À partir d'une image très choquante, Daniel Schneiderman a écrit un livre très marquant ! C'est une excellente initiative pour quelqu'un qui, comme moi, cherchait un ouvrage d'histoire sur la colonisation qui soit autre chose qu'un manuel indigeste. En effet, Cinq têtes coupées est particulièrement facile à lire ; tellement agréable que j'ai pu le passer à ma compagne qui ne lit jamais de livre d'histoire et très peu d'essais...
Ce qui rend la narration si fluide est la construction sous forme d'une double enquête. La première, historique, part de la photographie pour aborder les expéditions de conquêtes françaises en Afrique : celle d'un humaniste, Brazza, et les suivantes de Marchand et Voulet qui se sont bien écartées des modalités pacifiques de Brazza. Celle de Voulet, notamment, atroce et très bien racontée, m'a particulièrement touché et choqué. En bon journaliste, Daniel Schneiderman analyse aussi son retentissement dans la presse : elle a été dénoncée par Clemenceau dans son journal l'Aurore, tandis que la presse conservatrice s'acharne à nier toute attaque contre la probité de l'armée française. Cela vous rappelle sûrement l'affaire Dreyfus... Eh bien justement, elle éclate quelques semaines plus tard et éclipse complètement l'expédition de Voulet.
Quant à la seconde enquête, en parallèle de la première, elle aborde l'héritage de la colonisation aujourd'hui, dans notre culture, à partir de la vie personnelle de l'auteur. Habituellement je trouve ce genre de partie peu convaincante (pas assez "scientifique") mais je dois reconnaître qu'elle ne manque pas d'intérêt. Schneiderman y étudie notamment le décalage entre la mémoire de la terrible expédition de Voulet dans les pays d'Afrique de l'ouest, où elle constitue un point central de l'histoire nationale, et en France où elle a été totalement oubliée. Je ne peut que remercier l'auteur de combler cette oubli inadmissible.
Ainsi l'ouvrage est extrêmement intéressant, bien écrit, accessible, je le recommande particulièrement. En plus il propose une bonne piste d'analyse aux professeurs d'histoire qui peuvent partir de cette image de couverture pour étudier la colonisation.
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A partir d'une simple photographie qui a interpelé l'auteur, celui-ci délie progressivement le fil d'atrocités commises par la France lors de la colonisation de l'Afrique. Livre surprenant, par sa forme, mais surtout parce qu'il déterre des pans obscurs et ignorés de l'histoire de la colonisation. Il s'agit, hélas, d'un passé trop lointain pour que l'on puisse rêver d'une repentance. C'est dommage car un pays qui occulte son passé ne regarde pas vers l'avenir. Seul bémol, quelques références au wokisme et à l'islamophobie qui me semblent inutiles.
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Les trous noirs me fascinent. Les silences m'attirent. La capacité de refoulement collectif me sidère toujours, tant elle confine parfois au chef-d'œuvre.
L'interprète personnel de Voulet dirige le massacre et compte ensuite les morts devant le chef Ousmane : 50 femmes, 50 enfants et un homme, alors que la ville ne s'est pas montrée hostile.
Les tirailleurs eux-mêmes ne sont pas épargnés : le 9 janvier, Voulet fait exécuter le tirailleur régulier Moussa Koné parce qu'il a perdu 124 cartouches tombées à l'eau, que le tirailleur n'a pas pu aller récupérer faute de savoir nager. Cette exécution sera un des principaux points examinés lors de l'enquête militaire. Le rebelle, passe encore, mais on ne fait pas exécuter un régulier.
Parmi les produits dérivés du "village nègre" de Lyon, on pourrait citer encore les spectacles de music-hall inspirés des hauts faits de l'armée française en Afrique. Le soir venu, les "villageois" du jardin d'acclimatation viennent y faire les figurants glaner de maigres cachets. Le public accourt. La Belle Époque est une fête.
Discussion animée, animée par Judith Bernard et Daniel Schneidermann, 17 juin 2010