Généalogie d'une lecture... l'auteur vient de sortir un rapport sur la laïcité très critiquée par « Vigie laïcité », une association qui met en exergue cette très belle phrase de Condorcet : « Nous ne voulons pas que les hommes pensent comme nous, nous voulons qu'ils apprennent à penser par eux-mêmes. »
Voici ce qu'ils disent de ce rapport commandé par le liquidateur du baccalauréat, le ministre actuel de l'éducation nationale, le très récréatif M. Blanquer :
« L'orientation générale proposée par le rapport de M. Obin est particulièrement problématique. Elle substitue à l'idée de formation fondée sur le droit, les outils d'une véritable « police de la pensée » en contradiction avec l'idée même d'une « République indivisible, laïque, démocratique et sociale »
Ayant de la sympathie pour les Obins (Pirouette et Cacahuète) de la série de roman de J.
Scalzi, je me décidais à voir ce que pensaient les Babéliotes de la production littéraire du représentant humain du même nom. En deux avis, je comprenais que c'était polémique, je me devais de me le procurer (pas de l'acheter, déjà que la fonction publique rémunère assez grassement ces fabricants d'idées recyclées...)
Dès l'introduction le ton est donné :
Charlie Hebdo. Si vous « n'êtes pas Charlie », c'est que vous êtes un islamiste radical, un ennemi de l'école. Je suggère de lire l'excellent ouvrage d'
Emmanuel Todd « Qui est Charlie ». Lui-même serait surpris par la phrase qui ouvre le livre :
« Monsieur l'inspecteur général, je dois vous dire que mes deux derniers élèves juifs ont quitté mon établissement cette semaine. »
Donc, en toute logique, nous sommes invités à comprendre que les collèges et les lycées fabriquent de l'antisémitisme par ce que l'auteur appelle « l'excuse sociologique » sans vraiment expliquer ce que c'est, mais qui doit se rapprocher si on suit le raisonnement et que l'on compte les occurrences des mots employés de « l'Islamogauchisme », mot très à la mode dans l'univers médiatique mainstream.
Le chapitre deux commence par une citation qui stipule que «Cette théorie pseudo scientifique absurde, la théorie de l'évolution, contredit en tout point le Coran et la sunnah du Prophète ». Sous-entendu, la vérité c'est l'évolution, le reste, c'est l'islamisme radical. On est en devoir de dire que d'autres religion, dont la chrétienne que je connais bien, dit à peu près la même chose je crois et sans connaître les autres plus exotiques sous nos latitudes aujourd'hui (mes excuses à leurs adeptes pour ma méconnaissance du Zoroastrisme et autres religions créationnistes...) on en va quand même pas reprocher à un chrétien de croire que Dieu a créé l'Homme ! Sauf si (et en fait c'est cela) M. Obin est adepte d'une autre religion, celle de la « Laïcité de combat » qui considère qu'on a le droit de penser comme il faut, c'est à dire comme soi.
l'auteur n'oublie pas qu'un jour au moins, il a « été de gauche » en fustigeant assez gratuitement ses anciens adversaires : « Cependant, c'est un fait : la vieille droite légitimiste reste nostalgique de l'Empire, sournoisement revancharde et discrètement xénophobe », genre de morceaux de phrases qui ponctuent chaque chapitre et sous chapitre, n'apportant rien à l'essai mais permettant à l'auteur de « se positionner » sans frais puisque ce genre d'affirmation essentialisante ne repose sur aucun chiffre sérieux.
Les chiffres, ce n'est pas la tasse de thé de l'auteur. Ainsi par exemple, il annonce : « 13 % des enseignants déclarent avoir été confrontés à des contestations d'élèves lors des moments de recueillement organisés à la suite des attentats de janvier et novembre 2015 »
On se dit ; tiens, on a des chiffres remontés de l'éduc nat ...mais non mon bon monsieur. La source : sondage ifop... On rêve ! sur un sujet aussi polémique ! Dans un essai ! Sondage BB dans le lycée de mes enfants : 0% de problème, que l'on soit Charlie ou pas Charlie.
Et le triste mathématicien de conclure : « Derrière ces exemples, on discerne les causes majeures de la difficulté de l'école publique à porter de façon efficace le flambeau de la laïcité : d'un côté le manque de compétences des professeurs, un défaut de formation adaptée à de nouvelles formes de contestation, et d'un autre la confusion idéologique et l'absence de consensus qui règne dans le corps enseignant sur ce qu'est le principe de laïcité et sur ses implications déontologiques. »
Je discute assez souvent avec des amis de cette notion si difficile de Laïcité, et je me demande à la lecture de M. Obin comment on peut en arriver à être si sûr de détenir l'interprétation ultime. A travers mes enfants, j'ai toujours eu l'impression que les enseignants et l'institution éducation nationale essaient souvent (comme partout, il y des ratés) de promouvoir la liberté, l'égalité, la fraternité et donc la lutte contre les discriminations, le racisme...
