AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782021143799
352 pages
Seuil (27/03/2014)
4.27/5   15 notes
Résumé :
Si le judaïsme et, à sa suite, le christianisme et l'islam proclament l'unicité d'un dieu régnant seul de toute éternité sur le ciel et la terre, la Bible hébraïque elle-même témoigne, pour qui la lit attentivement, de ses racines polythéistes. De fait, le « dieu d'Abraham » auquel se réfèrent, chacune à sa manière, les trois religions du Livre n'a pas été unique depuis toujours.Comment un dieu parmi les autres est-il devenu Dieu ? Telle est l'énigme fondatrice que ... >Voir plus
Que lire après L'invention de DieuVoir plus
Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Dans une enquête fondée sur l'exégèse, la linguistique et des sources anciennes non bibliques, Römer écarte l'idée qu'un dieu d'Israël unique, universel, célibataire et aniconique ait existé avant la mise par écrit de la Torah vers le IVe siècle. Il relève dans les sources non bibliques et dans la Bible elle-même les traces d'une divinité proche des standards régionaux, c'est à dire un dieu national, guerrier, doublé d'un dieu créateur (comme l'association de Baal et El), figuré par des statues dans un temple, doté d'une parèdre, et auquel on offre des sacrifices humains. La théophanie du Sinaï, au pays de Madian où Moïse est au service de son beau-père Jethro qui est prêtre, montre que Yhwh n'a pas toujours été le dieu d'Israël. le dieu du groupe du nom d'Israël, groupe dont le nom contient le nom divin « El » n'était pas Yhwh, et en tout état de cause n'était pas Yhwh seul. Yhwh est un dieu guerrier, lié à l'établissement de la monarchie israélite. Lorsque David s‘empare de Jérusalem, Yhwh l'accompagne dans son arche, aux côtés de l'armée de son peuple. Lorsque Salomon bâtit le premier temple, les figurines et les sceaux représentent une statue divine et une déesse associée (Asherah ou la reine du ciel). La Bible elle-même atteste leur existence antérieure par de nombreuses mentions et par le fait même qu'elle rapporte la destruction de l'une et l'interdiction de l'autre.
Yhwh demande à son peuple une loyauté absolue plutôt que l'amour. C'est un dieu dangereux, pour les hommes et pour son peuple. Il décide d'anéantir l'humanité (en sauvant toutefois Noé et sa famille), il se bat avec Jacob, et il veut tuer Moïse. "J'exterminerai de la face de la terre l'homme que j'ai créé, depuis l'homme jusqu'au bétail, aux reptiles, et aux oiseaux du ciel ; car je me repens de les avoir faits. Mais Noé trouva grâce aux yeux de l'Éternel" [Gn 6, 7-8]. "Et Jacob resta seul. Quelqu'un lutta avec lui jusqu'au lever de l'aurore. Voyant qu'il ne le maîtrisait pas, il le frappa à l'emboîture de la hanche, et la hanche de Jacob se démit pendant qu'il luttait avec lui. […] Jacob donna à cet endroit le nom de Penuel, car, dit-il, j'ai vu Dieu face à face et j'ai eu la vie sauve" [Gn 32, 25-31]. "Pendant le voyage, en un lieu où Moïse passa la nuit, l'Eternel l'attaqua et voulut le faire mourir. Séphora prit une pierre aiguë, coupa le prépuce de son fils, et le jeta aux pieds de Moïse, en disant : Tu es pour moi un époux de sang !" [Ex 4, 24-25]). Par opposition aux polythéismes où un couple – ou une multitude – de divinités distribue la protection et la souffrance, Yhwh, dieu unique, est la source du bien et celle du mal : « Je suis Yhwh, il n'y en a pas d'autre, je forme la lumière et je crée les ténèbres, je fais le bien (salom) et le mal (ra'), moi, Yhwh, je fais tout cela (Es 45, 5-7) » (cité p 295).
L'évènement décisif pour l'établissement (« l'invention ») d'un dieu unique est la destruction de Jérusalem en 587. Un monothéisme universel est acquis quand les scribes postulent que la défaite de la nation, la destruction du temple et la déportation des élites ne sont pas les preuves de l'infériorité de Yhwh, mais au contraire celles de sa puissance : Yhwh s'est servi des Babyloniens pour punir les fautes du peuple élu, parce qu'il n'avait pas respecté les commandements divins. Cette thèse n'est pas nouvelle : elle était proposée par Norman Cohn dans « Cosmos, Chaos and the World to Come » (1993) qui citait lui-même des sources antérieures. Mais Römer souligne que le génie des rédacteurs de la Bible est de créer une « religion portative » fondée sur un livre, qui rend inutiles un territoire, une dynastie, un temple ou une statue. Cette religion révère un dieu universel et transcendant, dont le nom est secret et libéré de toute attache régionale : L'aniconisme juif est devenu un marqueur identitaire intriguant dans un contexte hellénistique et Romain. Lorsque Pompée entre en 63 avant notre ère dans le temple de Jérusalem, il découvre avec stupéfaction qu'il est vide, ce qui paraît une chose inconcevable (p 316). le judaïsme naissant invente ainsi la séparation entre le pouvoir politique et la pratique religieuse et entre une pratique religieuse et un territoire spécifique, permettant au judaïsme de fonctionner comme une religion de diaspora. La transformation de Yhwh en Dieu unique est achevée par le refus du judaïsme de l'appeler par son nom et, surtout, par la traduction de la Torah en grec, ce qui permet alors au monde entier (vu de la perspective gréco-romaine) de le découvrir et, éventuellement, de se tourner vers lui (p 332).
Dans ce livre distant, intelligent et parfaitement construit, on ne trouvera pas une lecture religieuse de la Bible, selon la tradition léguée par Origène qui conseillait le lire le Livre saint trois fois, au sens littéral, au sens moral puis au sens spirituel. C'est l'oeuvre d'un historien savant. On y trouve pourtant un peu de la richesse mystérieuse et poétique du Livre : le Psaume 17, une complainte individuelle, décrit un processus qui va de la complainte durant la nuit (v.3) : « Tu sondes mon coeur, tu l'inspectes la nuit, tu m'éprouves, tu ne trouveras rien », à l'exaucement le matin, au moment du réveil (v. 15) : Moi, avec justice, je contemplerai ta face ; je me rassasierai au réveil de ton image » (p 206).
Commenter  J’apprécie          150

