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EAN : 9782266335348
256 pages
Pocket (24/08/2023)
3.83/5   421 notes
Résumé :
Le caporal Lucien Guyader, dit Lulu, quarante ans, a toujours démontré une fiabilité rassurante pour ses hommes comme pour ses chefs. Aussi, quand ce père de famille disparaît à dix jours d’un départ en opération, le sergent Marouane s’inquiète et alerte Stéphane, leur ex-adjudant. Secoué par la nouvelle, Stéphane se laisse embarquer par Marouane, aux côtés du caporal et du lieutenant de la section. Frères d’armes aux trajectoires contrastées, transformés en détecti... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (114) Voir plus Ajouter une critique
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Un livre ouvert sur le coeur des militaires avec un titre qui résonne, et l'écho porte loin...
Car ceux qui restent, ce sont les familles, les épouses qui attendent leur proche parti en mission, là-bas.
Ceux qui restent, ce sont les militaires qui survivent alors que certains de leurs frères d'armes ont péri durant les conflits armés et qui reviennent, ici, avec leurs souvenirs.
Mais ceux qui restent, ce sont aussi les militaires qui ne partent plus en mission, emportés par leurs cauchemars et qui décident de rester, ici, se sentant incapables de revivre l'enfer des zones de combat.
Enfin ceux qui restent, ce sont les militaires qui se maintiennent dans la fragilité de leur vie intérieure alors que d'autres succombent à leurs cauchemars et vont errer dans un ailleurs.

Le stress post-traumatique n'est pas un vain mot ni un concept farfelu, c'est une besace bien lourde que les militaires doivent traîner après leurs missions sur des théâtres d'opérations violentes. C'est cela que démontre avec force Jean Michelin dans son ouvrage, mais pas que. Il nous entrouvre la porte de ce monde fermé qu'est l'armée, cette famille militaire forte et résiliente, unie par ses liens fraternels et faisant preuve d'un sens aigu de la camaraderie et de l'entraide, vaillante dans les épreuves du feu et se tenant toujours debout, quoi qu'il advienne. Une famille qui prend une grande place aux côtés de la famille civile. Il nous livre la part intime qui se dissimule derrière le treillis avec ses failles, ses questionnements, un sentiment de culpabilité parfois ou encore les traumatismes. Il choisit pour cela une histoire qui raconte la vie avant, pendant et après les missions au travers celle de ces quatre hommes partis à la recherche de Lulu. Il alterne les chapitres entre « ici » et « là-bas », puis « ailleurs ». Ce rythme sert efficacement l'histoire à laquelle on s'accroche dès les premières lignes pour ne plus la quitter en cours de lecture, voire même après car le récit est touchant.

Cette lecture me marquera, je n'oublierai pas ces hommes. Ce fut un bon moment de lecture mais éprouvant car il m'a enfoncée dans l'épaisseur des ténèbres, livrée aux affres de la guerre et son cortège de conséquences avec notamment les troubles qui en découlent.

Profitez vous aussi de ce livre « portes ouvertes » pour intégrer, en observateur, ce petit cercle de militaires avec ses codes, ses valeurs, son langage, son esprit de corps. Accompagnez-les à la recherche de leur compagnon et venez poster votre ressenti au retour de cette mission, pour évacuer les tensions accumulées au cours de ces 230 pages. N'oubliez pas de me faire un signe quand vous aurez rendu votre rapport afin que j'en prenne connaissance. Alors à bientôt !
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Emouvant dans sa retenue, ce récit dédié à Ceux qui restent. Son titre vous évoque peut-être les familles de militaires attendant leur retour dans le manque et l'angoisse, ou encore les militaires renouvelant leurs contrats tandis que d'autres retournent à la vie civile ; Mais dans notre histoire, Ceux qui restent sont aussi et surtout ceux qui demeurent en vie quand leurs frères d'armes sont morts en mission : Ceux qui vivent avec la culpabilité du survivant, les images de l'enfer, les cauchemars. Certains espèrent s'arrêter à temps, d'autres se font soigner, certains désertent, d'autres préfèrent en finir... Certains encore font juste semblant d'aller bien, parce qu'on doit se montrer solide et tenir pour les autres. Jusqu'à ce que l'horreur les rattrape.


