Voilà un roman qui ne va
pas forcément rabibocher les détracteurs d'une forme de roman français autobiographique dénoncé souvent comme autosuffisant, nombriliste et que sais-je encore, à tort, comme à raison d'ailleurs. C'est bien dommage car même si
Perdre le nord est à mille lieues du type "roman américain du Midwest", celui des "grands espaces", genre destiné aux lecteurs européens essentiellement, et si on n'est
pas non plus dans le polar classique et encore moins scandinave, ce nouveau "roman-roman" de
Basile Panurgias parle de ces genres littéraires et même bien plus que cela d'ailleurs, puisqu'il recycle subtilement le matériau de son récit
Une littérature sans écrivains, publié chez
Léo Scheer en 2012, avec comme thèmes de prédilection : la littérature avant tout, mais aussi le livre, le livre à l'ère Gutenberg 2.0 pour être précis, à l'heure de l'internet, d'Amazon, des occasions à 1 euro, des librairies "traditionnelles" - mais qui servent du café Nespresso -, des éditeurs de beaux livres ancrés dans la terre, le régionalisme, le "local", donc plus vrai, plus authentique, alors que Kafka avait pourtant été très clair : "Loin d'ici, voilà mon but." Ce but est partagé par le narrateur de
Perdre le nord : un écrivain qui s'ennuie, envers et malgré tout ! comme il le dit page 51 : "L'ennui ne se maîtrise
pas." Séparé de sa compagne danoise, il part à Bruxelles pour y séjourner durant la première moitié du roman, tombant dans une sorte de loose complète et trouvant le réconfort dans les livres, les bons auteurs, les classiques, comme il le signale d'ailleurs page 87 : "Je me sentais merdeux. Mais qu'aurait fait un autre à ma place ? Qu'aurait fait
Shakespeare ? Puis la réponse s'imposa comme une évidence. Il aurait écrit." Ce qu'on lit est donc ce qu'écrit le narrateur, qui pourrait bien être
Basile Panurgias. Mais à l'instar de ce qui se lit trop souvent dans ce type de roman - la dénonciation des magouilles, de la misère derrière les paillettes, etc. - le narrateur, lui, constate en toute simplicité et, tel un stoïcien, fait avec, mais avec une certaine distance ; il continue sa vie, il continue son récit, un peu comme
Beckett dans
l'Innommable : "il faut continuer, je ne peux
pas continuer, je vais continuer", en dehors du fait que si l'écrivain irlandais répondait à la question "Pourquoi écrivez-vous?" par un "Bonkassa!", Panurgias se demande lui plutôt "Akoibon" (tout en continuant quand même). le point fort de ce roman, c'est au final une magnifique réflexion sur le "métier" d'écrivain, aujourd'hui. Réflexion placée dans un roman qui tend parfois vers le polar, fait un clin d'oeil aux "page turner" américains (pleins de dialogues), un roman souvent drôle (on y croise un éditeur fan d'
Anatole France qui finit par vendre son catalogue prestigieux à Amazon!), touche-à-tout, plein de rebondissements et pour le moins picaresque. Pour celles et ceux qui avaient lu L'écrivain national de Joncourt, Éditeur! d'Émile Brami ou encore le Journal de stage de
Bruno Migdal, je ne peux que recommander chaleureusement ce nouveau
Basile Panurgias qui est un merveilleux livre sur le milieu littéraire (et même les bords, là où se trouve l'abîme) - pour les autres, je recommande toutes ces lectures à la fois. Et je finirais en citant
Victor Hugo : "Ceci tuera cela. le livre tuera l'édifice."