Dans une enquête fondée sur l'exégèse, la linguistique et des sources anciennes non bibliques, Römer écarte l'idée qu'un dieu d'Israël unique, universel, célibataire et aniconique ait existé avant la mise par écrit de la Torah vers le IVe siècle. Il relève dans les sources non bibliques et dans
la Bible elle-même les traces d'une divinité proche des standards régionaux, c'est à dire un dieu national, guerrier, doublé d'un dieu créateur (comme l'association de Baal et El), figuré par des statues dans un temple, doté d'une parèdre, et auquel on offre des sacrifices humains. La théophanie du Sinaï, au pays de Madian où Moïse est au service de son beau-père Jethro qui est prêtre, montre que Yhwh n'a pas toujours été le dieu d'Israël. le dieu du groupe du nom d'Israël, groupe dont le nom contient le nom divin « El » n'était pas Yhwh, et en tout état de cause n'était pas Yhwh seul. Yhwh est un dieu guerrier, lié à l'établissement de la monarchie israélite. Lorsque David s‘empare de Jérusalem, Yhwh l'accompagne dans son arche, aux côtés de l'armée de son peuple. Lorsque Salomon bâtit le premier temple, les figurines et les sceaux représentent une statue divine et une déesse associée (Asherah ou la reine du ciel).
La Bible elle-même atteste leur existence antérieure par de nombreuses mentions et par le fait même qu'elle rapporte la destruction de l'une et l'interdiction de l'autre.
Yhwh demande à son peuple une loyauté absolue plutôt que l'amour. C'est un dieu dangereux, pour les hommes et pour son peuple. Il décide d'anéantir l'humanité (en sauvant toutefois Noé et sa famille), il se bat avec Jacob, et il veut tuer Moïse. "J'exterminerai de la face de la terre l'homme que j'ai créé, depuis l'homme jusqu'au bétail, aux reptiles, et aux oiseaux du ciel ; car je me repens de les avoir faits. Mais Noé trouva grâce aux yeux de l'Éternel" [Gn 6, 7-8]. "Et Jacob resta seul. Quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui. […] Jacob donna à cet endroit le nom de Penuel, car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face et j'ai eu la vie sauve" [Gn 32, 25-31]. "Pendant le voyage, en un lieu où Moïse passa la nuit, l'Eternel l'attaqua et voulut le faire mourir. Séphora prit une pierre aiguë, coupa le prépuce de son fils, et le jeta aux pieds de Moïse, en disant : Tu es pour moi un époux de sang !" [Ex 4, 24-25]). Par opposition aux polythéismes où un couple – ou une multitude – de divinités distribue la protection et la souffrance, Yhwh, dieu unique, est la source du bien et celle du mal : « Je suis Yhwh, il n'y en a pas d'autre, je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le bien (salom) et le mal (ra'), moi, Yhwh, je fais tout cela (Es 45, 5-7) » (cité p 295).
L'évènement décisif pour l'établissement (« l'invention ») d'un dieu unique est la destruction de Jérusalem en 587. Un monothéisme universel est acquis quand les scribes postulent que la défaite de la nation, la destruction du temple et la déportation des élites ne sont pas les preuves de l'infériorité de Yhwh, mais au contraire celles de sa puissance : Yhwh s'est servi des Babyloniens pour punir les fautes du peuple élu, parce qu'il n'avait pas respecté les commandements divins. Cette thèse n'est pas nouvelle : elle était proposée par
Norman Cohn dans « Cosmos, Chaos and the World to Come » (1993) qui citait lui-même des sources antérieures. Mais Römer souligne que le génie des rédacteurs de
la Bible est de créer une « religion portative » fondée sur un livre, qui rend inutiles un territoire, une dynastie, un temple ou une statue. Cette religion révère un dieu universel et transcendant, dont le nom est secret et libéré de toute attache régionale : L'aniconisme juif est devenu un marqueur identitaire intriguant dans un contexte hellénistique et Romain. Lorsque Pompée entre en 63 avant notre ère dans le temple de Jérusalem, il découvre avec stupéfaction qu'il est vide, ce qui paraît une chose inconcevable (p 316). le judaïsme naissant invente ainsi la séparation entre le pouvoir politique et la pratique religieuse et entre une pratique religieuse et un territoire spécifique, permettant au judaïsme de fonctionner comme une religion de diaspora. La transformation de Yhwh en Dieu unique est achevée par le refus du judaïsme de l'appeler par son nom et, surtout, par la traduction de la Torah en grec, ce qui permet alors au monde entier (vu de la perspective gréco-romaine) de le découvrir et, éventuellement, de se tourner vers lui (p 332).
Dans ce livre distant, intelligent et parfaitement construit, on ne trouvera pas une lecture religieuse de
la Bible, selon la tradition léguée par
Origène qui conseillait le lire le Livre saint trois fois, au sens littéral, au sens moral puis au sens spirituel. C'est l'oeuvre d'un historien savant. On y trouve pourtant un peu de la richesse mystérieuse et poétique du Livre : le Psaume 17, une complainte individuelle, décrit un processus qui va de la complainte durant la nuit (v.3) : « Tu sondes mon coeur, tu l'inspectes la nuit, tu m'éprouves, tu ne trouveras rien », à l'exaucement le matin, au moment du réveil (v. 15) : Moi, avec justice, je contemplerai ta face ; je me rassasierai au réveil de ton image » (p 206).