Un matin comme un autre, Lulu, un caporal-chef d'expérience sur qui tout le monde s'appuie, disparaît de la maison familiale où il passait sa permission. Sa femme s'inquiète et ses collègues encore plus, qui savent d'une part que Lulu n'est pas homme à déserter, mais d'autre part… qu'ils revenaient tous d'une opération qui s'est mal finie, par la mort de l'un d'entre eux. La cellule psychologique mise en place a estimé que Lulu avait des mécanismes de protection faisant encore assez illusion pour être autorisé à achever la mission sur place, mais qu'il devait être suivi par la suite. Sauf qu'entre temps Lulu a disparu. Et tout le monde espère qu'il n'a pas fait de connerie. Accident ? Alcool ? Bagarre qui a mal tourné ? Désertion ? Problème de couple ? de famille ? Escapade ? Est-il mort ou vivant ? Et où le trouver ?


Parce que ça ne ressemble pas à Lulu, et qu'il a beaucoup donné à tous, 4 de ses frères d'armes sont autorisés à prendre quelques jours pour le chercher et le ramener. Commence alors la recherche d'indice auprès de la famille, dans la lecture de ses carnets personnels dont personne n'avait connaissance… Jean Michelin construit son récit autour de l'alternance judicieuse des chapitres de la recherche avec celle de la vie en opération et particulièrement de la mission ayant mal tourné. En nous décrivant tour à tour ce que les militaires ici ont dans la tête, puis ce qui s'est passé là-bas, il finit par lever le voile sur la disparition de Lulu.


L'auteur ayant été militaire, il nous offre un roman qui fleure bon le réalisme, l'expérience et le vécu, parvenant à nous faire toucher du doigt la situation. Son écriture sans fioriture nous met rapidement dans l'ambiance. Cependant, j'ai ressenti une certaine distance avec les personnages qui a manqué de me décourager vers le milieu. Je pense que mon ressenti est dû pour un tiers à l'écriture factuelle d'une apparente froideur ; pour un tiers au fait que l'auteur nous fait tour à tour approcher chacun de ses personnages principaux, ce qui maintient le suspense mais, au début du moins, nous empêche d'en approfondir un en particulier, de qui on se sentirait vraiment proche ; et pour un tiers au fait que les personnages, portraits réalistes sans aucun doute, demeurent toujours un peu dans la réserve lorsqu'il s'agit de se livrer. On perçoit la différence entre le masque qu'ils montrent aux autres et ce qu'ils ressentent, mais jamais dans la démesure puisqu'ils tentent toujours de rester dans le contrôle.


