PSYCHÉ
Apollon continue.
Le Dieu qui nous engage
A lui faire la cour
Défend que l’on soit trop sage,
Les plaisirs ont leur tour ;
C’est leur plus doux message
Que de finir les soins du jour,
La nuit est le partage
Des feux et de l’amour.
Ce serait grand dommage
Qu’en ce charmant séjour
On eût un cœur sauvage.
Les plaisirs ont leur tour ;
C’est leur plus doux usage
Que de finir les soins du jour,
La nuit est le partage
Des feux et de l’amour.
Scène I.
Le barbouillé, seul.
Il faut avouer que je suis le plus malheureux de tous les hommes ! J’ai une femme qui me fait enrager : au lieu de me donner du soulagement, et de faire les choses à mon souhait, elle me fait donner au diable vingt fois le jour ; au lieu de se tenir à la maison, elle aime la promenade, la bonne chère, et fréquente je ne sais quelle sorte de gens. Ah ! pauvre Barbouillé, que tu es misérable ! Il faut pourtant la punir. Si tu la tuois... l’intention ne vaut rien, car tu serois pendu. Si tu la faisois mettre en prison… la carogne en sortiroit avec son passe-partout. Que diable faire donc ? Mais voilà monsieur le docteur qui passe par ici, il faut que je lui demande un bon conseil sur ce que je dois faire.
Scène II. —
le docteur, le barbouillé
Le barbouillé
Je m’en allois vous chercher pour vous faire une prière sur une chose qui m’est d’importance.
Le docteur
Il faut que tu sois bien mal appris, bien lourdaud, et bien mal morigéné, mon ami, puisque tu m’abordes sans ôter ton chapeau, sans observer rationem loci, temporis et personae. Quoi ? débuter d’abord par un discours mal digéré, au lieu de dire : Salve, vel salvus sis, doctor, doctorum eruditissime. Eh ! pour qui me prends-tu, mon ami ?
Le barbouillé
Ma foi, excusez-moi, c’est que j’avais l’esprit en écharpe, et je ne songeois pas à ce que je faisois ; mais je sais bien que vous êtes galant homme.
Le docteur
Sais-tu bien d’où vient le mot de galant homme ?
Le barbouillé
Qu’il vienne de Villejuif ou d’Aubervilliers, je ne m’en soucie guère.
Le docteur
Sache que le mot de galant homme vient d’élégant ; prenant le g et l’a de la dernière syllabe, cela fait ga, et puis prenant l, ajoutant un a et les deux dernières lettres, cela fait galant, et puis ajoutant homme, cela fait galant homme. Mais, encore, pour qui me prends-tu ?
Le barbouillé
Je vous prends pour un docteur. Or çà, parlons un peu de l’affaire que je vous veux proposer ; il faut que vous sachiez…
Le docteur
Sache auparavant que je ne suis pas seulement une fois docteur, mais que je suis une, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, neuf, et dix fois docteur : 1° parce que, comme l’unité est la base, le fondement et le premier de tous les nombres, aussi, moi, je suis le premier de tous les docteurs, le docte des doctes ; 2° parce qu’il y a deux facultés nécessaires pour la parfaite connoissance de toutes choses, le sens et l’entendement ; et comme je suis tout sens et tout entendement, je suis deux fois docteur.
Le barbouillé
D’accord. C’est que…
Le docteur
3° Parce que le nombre de trois est celui de la perfection, selon Aristote ; et comme je suis parfait, et que toutes mes productions le sont aussi, je suis trois fois docteur.
Le barbouillé
Eh bien, monsieur le docteur…
STANCES GALANTES
Souffrez qu’Amour cette nuit vous réveille,
Par mes soupirs laissez-vous enflammer :
Vous dormez trop, adorable merveille,
Car c’est dormir que de ne point aimer.
Ne craignez rien dans l’amoureux empire,
Le mal n’est pas si grand que l’on fait ;
Et lorsqu’on aime et que le cœur soupire,
Son propre mal souvent le satisfait
Le mal d’aimer, c’est de le vouloir taire ;
Pour l’éviter, parlez en ma faveur,
Amour le veut, n’en faites point mystère ;
Mais vos tremblez, et ce dieu vous fait peur.
Peut-on souffrir une plus douce peine,
Peut-on subir une plus douce loi,
Qu’étant des cœurs l’unique souveraine,
Dessus le vôtre Amour agisse en roi ?
Rendez-vous donc, ô divine Amarante,
Soumettez-vous aux volontés d’Amour ;
Aimez pendant que vous êtes charmante,
Car le temps passe, et n’a point de retour.
Les bohémiennes, Sarabande
Aimons-nous, aimable Silvie,
Unissons nos désirs et nos cœurs,
Nos soupirs, nos langueurs, nos ardeurs,
Et passons notre vie, en des nœuds si remplis de douceurs.
C’est blesser la loi naturelle
De laisser passer des moments
Que l’on peut se rendre si charmants.
La saison du printemps paraît belle
Et nos ans sont riants tout comme elle,
Mais il faut y mêler la douceur des amours,
Et sans eux il n’est point de beaux jours.
Dans les discours et les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands médecins. Entendez-les parler: les plus habiles gens du monde. Voyez-les faire: les plus ignorants de tous les hommes.
MOLIÈRE – Variations sur les fêtes royales, par Michel Butor (Genève, 1991)
Six cours, parfois coupés et de qualité sonore assez passable, donnés par Michel Butor à l’Université de Genève en 1991.