Tsukuru Tazaki vient de rencontrer Sara et leur relation devenant sérieuse, celle-ci lui demande de parler de lui et notamment de son passé car elle pressent une souffrance enfouie.
C'est ainsi qu'il va raconter l'histoire de cinq amis qui se sont rencontrés durant l'adolescence et sont devenus inséparables, ne se cachant rien, engagés à ne pas avoir d'histoire d'amour ou de sexe entre eux et avec le but d'exercer des activités bénévoles.
On a ainsi : Kei
Akamatsu (pin rouge), Yoshio Ômi (lac bleu), Yuzuki Shirane (racine blanche), Eri Kurono (prairie noire), sauf Tsukuru, dont le nom signifie ''celui qui construit'', un nom de bâtisseur, mais totalement incolore, ce qui va devenir sujet de plaisanterie entre eux. Ils habitent Nagoya, où ils étudient au lycée. Désormais, on aura Rouge Bleu, Noire et Blanche et Tzukuru.
Un jour, il faut partir à l'université, et alors qu'ils s'étaient promis de rester à Nagoya, Tzukuru part à l'université de Tokyo. Fasciné depuis l'enfance par les gares il veut devenir ingénieur, et va tenter le difficile concours d'entrée qu'il réussit.
Pendant deux ans, il va rentrer souvent à Nagoya tous les week-ends jusqu'au jour où ses amis ne viennent pas le chercher à la gare. Il téléphone à chacun et l'un d'eux dit qu'il ne doit absolument jamais plus entrer en contact avec les autres car quelque chose de grave s'est produit, mais Tzukuru ne sait pas quoi et surtout il ne demande pas d'explication, acceptant le verdict.
Il entre alors dans une dépression profonde, fasciné par la mort, il maigrit énormément, et pendant six mois il devient un spectre.
Peu à peu il s'en sort, faisant énormément de sport (il nage 1km ½ tous les jours) et c'est à la piscine qu'il rencontre le seul ami qu'il aura jamais Haida (dans son nom, on retrouve le couleur grise), ils deviennent très proches.
Mais, la rupture avec ses amis va avoir des conséquences sur toute sa vie. Va-t-il les revoir ? C'est ce que le roman nous fait découvrir.
Ce que j'en pense :
Tsukuru est un personnage étrange auquel on s'attache très vite, car on voit tout de suite sa fragilité, et on a envie de le connaître davantage donc on le suit dans sa quête de vérité. Il s'est enfermé dans la solitude et un travail qu'il aime, construire ou rénover des gares après avoir flirté avec la mort quand ses amis l'ont rejeté. Pendant ces seize années de solitude, seule la musique de Liszt, une oeuvre en particulier, ainsi que le fait de se réfugier dans une gare, n'importe laquelle en fait, en regardant les trains passer, les voyageurs partir, arrivent à apaiser son angoisse, sa mélancolie même.
La partition de Liszt, « Années de pèlerinage » interprétée par Lazar Berman qu'il écoute sur des vieux trente trois tours, sert de fil rouge au livre. Liszt a composé cette oeuvre, lors d'un voyage en Suisse, Italie et l'a remodelée trente ans plus tard, comme Tsukuru est revenu sur son passé pour résoudre l'énigme de son rejet par les autres membres du groupe, seize ans plus tard. Dans les deux cas, le passé est clarifié et recomposé à la lumière de l'adulte. Il s'agit d'un pèlerinage dans les deux cas. Et aussi de la mélancolie, dans les deux cas : mal du pays évoque la nostalgie, la tristesse comme un écho à la mélancolie de Tsukuru.
Ce livre a été extrêmement travaillé par son auteur, rien n'est laissé au hasard, tant dans les personnages qui sont complexes dans leur personnalité que dans l'histoire elle-même. Noire a une personnalité forte, une intelligence vive et excelle dans les matières littéraires, Blanche d'une grande beauté mais fragile, joue du piano et notamment « le mal du pays » qui appartient « aux années de pèlerinage», elles sont très proches l'une de l'autre.
Rouge est brillant à l'école mais ne supporte pas l'échec qui le met dans des colères folles et Bleu, rugbyman de talent qui stimule son équipe en transformant ce qui pouvait être un échec ou une défaite de son équipe en quelque chose de positif. Tsukuru, qui n'a pas de couleur dans son nom se trouve insignifiant par rapport aux autres, comme si ne pas avoir un nom de couleur ne pouvait que rendre la vie inintéressante.
Les couleurs (ou la couleur en général) ne doivent rien au hasard non plus. Noire et blanche ont chacune leur caractère et l'auteur pousse la réflexion jusqu'aux touches du piano, les noires et les blanches qui sont très pures, très intenses sur le piano et aussi différentes les unes des autres que le sont les deux héroïnes.
On pourrait dire qu'on est loin de « Kafka sur les rivage » où l'histoire est basée sur l'onirisme, l'imagination. Mais en fait pas temps que cela. Ici on a aussi un voyage, mais il ne situe pas dans le virtuel, c'est un voyage vers l'intérieur du héros qui recherche pourquoi les traumatismes du passé qu'il croyait avoir dépassés en les enfouissant très profondément dans sa mémoire, sont à l'origine de ses difficultés dans sa vie d'aujourd'hui, notamment dans sa vie amoureuse.
Dans ce roman aussi, le rêve est important. Tsukuru fait des rêves érotiques, impliquant Blanche et Noire, ou des cauchemars comme on en trouvait dans Kafka, et on retrouve la même fascination pour le sexe, la nudité, avec des détails très concrets mais jamais de vulgarité dans l'écriture, (l'obsession de la propreté aussi).
C'est un livre très fort, qui fait réfléchir en même temps qu'il nous emmène dans une belle promenade, au Japon (retour vers Nagoya) et en Europe où il n'hésite pas à aller retrouver Noire pour avoir l'explication, lui qui n'est jamais sorti du Japon. Il le fait à la demande de sa copine avant de s'engager dans une relation amoureuse stable, mais il est convaincu qu'elle a raison, il ne le fait pas pour lui faire plaisir.
Vous l'aurez compris, c'est mon premier coup de coeur parmi les romans de la rentrée littéraire. J'aime profondément le style de cet auteur, ses descriptions, sa sensibilité quand il évoque la musique et les blessures de ses héros. C'est le deuxième roman que je lis de cet auteur et je suis encore plus sous le charme que pour «
Kafka sur le rivage » car Murakami est allé encore plus loin dans la réflexion. Son roman est bien construit, ciselé même, chaque personnage, chaque ressenti, chaque action, tout a été sculpté.
Note : 9,5/10
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