Au début, les non-dits créent une tension bienvenue et prometteuse, mais lorsqu'on piétine avec eux sur l'enquête, on aimerait soit qu'ils se livrent plus, soit que l'enquête avance : Cette apparente froideur, que ces hommes sont habitués à conserver pour masquer et maîtriser la tempête intérieure, a failli me lasser malgré la complicité virile qui les lie. Heureusement arrive à point nommé une révélation qui va tout changer. Elle ravive l'intérêt, fait redémarrer l'enquête, mais surtout elle amène l'émotion. Et ça, ça fait du bien. Je ne l'avais pas vue venir malgré les indices laissés par l'auteur. J'ai trouvé ça vraiment très beau même si je voudrais bien discuter d'un détail en MP avec ceux qui l'ont lu (je crains un peu le revirement pour le revirement... sauf si un truc m'échappe, je laisse le bénéfice du doute). Bref, j'ai finalement passé un bon moment de lecture, sensibilisant au sens du devoir et du sacrifice de ces hommes (puisque les femmes dans cette histoire ont le second rôle), à l'importance des codes dans l'armée et leurs dérives, la vie difficile que mènent ces corps de métier et leurs familles. J'avais Jonquille du même auteur dans mon pense-bête, ça me rappelle de l'en sortir !
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Comme nombre de " petits livres " , celui - ci , c'est " du costaud " .Un livre de " mecs " , des durs , des vrais , des militaires ! Ca chiale pas , ça se plaint pas ,ça montre rien mais ...sous la carapace , ça cogite dur . Ca , vraiment , on le sent , on l'apprend , du début à la fin ...Des bonbons Kréma , vous savez bien , durs dehors et tendres à l'intérieur ....
Au retour d'une mission , Lulu disparaît .Désertion ? Ses quatre potes ( terminé les grades ) se lancent à sa recherche . Lulu .Où ? Pourquoi ? Rien ne pourra mettre un terme à cette quête impossible .
Si vous lisez ce livre , je pense que , comme moi , vous serez sous tension et tout va se mettre en place comme dans un puzzle jusqu'à une fin ...je ne vous dis pas .
Les militaires ne sont que des hommes et dans ce roman , vraiment , l'uniforme s'efface , le grade aussi , ne subsistent que la solidarité , le partage , l'amitié rude ...ou pas .
C'est un trés beau roman qui nous fédère autour d'un même objectif , qui navigue entre " ici " ou " ailleurs " , un roman que l'on commence et que l'on ne quitte qu'en tournant la dernière page ...et encore . On cogite , même aprés .
Pas de femme ? un roman macho ? A vous de voir , mais n'est-ce pas Ferrat qui chantait que " la femme est l'avenir de l'homme ?" . L'avenir ou son havre de paix ?
Un trés beau roman sur " ceux ( et celles ? ) qui restent , sur l'amour , l'amitié , le racisme , la solidarité , les limites du devoir et de l'obéissance , la souffrance .
Allez y , chers amis et amies , le texte est court mais puissant .
Allez , à bientôt les babeliotes , avec toutes mes amitiés .
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L'attente. L'attente d'un vol pour une opération militaire extérieure. L'attente du retour à la maison. Et le silence obligé qui s'abat comme le vide.

Heureusement, la belle écriture du métier exigeant et amoureusement poétique de l'Officier-écrivain Jean Michelin nous raconte à coeur ouvert la vie entre les lignes. de ceux qui partent. Ceux qui restent. A travers une enquête privée d'une compagnie de soldats menée par Stéphane, un officier en retraite, à la recherche d'un des leurs porté disparu à la fin d'une mission qui a tourné au drame.

Dans ce livre agréablement surprenant, Il y a ces hommes en patrouille de la défense civile avec toute la chaîne de commandement et de hiérarchie qui fait peser lourdement le sens des responsabilités aux plus gradés. Les deuils à faire. C'est la première fois que je lis un roman en littérature française sur les troubles du stress post-traumatique des soldats en retour de mission. J'ai été touchée par la manière de l'aborder, qui est complétement humaine et sincère, non institutionnelle.

Et tous ces lieux lointains et dangereux. Nous respirons l'atmosphère lourde de la jungle tropicale de Guyane où serpente plein de mystère le fleuve Maroni. le sable du désert qui colle aux semelles. Tous ces passages du roman magnétisent la lecture.

Il y a ces hommes soldats. Et il y a les autres. Toutes les autres, Mathilde, Aurélie. Leurs enfants. Comme Pénélope, elles tissent leur attente. Ce que j'ai aimé particulièrement dans ce roman à la fois viril et au féminin, c'est la belle lumière sur toutes les anonymes du foyer conjugal. Elles sont fortes ces femmes et soudées entre elles.

Jean Michelin témoigne avec réalisme du métier de soldat lors des patrouilles civiles mais aussi dans la vie de tous les jours avec leurs sentiments et des parcours personnels tous différents.

L'auteur témoigne avec talent de ce qu'il connaît et j'ai été très curieuse de connaître tous ces sigles et jargon militaire qui m'ont fait entrer pleinement dans l'action.

L'écriture comme une source creuse avec art ce qui se passe à l'intérieur des familles pendant la longue absence et au retour, la peur, les doutes, l'amour.

