Fils de diplomate,
Sommerset Maugham (1874-1965) est né et est mort en France et a d'abord parlé français. Devenu très jeune orphelin de mère puis de père, il a poursuivi ses études an Angleterre, a plus tard beaucoup voyagé, et est devenu un écrivain particulièrement prolifique. «La Sortilège malais» (1926) rassemble six nouvelles (un genre qu'il affectionne) qui nous permettent de nous plonger dans un monde qui n'est plus, celui de la société anglaise en Malaisie, protectorat anglais dont le sultan n'est présent que par ouï-dire. D'autres commentateurs de Babelio ont jugé ce recueil froidement et un peu vieilli, ce qui n'est pas mon cas, car je trouve que chaque époque est un monde à découvrir et à connaitre, et si la nôtre a ses valeurs, elles seront peut-être jugées demain tout aussi sévèrement que nous jugeons aujourd'hui celles d'hier. «
Le Sortilège malais», ce sont six petits drames qui ont en commun de se dérouler au sein de ce microcosme, et s'il n'y avait les Malais, les descriptions des fleuves et de la nature, on pourrait presque retrouver l'atmosphère british d'
Agatha Christie, avec le dénouement inattendu à la dernière page. On peut y ajouter une discrète mais claire dénonciation du racisme et des discriminations, par exemple dans «Le Poste dans la brousse» (en anglais The Outstation) où Cooper se montre odieux envers son personnel malais serviable et dévoué. Une autre nouvelle, «La Force des choses», commence un peu comme l'opéra de Puccini «Mme Butterfly», mais finit beaucoup mieux. Guy avait pris une femme malaise pour le plaisir, et en a eu trois enfants, avant de les renvoyer cyniquement tous
les quatre pour aller épouser une «blanche» en Angleterre. Certes, «il paye» pour eux, c'est déjà ça, mais il ne veut plus les voir… jusqu'à la dernière page où son fils vient lui demander s'il n'a besoin de rien. Il soupira et répondit «Dis à ta mère de préparer ses effets et les vôtres. Elle peut revenir». «Quand demanda l'enfant, impassible?» «De grosses larmes roulèrent sur la face ronde de Guy - Ce soir». Il y a aussi Izart qui redoute qu'on découvre qu'il est métis, ce qui serait mal vu de l'establishment, et qui fait croire que sa peau un peu foncée est due à une grand-mère espagnole. L'auteur transpose peut-être ici ce qu'il ressent lui-même comme homosexuel forcé à la discrétion. Beaucoup de drames d'incompréhension, un meurtrier et deux meurtrières aux mobiles complexes, mais aussi beaucoup de modèles de tolérance et d'abnégation.
Quelques citations :
«J'avais vingt-sept ans et personne d'autre ne semblait disposé à m'épouser. Certes, ses quarante-quatre ans n'étaient gère tentants, mais il m'offrait en somme une situation très acceptable Je n'espérais plus une meilleure occasion».
«Elle lui dit qu'elle recevait chaque après-midi à l'heure du thé».
«Il dévorait dans le Times, qu'il recevait avec six semaines de retard, la rubrique mondaine. Il suivait les naissances, les décès et les mariages, et jamais il n'aurait omis une lettre de félicitations ou de condoléances».