Grâce à une forte intertextualité, les six nouvelles de ce recueil composent un drôle de tableau impressionniste de la ville de Londres à la fin du XXème siècle. Ou plutôt d'une version alternative de cette ville, comme si elle était discrètement envahie par une autre dimension où ne se passent la plupart du temps que des choses pas très normales.
Will Self lance des hypothèses délirantes à partir de notre monde réel. On nagerait en pleine science-fiction, si ce terme se limitait aux sciences sociales et psychologiques. Nous avons aussi un zeste de drogue et de
Bardo Thödol, pour faire bonne mesure.
En effet, avec « le Livre des morts de Londres-Nord »,
Will Self rend un hommage iconoclaste au bouddhisme tibétain. Car sa vision de l'après-vie se révèle aussi terne et ennuyeuse que possible. Pensez-vous, la mort vous oblige à habiter dans la banlieue de Londres ! La situation est traitée avec une désinvolture toute britannique, que seule vient contredire le trouble du narrateur. Retrouvera-t-il son Self control avant de commettre LA gaffe irréparable ?
L'ennui a une place importante dans ce recueil, puisque ce thème est aussi au coeur de la nouvelle « A la découvert des Ur-Bororos », tribu la plus barbante de toute l'Amazonie, dont les valeurs (ou plutôt leur absence) débordent insidieusement sur notre fière civilisation occidentale. Prélude au vide du Nirvana ? Pas sûr.
Cette obsession de l'ennui génère des compulsions chez les fiers britanniques. Car la dernière nouvelle « Attendre » décrit une fin de siècle en manque de repères, où le simple fait de patienter entre « immanence et imminence » génère des comportements intenses, voire violents, comme les prémices d'une
apocalypse couvant dans l'inconscient collectif.
Ce qui nous amène à la nouvelle éponyme, où un chercheur aventureux met le doigt sur la façon dont la santé mentale se régule dans cet univers parallèle… entraînant chez ses disciples bon nombre de dérives qui menacent aussitôt de déstabiliser ladite régulation. Une satire lente à démarrer, mais qui établit finalement des parallèles intéressants avec le développement de n'importe quelle théorie plus sensée (ou tout aussi peu sensée).
En conséquence, la démence s'étend et déborde sur les autres nouvelles, en particulier « Monocellulaire », récit aux allures de bad trip.
Pour éviter l'overdose, je vous conseille de lire ce recueil par petites bouchées, en prenant bien votre temps, sous peine de vous réveiller dans cet autre monde (c'est là ma théorie quantitative).