La narration des missions et la famille sont sur le même plan d'égalité sans blindage des émotions. Et c'est très réussi.
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On parle peu des hommes qui rentrent du front, traumatisés, empêtrés dans leurs obsessions (p108 « Non, on ne s'habitue pas, doc » ; p190). Ceux qui frôlent la mort ne peuvent l'oublier. Pire, ils ont la tentation de l'approcher à nouveau parce que le danger leur a procuré des sensations extrêmes au point – ce grand paradoxe – de se sentir vivants comme jamais. Comment surmonter l'épreuve du feu ? Comment revenir à la banalité du quotidien ? Pour l'évoquer, il y a cette scène, dans le film « The hurt locker », du démineur de retour au pays, désemparé devant le rayon corn flakes d'un supermarché. Et il y a le roman de Jean Michelin.
Ancien militaire, l'auteur décrit le théâtre des opérations avec une acuité rare, une authenticité acquise sur le terrain. Ce sont des choses qu'on ne peut inventer. Dans le même genre, il y a eu « Yellow birds » de Kevin Powers.
On suit donc une compagnie dont l'un des membres, Lulu, s'est volatilisé dans la nature. Ses camarades décident de le pister, avant qu'il ne soit déclaré déserteur et qu'un moment d'égarement n'entache une vie de bons et loyaux services. Égarement, vraiment ? Pourquoi Lulu a-t-il disparu ? Quel secret a pu le mener à une telle folie ?
Stéphane, Romain, Charlier et Marouane vont tenter de percer le mystère, au risque de réveiller leurs démons, quitte à déterrer leur turpitude et briser les liens indicibles qu'ils ont noué au plus fort des combats.
Ceux qui partent… et celles qui les attendent. Jean Michelin parle aussi très bien des femmes de soldat, un enfant pendu à leur bras, l'angoisse rivée au corps, la douleur enfouie, exercées à se résigner, incapables de regarder l'avenir droit dans les yeux.
Bilan : 🌹🌹
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critiques presse (1)
Marianne_
30 décembre 2022
Un groupe de soldats part à la recherche d’un des siens, qui a déserté juste avant un départ en mission. Dans « Ceux qui restent », road-movie se déroulant dans l’est de la France où se superposent les images et traumatismes d’opérations en Afghanistan et au Mali, Jean Michelin, lieutenant-colonel d’infanterie, expose les blessures et les doutes des militaires d’aujourd’hui.
Lire la critique sur le site : Marianne_
Citations et extraits (76) Voir plus Ajouter une citation
Au fond, Marouane ne savait pas vraiment expliquer pourquoi retrouver Lulu était si important. Ce con avait fait son choix, après tout, il était déserteur, il reparaîtrait peut-être un jour ou l'autre, assumerait les conséquences qu'il y aurait à assumer avec sa famille, avec l'armée, avec la loi. On devrait s'en foutre, on aurait dû s'en foutre depuis le début. Et pourtant, il n'arrivait pas à dire au lieutenant ou à Stéphane de lâcher l'affaire. Il ressentait cet espoir diffus qui continuait à le pousser vers l'avant, et il était sûr que les autres le ressentait aussi. Peut-être qu'il y avait encore un truc à sauver. Peut-être que retrouver Lulu lui permettrait aussi de faire amende honorable pour toutes les fois où il avait laissé tomber quelqu'un. Peut-être qu'il avait des choses à régler lui aussi. Peut-être qu'il avait besoin de se remettre en confiance avant la prochaine mission. Il lui restait peu de temps.
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(Les premières pages du livre)
Ici
