°°° Rentrée littéraire 2019 #7 °°°
Ce que j'aime chez cette auteure islandaise, c'est son don à camper des personnages décalés avec tendresse et sincérité, on les adopte immédiatement. Impossible de ne pas aimer son héroïne, Hekla et son prénom de volcan. Elle est jeune, libre, moderne, sûre d'elle pour déterminer son destin qui sera d'être écrivaine et poétesse. Elle quitte la ferme de ses parents pour la capitale afin de mener à bien ses projets.
Mais voilà, en 1963, dans une société islandaise minuscule et étriquée, conservatrice et sexiste, il est fort difficile pour une femme, quel que que soit le talent qu'elle possède, de prétendre à être publiée et reconnue. D'autant plus lorsqu'on est aussi belle que Hekla et qu'on ne vous propose comme unique voie de réussite et de réalisation personnelle l'élection de
Miss Islande, un voyage aux Etats-Unis et des fourrures.
Les ellipses sont toujours très justement semées pour susciter étonnement ou émotion chez le lecteur. L'écriture d'
Audur Ava Olafsdottir peut sembler très simple voire naïve avec ses phrases courtes. Elle est en fait dénuée de toutes afféteries, droite, directe, évidente pour dire avec beaucoup de finesse et de subtilité toute la difficulté d'être différent et de vouloir s'accomplir malgré les obstacles.
Car il n'y a pas que Hekla dans ce roman. Il y a deux personnages secondaires qui gravite autour d'elles, eux aussi voient leurs aspirations être en décalage avec ce que la société leur propose. Plus que Hekla, personnage éminemment romanesque mais assez linéaire, c'est celui de sa meilleure amie, Isey, qui m'a profondément touchée.
« Je me sentais tellement à l'étroit chez mes parents. La montagne touchait la clôture de la ferme, j'avais envie de partir. Je suis tombée amoureuse. Je suis tombée enceinte. L'été prochain, je serais seule avec deux enfants dans un appartement en sous-sol de Nordurmyri. Et je n'ai que vingt-deux ans. »
Isey, qui n'a pas eu le temps de tisser son destin individuel, Isey embourbée dans la solitude des tâches ménagères et maternelles mais qui essaie de s'échapper, elle aussi par l'écriture secrète de son quotidien. Elle est bouleversante lorsqu'elle se raconte à Hekla.
L'autre ami de Hekla, Jon John, est lui aussi différent, homosexuel tourmenté par ce que la société islandaise lui impose, la solitude, l'hypocrisie et la violente injonction à entrer dans le rang. Mais il m'a un peu agacé avec ses jérémiades constantes même si justifiées. Il permet en tout cas à l'auteur de traiter de thèmes lourds, toujours en profondeur et sans cynisme.
Avec ce beau roman, plus profond qu'il n'en a l'air, l'auteure rend hommage au travail des écrivains et poètes, à la force de la pulsion d'écriture. Sans doute pour cela que j'ai été assez stupéfaite des dernières pages. Je n'ai pas compris l'acte de Hekla, si étonnant étant donné le caractère linéaire du personnage, qu'après quelques jours. Il m'a désolée mais est porteur de sens dans cet hymne à l'écriture et rend le personnage de Hekla complexe et encore plus puissant. Libre avant tout.