Je ne suis pas le seul à me poser cette question car un article récent du « café pédagogique » dresse le même constat :
« Ce qui est plus nouveau c'est le rapport Obin. Reposant sur aucune argumentation, le rapport prévoit de changer en profondeur la conception traditionnelle de la laïcité qui s'est installée dans l'Ecole et généralement l'Etat. C'est une définition très négative. La laïcité n'est pas définie. Ce qui est désigné ce sont les adversaires et les idées ennemies. le rapport est ainsi lardé de remarques fielleuses. »
C'est exactement cela, fielleux.
Un exemple sur la carte scolaire : « Jusqu'en 2007, date à laquelle le président
Sarkozy assouplit le système, certaines familles avaient développé des stratagèmes, des « combines » plus ou moins frauduleuses, traquées par l'administration, pour parvenir à inscrire leurs enfants dans un autre établissement public que celui du secteur : domiciliation chez un grand-parent, fausse facture d'électricité, prétendue nécessité de soins, etc. Les enseignants, collectivement opposés à ces tricheries par la voix de leurs syndicats, se sont avérés individuellement très efficaces pour faire profiter leurs propres enfants de ce petit jeu du chat et de la souris. »
Les gentils : l'administration qui traque, M.
Sarkozy qui assouplit.
Les méchants : Les enseignants qui trichent.
Fiel.
Le monde en trichromie de M. Obin : « Dans ce contexte, le choix de la « bonne école » ne se traduit donc pas de la même façon pour une famille juive, une famille musulmane ou une famille de « petits Blancs » déchristianisés. »
« Mais l'action de Marie se heurte bientôt à l'activisme d'une femme très engagée, propagandiste et prosélyte islamiste, vraisemblablement liée aux Frères musulmans. Mme K. est l'une des représentantes de la principale organisation de parents du lycée, la FCPE. »
Association de : Fréres musulmans et FCPE (fédération de parents d'élèves jadis plutôt « de gauche »). Fiel toujours.
J'arrête, cet essai est un bon éditorial bien polémique qui mérite la une d'un grand journal mainstream mais qui ne peut prétendre à l'appellation d'essai car il n'y a aucun travail sérieux d'analyse sous-jacent. D'exemple en exemple (ils existent vraiment, personne n'en doute) il tisse sa toile en désignant sournoisement les ennemis du progrès qu'il représente, lui et son ministre bien aimé.
On sait (car les « vrais chiffres » inconnus de M. Obin existent, et bien qu'imparfaits ils surclassent les sondages des amis du ministre) que le nombre "d'incidents" remontés au ministère est infime (un millier pour 12 millions d'élèves) et qu'il n'évolue pas malgré tout le racolage pour donner de l'importance à de menus faits.
Pour faire triompher le bien, il a sa méthode : « il faudra écrémer les formateurs actuels pour ne garder que ceux qui sont conformes (à lapenséejeanpierreobin). de même il appelle à mettre dans les jurys de recrutement des enseignants de "nouveaux profils de personnes" (conformes à lapenséejeanpierreobin.) »
Inquiétant ce néoinquisiteur.
Peut-être que dans son obsession pour éduquer les professeurs à la vraie laïcité, il en oublie la vraie force de l'éducation nationale, celle qui justifie qu'on se batte pour elle si on ne fait pas partie de la petite élite scolarisée ailleurs et qui n'a que faire du destin des gens ordinaires : elle est là pour permettre ce que naguère on appelait l'ascenseur social. Les valeurs émancipatrices ne sont pas découplées des valeurs de promotion sociale. Quand on est sûr de ses valeurs, on n'a pas besoin de les faire entrer à coup de massue dans la tête des récalcitrants, comme au bon vieux temps des missions civilisatrices. Mais si ces valeurs, c'est être exploité laïquement en se taisant et en servant des repas chauds en moins de dix minutes à un rédacteur d'éditorial bien trop payé pour les lignes qu'il produit, ne vous étonnez pas qu'il vous renvoie votre laïcité à la figure. Au nom d'Allah, de Jehovah, de Jésus, de Marx ou de Bouddha selon les latitudes et les époques.