IL ACCÉLÉRA ENCORE. Le souffle court, les lèvres sèches, il laissa échapper un gémissement puis précipita sa foulée jusqu’à ce que sa vue se brouille et que le battement du sang dans ses tempes étouffe la réalité autour de lui. C’était le seul moyen de faire le vide. Impossible, autrement, d’empêcher son cerveau de s’accrocher au moindre détail familier. L’école de la petite, là, juste derrière. La crêperie médiocre, à l’angle, dans laquelle ils étaient allés dîner une fois. La rue piétonne, les volets de fer des boutiques recouverts de graffitis délavés. Au feu, à droite, l’avenue sans âme qui menait vers les centres commerciaux, la pluie qui griffait la lumière des projecteurs sous les panneaux publicitaires. L’ombre patibulaire du pont de la voie ferrée, le vague souvenir des derniers trains, peut-être dix ans plus tôt. Même lorsqu’il fermait les yeux, son corps tout entier s’acharnait à lui rappeler son ancrage dans ce monde borné, rempli de repères, de règles, d’angles droits, de menaces. Sa course vers rien devenait une fuite. Alors il accélérait à nouveau, attendant le moment où la douleur prendrait le dessus sur le reste.
Il suffisait souvent de quelques centaines de mètres, quelques dizaines de secondes et il n’en pouvait plus ; il tombait à genoux, s’étranglait, crachait, les yeux noyés de larmes, il vomissait parfois, quand il avait quelque chose à vomir. Une fois, il s’était même évanoui brièvement sous la violence inouïe de l’effort. C’était parfait.
Ce soir, la douleur tardait à venir. C’était une vilaine nuit de novembre. L’horloge de la pharmacie indiquait trois heures du matin. La croix verte se reflétait dans l’eau des flaques et l’écho liquide de ses pas résonnait sur les murs. Il serra les dents, s’efforçant d’aller plus vite encore.
Il n’avait jamais aimé courir. Dans son ancienne vie, c’était une corvée à laquelle il fallait se plier, c’était le boulot, le rituel immuable des aubes grises. À présent qu’il avait remisé son uniforme, il aurait pu faire autre chose, du foot avec son gamin, du vélo, du crossfit ou un autre sport à la mode aux exercices portant des noms anglais prétentieux. Mais non : il courait, et c’était tout. Il se fichait complètement des marathons et des compétitions locales dans lesquelles il aurait sans doute pu bien figurer. Les footings du dimanche le long des mêmes sentiers, vêtu des mêmes tenues fluorescentes que ses voisins, ne l’intéressaient pas davantage. Il ne voulait pas faire de sport. Il ne voulait même pas rester en forme. Il ne voulait surtout pas concourir à quoi que ce soit. Il voulait s’épuiser suffisamment pour réussir à s’endormir. L’effort physique au-delà du raisonnable était la seule chose qui fonctionnait encore.
Il avait quitté l’armée quelques mois plus tôt. Plus envie, le mécanisme s’était brisé, sans doute pendant la dernière mission, ou alors juste après le retour. Quand il avait annoncé sa décision, ses chefs avaient essayé de le remotiver, de lui donner des perspectives, une mutation, des stages, des objectifs à atteindre. Il s’en foutait. Il ne demandait rien. Il voulait arrêter. Les insomnies n’étaient pas venues tout de suite. Bien sûr, il y avait eu la colère et la fatigue coutumières des retours, les premières nuits agitées de ces cauchemars dont il ne se souvenait jamais et que Mathilde lui racontait à son réveil, en détournant les yeux pour cacher son inquiétude. Il y avait eu d’autres choses aussi, des sursauts, des angoisses, quelques accès de rage, le souffle court, le teint pâle, les dents et les poings serrés, la tempe qui palpite. Rien de grave au fond, il suffisait d’attendre que le moment passe. Il finissait toujours par reprendre le contrôle. Il avait de l’espoir pour la suite : le printemps arrivait, les enfants avaient grandi, on irait à la mer cet été. On ne pouvait tout de même pas passer sa vie à se lamenter en se regardant le nombril. C’est lorsqu’il avait fallu reprendre le travail, remettre le treillis, retrouver sa section, en morceaux elle aussi, que la machine s’était peu à peu déréglée.