Citations et extraits (14) Voir plus Ajouter une citation
En parlant d'une "invention de Dieu", nous n'imaginons pas que quelques Bédouins se sont un jour réunis autour d'une oasis pour créer leur dieu ou que, plus tard, des scribes ont forgé de toutes pièces Yahvé en tant que dieu tutélaire. Il faut plutôt comprendre cette "invention" comme une construction progressive issue de traditions sédimentées dont l'histoire a bouleversé les strates jusqu'à faire émerger une forme inédite. Et quand on analyse comment s'est développé le discours sur ce dieu et comment celui-ci est finalement devenu le dieu unique, on peut voir, là, une sorte d'"invention collective" toujours en réaction à des contextes historiques et sociaux précis.
Commenter  J’apprécie          190
En résumé, en Israël, Yhwh devint définitivement la divinité la plus importante avec le putsch de Jéhu. Yhwh a d’abord été vénéré dans le Nord surtout comme un « baal », c’est-à-dire un dieu de l’orage ressemblant à certains égards au dieu Baal d’Ougarit. Il n’a pas été le seul dieu vénéré en Israël ; peut-être a-t-il d’abord été subordonné à El (notamment dans le cas du sanctuaire de Béthel). Sous les Omrides, deux baalim se faisaient concurrence : le baal phénicien (peut-être Milqart) et le baal Yhwh. Par la suite, Yhwh intégra apparemment les traits d’El ainsi que des traits solaires : il devint un baal shamem, un « Seigneur du ciel ». Jusqu’à la chute de Samarie en 722 avant notre ère, le culte de Yhwh n’était pas exclusif, comme le montre le prisme de Nimroud, dans lequel Sargon II relate la prise de la capitale du royaume du Nord : « Je comptai pour prisonniers 27 280 personnes ainsi que leurs chars et les dieux en qui ils se confiaient.
Commenter  J’apprécie          00
Ceux qui ont consacré ces sacrifices à Yhwh-Melek ont ​​ainsi souligné sa souveraineté et exprimé l'espoir qu'il intervienne en tant que sauveur dans une situation de crise. À l’époque perse, le sacrifice humain devient tabou et les éditeurs tentent de le dissocier du culte de Yhwh. Dans le cadre du même projet, les Massorètes ont ensuite changé Melek en Molek
Commenter  J’apprécie          10
Bien que la culture mésopotamienne soit marquée par un polythéisme très élaboré, on constate néanmoins des tendances orientées vers un « hénothéisme », un attachement plus particulier à un seul dieu sans nier l’existence d’autres divinités. Nabuchodonosor I (1125-1104) veut faire du dieu Mardouk, d’abord dieu tutélaire de la ville de Babylone, le dieu central du panthéon babylonien. Nabonide (556-539), quant à lui, veut faire du dieu lunaire Sin le dieu principal de l’Empire babylonien. Ce dernier épisode n’est pas sans rappeler la réforme cultuelle entreprise par le pharaon Akhénaton (Aménophis IV, 1353-1337), qui est souvent présenté comme étant le premier monothéiste de l’humanité.
Commenter  J’apprécie          00
Peut-on parler de monothéisme avant la Bible ? Les religions mésopotamiennes ont produit de grandes épopées qui ont largement influencé les auteurs bibliques, ce qui montre que les frontières entre monothéisme et polythéisme sont perméables : l’épopée de Gilgamesh, les récits de création et du déluge ont servi de modèles pour les auteurs bibliques qui ont repris ces grands textes en les réinterprétant dans une perspective monothéiste.
Commenter  J’apprécie          00

Lire un extrait
Videos de Thomas Römer (13) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Thomas Römer
Thomas Römer, professeur du Collège de France sur la chaire Milieux bibliques, introduit son cours de l'année 2023-2024 : Discours bibliques sur les origines (Genèse 1-11)
Découvrez la suite du cours : https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/discours-bibliques-sur-les-origines-genese-1-11/que-la-lumiere-soit-la-creation-du-monde-et-des-etres-humains-gn-11-23
Abonnez-vous à la chaîne @Histoire-Archeologie-CdF et retrouvez la playlist de ses enseignements : https://www.youtube.com/playlist?list=PL5b90dlv07¤££¤20Suivez-nous15¤££¤6Mw2HOzsctS
Le Collège de France est une institution de recherche fondamentale dans tous les domaines de la connaissance et un lieu de diffusion du « savoir en train de se faire » ouvert à tous. Les cours, séminaires, colloques sont enregistrés puis mis à disposition du public sur le site internet du Collège de France.
Découvrez toutes les ressources du Collège de France : https://www.college-de-france.fr
Suivez-nous sur : Facebook : https://www.facebook.com/College.de.France Instagram : https://www.instagram.com/collegedefrance X (ex-Twitter) : https://twitter.com/cdf1530 LinkedIn : https://fr.linkedin.com/company/collègedefrance
+ Lire la suite
autres livres classés : religionVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus


Lecteurs (50) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
440 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *}