A la sortie de ma lecture de «
Suite Française » et devant les quelques remarques lues concernant la personnalité d'
Irène Némirovsky, j'ai voulu en savoir plus sur cette auteure et sur l'ambigüité qu'elle entretenait avec sa judéité.
J'ai cherché un auteur susceptible de bien cerner la personnalité de la romancière, donc je souhaitais que ce fût un auteur juif. J'ai jeté mon dévolu sur celui de
Susan Rubin Suleiman.
Cette dernière est professeure émérite de civilisation française et de littérature comparée à l'Université de Harvard. Sur la quatrième de couverture, il est indiqué « biographie intellectuelle ». Entreprendre une telle lecture, demande une parfaite connaissance de l'oeuvre d'
Irène Némirovsky ce qui n'est pas mon cas. Il y a une grande partie du livre consacrée à l'étude de ses écrits afin de mieux affiner et de nuancer son rapport à sa judéité.
Susan Rubin Suleiman place au centre de sa recherche la question de « la haine de soi » et de « l'antisémitisme » que certains ont pu lire dans les écrits d'
Irène Némirovsky. Elle les replace dans une période bien précise, le contexte des années précédent la seconde guerre mondiale. le regard sur l'antisémitisme est différent entre avant l'Holocauste et après l'Holocauste.
Irène Némirovsky est née à Kiev en 1903 dans une famille de la bourgeoisie juive. Son père, Léon Némirovsky, issu d'une famille yiddishophone pauvre des environs d'Odessa, a d'abord fait fortune dans diverses entreprises puis dans la banque avant la
Première Guerre mondiale. Sa mère, Anna, est la fille aînée d'une famille bourgeoise juive désargentée où le français est la langue de prédilection et le yiddish méprisé. Son père fait figure de « paria » qui a réussi à échapper au ghetto mais qui reste, aux yeux de la famille d'Anna, « le petit juif ». Irène déteste sa mère totalement dépourvue d'amour maternel et ce couple mal assorti n'a fait que renforcer l'ambigüité d'
Irène Némirovsky. Ces mères totalement dénuées d'amour maternel, frivoles, plus préoccupées de plaire, seront souvent évoquées dans les livres d'Irène.
La famille parvient en France en 1919 où Irène termine ses études à la Sorbonne. Elle rencontre son mari, Michel Epstein, dont elle aura
deux filles, Denise et Elisabeth.
Irène est déportée en juillet 1942 à Auschwitz pour mourir du typhus un mois plus tard. Michel subit le même sort peu de temps après. Denise et Elisabeth ne reverront jamais leurs parents. Elles vont vivre cachées jusqu'à la Libération.
Le premier chapitre, intitulé « La question juive » est passionnant.
Susan Rubin Suleiman tente de définir les critères qui peuvent amener
Irène Némirovsky à écrire des romans véhiculant les stéréotypes antisémites. Elle démonte, analyse, un à un tous les griefs et expose clairement toute la dualité liée à l'identité juive et les conflits intérieurs qu'elle peut générer. On ressent bien l'admiration de
Susan Rubin Suleiman pour
Irène Nemirovsky. Elle ne laisse rien au hasard. de toutes les controverses, elle aspire à démontrer que rien n'est tout blanc ou tout noir.
Brillante écrivaine des années 30, considérée l'égale de Colette, reconnue par delà l'Atlantique, avant la Shoah. Devenue une victime d'Auschwitz ensuite, au sortir de la
deuxième guerre mondiale, puis passée aux oubliettes, c'est à la sortie de
Suite Française que des interrogations ont commencé à être posées dans la presse juive américaine avant d'être reprises par la presse en général. Les reproches principaux concernant l'oeuvre d'
Irène Némirovsky sont principalement les personnages juifs tendancieux dans «
David Golder,
Les chiens et les Loups et le Maîtres des âmes ». Irène déteste-t-elle les juifs, ou bien elle-même, ou alors, ne se rendait-elle pas compte qu'à travers son analyse psychologique très subtile de ses personnages, elle servait la cause des antisémites. Nous sommes en 1929 et Hitler n'est pas encore au pouvoir. Ce qui fera dire en 1939 à Irène « Comment ai-je pu écrire cela ? ». Oui bien sur, avec le recul, avec la Shoah, les regards ne sont plus les mêmes mais combien de juifs français et étrangers pouvaient imaginer que la République participerait à un génocide.
Autre dilemme : l'idée qui se dégage de la fiction d'
Irène Némirovsky c'est qu'une assimilation juive heureuse est impossible puisque la xénophobie ambiante vient, en permanence, rappeler les Juifs à leur statut racial comme une injonction impossible à dépasser. Elle tente d'attirer l'attention du lecteur sur cette complexité.
Ma génération a eu la chance de vivre une période où nous vivions tous ensemble sans aucune différence liée à l'identité, à la religion. Nous n'étions absolument pas préoccupés par cela. Chacun chez soi vivait à sa manière mais au dehors, nous ne revendiquions aucune différence. Les juifs avaient connu l'étoile jaune, il n'était absolument plus question d'afficher de signes distinctifs ostentatoires. Malheureusement aujourd'hui, une recrudescence virulente du communautarisme fait trembler notre République, comme quoi l'Histoire s'oublie vite.
Dans «
Les Chiens et les Loups », on peut y trouver le rejet affiché des petites gens qui débarquent de leur shtetl. En France vivent de très anciennes communautés juives françaises comme les alsaciens ou celles du midi de la France. Ils sont français depuis des générations, totalement assimilées comme Dreyfus ou
Bernard Lazare. On peut imaginer facilement le regard de ces familles sur ces immigrés de la dernière heure, pauvres, dont le quotidien est encore géré par le religieux, yiddishophones.
Issue elle-même d'une famille russe cultivée, fortunée, où l'on parle français dès l'enfance, assimilée rapidement, l'image que renvoyaient ces nouveaux arrivants n'a pu que provoquer le rejet d'une grande partie de ces français.
(Lire
Roger Ikor - Goncourt 1955 - Les fils d'Avrom suivi des Eaux Mêlées).
Il lui est aussi reproché d'avoir continué sa collaboration avec la revue antisémite « Gringoire » jusque tard. Lorsque les lois anti-juives furent promulguées, elle parut sous un faux nom. En 1928, Gringoire fut créé par
Horace de Carbuccia et
Kessel, d'inspiration de gauche mais anti bolchévique, elle s'intéressera particulièrement aux nouveaux talents tels que Gary,
Cocteau, Maurois, Colette et Némirovsky. En 1929,
Kessel, homme de terrain, quitte ses fonctions et continue d'y faire paraitre ses articles. Plus tard, c'est sous la plume de Béraud que cette revue se politisera. Elle devient alors antisémite et collaborationniste. Dans les années 30, Gringoire est tiré à 650000 exemplaires plus que tout autre hebdomadaire. Peut-on reprocher à Irène de subvenir aux besoins de sa famille. Michel est sans emploi et il y a les enfants. Les juifs n'ont plus le droit d'exercer et tous leurs biens ont été confisqués ainsi que leurs liquidités.
Il est aussi difficile de lui reprocher de s'être convertie au catholicisme. Nombreux sont les juifs qui ont espéré ainsi échapper aux nazis sans compter ceux, après la guerre, qui ont francisé leur nom. A force de persécutions, de pogroms, peut-on reprocher à un individu son instinct de survie ? Il est bien évident qu'il existe des juifs qui se sont convertis au catholicisme par vocation comme Monseigneur Lustiger, mais malgré ses offices, il n'a jamais renoncé à son identité juive.
J'ai tenté de résumer ce livre de
Susan Rubin Suleiman extrêmement dense, suscitant beaucoup de réflexions, mais qui, à force de vouloir démontrer, a fini un peu par m'embrouiller. Néanmoins, je vais suivre les conseils d'une de nos amies, je vais lire Mirador écrit par
Elisabeth Gille, sa fille, et je vais continuer la découverte de l'oeuvre d'
Irène Némirovsky. (Petit message à l'intention de notre amie Annette55). J'y verrai ainsi plus clair!
Je voulais aussi apporter une rectification. C'est un livre traduit et il est écrit «Heureux comme un Juif en France ». La bonne expression est « Heureux comme Dieu en France » en yiddish « Men ist azoy wie Gott in Frankreich ».