Il avait d’abord vu réapparaître les tics de son enfance, de plus en plus fréquents, et des gestes qu’il ne s’expliquait pas. Il passait son temps à se gratter les avant-bras, à tirer les épaules vers l’arrière comme s’il était engoncé dans une chemise trop étroite. Désagréable, mais pas alarmant. Il s’était rassuré en se disant qu’il ne buvait pas plus que de raison et n’en avait pas l’intention. Il n’était pas non plus devenu violent. Au fil des semaines, il avait juste arrêté de rêver, puis arrêté de dormir.
Et puis un matin d’avril, le reflet de son visage dans la glace lui sembla être celui d’un étranger. Tout était là pourtant, la mâchoire carrée, les cheveux courts – trop courts, « courts sans équivoque », lui disait Mathilde avec un rire forcé et un peu résigné – et à peine grisonnants, les joues creuses, les rides au coin des yeux, celles que l’on attrape à force de parler à la troupe en se mettant face au soleil. La tronche et le corps d’un vieux soldat dont le regard était en train de disparaître. Une seconde plus tard, il avait laissé glisser la lame de son rasoir sur sa peau, peut-être sans y faire attention, peut-être en le faisant exprès. Une toute petite entaille. À la vue de la première goutte de sang, il s’était effondré, en larmes, sur le carrelage de la salle de bains.
Deux heures plus tard, le dos raide dans sa tenue impeccable, le regard sombre et les traits tirés, un minuscule pansement dans le cou, il était allé frapper à la porte du capitaine et lui avait annoncé qu’il prenait sa retraite. Marre de sa chambre de célibataire à la sortie du régiment, marre des deux heures de route le week-end pour rentrer chez lui. Marre des rassemblements, de l’attente, des responsabilités, marre de tout. Il voulait refaire le toit de sa maison, respirer, réfléchir, construire des cabanes pour ses mômes, passer à autre chose. C’était du moins ce qu’il avait dit au capitaine, puis au président des sous-officiers, puis au colonel. En vérité, il voulait surtout dormir. Deux mois plus tard, une cérémonie rapide et un peu triste sur la place d’armes du régiment avait officialisé son départ.
Il n’avait pas été question de s’arrêter de travailler. Pourtant, la maison était presque payée, sa petite pension et le salaire de Mathilde auraient suffi pour qu’ils vivent confortablement pendant quelques mois au moins, le temps de faire le point et de se remettre d’aplomb, mais il n’avait rien voulu entendre. Un copain de copain lui avait trouvé un poste de gardien dans un entrepôt pas très loin de la maison. Deux semaines après avoir rangé ses treillis et ses souvenirs dans une grosse cantine de fer qu’il avait traînée au grenier, il avait signé son contrat, reçu ses clés et son badge, et fait ses débuts dans le monde de la sécurité privée. Mal à l’aise dans une mauvaise copie d’uniforme, il avait retrouvé les gestes du matin et remis un pied dans la routine que l’on exècre mais qui donne un cadre et un objectif. Il avait essayé et échoué. Il ne dormait plus du tout. Il traversait les nuits secoué de terreurs et les journées comme un fantôme.
Mathilde avait tenté de l’aider. Elle savait faire. Elle avait appris à consoler, à caresser, à ne rien dire, à caler son souffle sur le sien, à attendre immobile et en silence que le sommeil vienne l’engloutir. Rien n’avait fonctionné. Alors elle l’avait traîné chez le médecin, puis chez un psy, elle avait écumé les forums de discussion sur Internet, redoutant une tumeur au cerveau, une méningite, un truc foudroyant, sorti de nulle part, plié en deux mois. À court d’idées, elle l’avait même emmené chez une rebouteuse locale complètement allumée. En sortant du cabinet de la sorcière, une pièce sombre qui empestait l’encens bon marché et la poussière accumulée sur des coussins râpés, il lui avait demandé d’arrêter de l’aider, avec une douceur qu’elle ne lui connaissait pas. Elle s’était résignée. Et lui s’était retrouvé seul face à ses nuits blanches. À la fin de l’été, il avait commencé à courir.

