatesse, et il fit de même toutes
les fois que cela se reproduisit.
Il lui promit qu’un jour, dès qu’elle se sentirait prête, ils s’attaqueraient
ensemble à cette maison, à ses armoires, à ses placards et aux cartons restés
clos qui inspiraient à Yui une authentique terreur.
À son tour, Takeshi écrivit à Yui lorsqu’il crut voir sa femme en
apercevant une patiente de dos, tournée vers la fenêtre, ou reconnaître sa
silhouette pressée à travers une passante qui lui avait coupé la route, un jour
où il courait à son travail.
C’est à elle qu’il confia l’inquiétude des institutrices de la maternelle,
car là-bas aussi sa fille restait muette – oui, elle dessinait, oui, elle
participait, mais elle n’émettait pas un son. Personne ne connaissait plus
l’intonation de la voix de Hana, et lui-même avait parfois le sentiment de
l’avoir oubliée. Il regardait alors les courtes vidéos archivées sur son
ordinateur : Hana chantant des chansonnettes de dessins animés ; Hana
écorchant les mots ou entonnant des chants traditionnels ; Hana tenant, l’air
convaincu, de ces propos absurdes qui sont l’apanage des petits enfants.
Devant la nostalgie de tout ce qu’il avait perdu, et le sentiment de ne
pas être à la hauteur de l’épreuve que l’existence lui avait réservée, il
écrivait à Yui qu’il était « un peu triste », et elle le comprenait.
Sans s’en rendre compte, Yui et Takeshi finirent par se ressembler.
Lui se mit à regarder sa propre maison d’un autre œil, surtout les
endroits où il cachait ce qu’il voulait garder hors de portée de Hana : objets
dangereux, gourmandises, jouets que la petite n’avait pas rangés et qu’il lui
avait confisqués. Il cessa d’acheter à l’avance vêtements ou cadeaux : s’il
pensait que quelque chose pouvait lui plaire, il le lui offrait sur-le-champ.
Yui lui avait appris que demain, par principe, n’existe pas.
De son côté, Yui retourna à l’hôpital. Après deux ans à espérer,
inconsciemment, que le moindre de ses rhumes vire à la pneumonie ou
qu’un mal de gorge négligé s’aggrave au point que la douleur envahisse
toutes ses pensées, elle se préoccupait à nouveau de sa santé ; tant bien que
mal, elle recommença à prendre soin d’elle.
Et puis, quand elle assistait à une scène amusante ou attendrissante – un
chien jouant tout seul pendant que son maître somnolait, un chariot rempli
d’enfants de la maternelle hurlant au passage d’un train –, elle en
enregistrait de brèves séquences, sortes de haikus visuels à remiser pour les
regarder en allant au travail, avant de s’endormir ou à n’importe quel
moment difficile de la journée. À l’exemple de Takeshi, elle accumula une
jolie collection de petits films : ainsi éclairait-elle ses heures sombres.
Enfin venait le samedi soir, veille de leur expédition à Bell Gardia. Le
dimanche à l’aube, à l’heure dite, Yui klaxonnait pour avertir Takeshi de
son arrivée, comme elle le faisait jeune fille en arrivant en bas de chez sa
mère. Takeshi, assis sur le muret qui entourait Moyai, se levait pour venir à
sa rencontre – secrètement ravi de voir le visage radieux, les yeux brillants,
la petite bouche charnue, le nez pointu et la chevelure bicolore éparse de
cette femme qu’il désirait connaître mieux.
Bientôt, ce moment-là cessa d’être le simple rendez-vous de deux
inconnus en route pour la même destination. Pour tous deux, il s’agissait de
retrouvailles.
Il revenait vers elle. Elle revenait vers lui.
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