Il était presque à la sortie de la ville lorsqu’il sentit enfin ses jambes lâcher. Il se laissa tomber vers l’avant, s’accrochant de justesse à un lampadaire pour ralentir sa chute. Tremblant de tous ses membres, il attendit à quatre pattes que le martèlement furieux de son cœur ralentisse un peu. Entre deux hoquets, une nausée libératrice lui fit cracher une mince flaque jaunâtre sur le bitume. C’était le signal : vite, rentrer dormir, tout de suite, avant que la conscience revienne pour de bon. Ignorant le goût âcre dans sa bouche, il se releva et regarda autour de lui. Il n’était pas trop loin, parfait. Il fit demi-tour d’un pas mal assuré.
Dix minutes plus tard, il s’engageait dans la petite allée pavillonnaire au bout de laquelle se trouvait la maison. Son souffle s’était apaisé, ses paupières alourdies. Il avait trois bonnes heures à dormir avant que le réveil sonne. Il sentit une vibration discrète dans sa poche : à cette heure-ci, sûrement Mathilde qui s’était réveillée et s’inquiétait. Agacé, il sortit son téléphone. Elle savait bien, bon sang. Mais ce n’était pas Mathilde, à sa grande surprise, c’était Marouane, son ancien adjoint : « mon ADJ appelé moi ya un pb avec Lulu ».
Stéphane fronça les sourcils et, sans s’arrêter de marcher, envoya sa réponse : « Je t’ai déjà dit d’arrêter de m’appeler mon adjudant. » Il poussa le portillon de son jardin et rentra dans la petite maison silencieuse.
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C'est pas ça, la vraie épreuve. Le... le premier combat, vous êtes toujours prêt. On est bien entraînés, Les mecs sont sûrs, vous verrez. La mémoire musculaire fait le reste. Non, le vrai test, l'épreuve comme vous dites, c'est celle du désespoir.» Charlier ne dit rien. Stéphane se gratta l’avant-bras d’un geste absent. Il fixait le bout de chemin droit devant lui.
«C’est quand vous savez plus si vous allez y arriver. Je vous le souhaite pas, hein, mais il peut venir, ce moment où vous savez ce qu'il y a à faire et ce qu'il faut dire, mais où chaque mot qui sort de votre bouche est une torture. Ce moment où vous aurez juste envie de vous rouler en boule dans un coin et d’attendre que ça se passe, mais où il faudra quand même donner des ordres, garder un regard clair et une voix assurée parce que les mecs, eux, ils ont besoin de vous. Vous vous concentrerez très fort pour pas trembler. Ce désespoir-là, mon lieutenant, ce truc qui vous saisit, cette angoisse d’échouer et de faire mourir des gens à cause de ça, c’est ça, la vraie épreuve.
— Junior, c'était ça? Votre épreuve?»
Stéphane sourit.
«Non. C'était une autre mission, y a plus longtemps. Je vous raconterai un jour.»
Ils restèrent silencieux un instant.
«Je vais essayer de dormir un peu. Faudrait pas qu’on rate la pirogue tout à l'heure.
— Bonne fin de nuit, mon adjudant,
— Merci.» Stéphane se leva, les jambes un peu engourdies. «Merci pour tout, mon lieutenant. p. 208
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«Et l'épreuve du feu? »
Charlier avait parlé très vite pour le retenir. II se mordit la lèvre, regrettant aussitôt sa question. Stéphane lui adressa un regard bienveillant, un peu triste. Paternel.
"C'est pas ça, la vraie épreuve. Le...le premier combat, vous êtes toujours prêt. On est bien entraînés. Les mecs sont sûrs, vous verrez. La mémoire musculaire fait le reste. Non, le vrai test, l'épreuve, comme vous dites, c'est celle du désespoir."
"C'est quand vous savez plus si vous allez y arriver. Je vous la souhaite pas, hein, mais il peut venir, ce moment où vous savez, ce qu'il y a à faire et ce qu'il faut dire, mais où chaque mot qui sort de votre bouche est une torture. Ce moment où vous aurez juste envie de vous rouler en boule dans un coin et d'attendre que ca se passe, mais où il faudra quand même donner des ordres, garder un regard cair et une voix assurée parce que les mecs, eux, ils ont besoin de vous. Vous vous concentrerez très fort pour pas trembler. Ce désespoir-là, mon lieutenant, ce truc qui vous saisit, cette angoisse d'échouer et de faire mourir des gens à cause de ça, c'est ça, la vraie épreuve."
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"C'est les retours qui sont durs, vous savez, plus que les départs. Chaque fois, mon mari est rentré un peu plus seul, un peu plus en colère, un peu plus triste. Surtout les dernières années quand...". Elle s'interrompit, le souffle suspendu, en quête du mot juste. "Quand tout est devenu plus tragique. On sait que c'est pas facile pour vous, mais personne ne nous demande comment c'est pour nous. Nous, on n'a pas de médaille à la fin, on se débrouille, mais c'est dur aussi. Surtout avec des enfants. "
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12 questions
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Thèmes : guerre , histoire militaire , histoireCréer un quiz sur ce livre

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