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EAN : 9782234086722
Stock (26/02/2020)
3.31/5   116 notes
Résumé :
« Appelons-le Frederick, il a 41 ans, il est professeur de littérature, spécialiste de Flaubert, marié, père de Lizzie, 15 ans et vit, au moment des faits, l’été 1991, dans une jolie maison en briques à trois étages dans le quartier de Carroll Gardens à Brooklyn.

Frederick trompe sa femme. Sa maîtresse s’appelle Esther, elle est blanche, juive, parisienne, évidemment plus jeune. Elle vient de terminer ses études de journalisme. Elle est en stage de t... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (42) Voir plus Ajouter une critique
3,31

sur 116 notes
19 août 1991, un cortège de trois voitures passe dans la rue où Gavin est en train de réparer son vélo rouge, avec sa cousine Angela. Il s'agit du rabbin Yosef Lifsh, qui se rend à la synagogue et de son escorte. le feu passe à l'orange alors que les deux premières voitures sont passés, le chauffeur de la troisième décide de suivre provoquant un accident dramatique : Gavin va y laisser sa vie et Angela aura les jambes brisées.

Les secours ont été appelés : ambulances privées, publiques mais c'est trop tard pour Gavin, et les esprits s'échauffent, pour les habitants du quartier toutes sortes de rumeurs se propagent comme une traînée de poudre : l'ambulance aurait préféré emmener le chauffeur blessé, c'est une faute, le chauffeur était ivre, il n'avait pas le permis, il a fait exprès de tuer l'enfant…

Les magasins juifs sont pillés, un touriste juif qui passait par là est tabassé à mort, avec des slogans ahurissants tels que « vive Hitler », « à mort les juifs » etc. Galvin est Noir donc c'est forcément un acte volontaire…

Dans ce quartier de Crown Heights, les deux communautés ont toujours cohabité sans problèmes particulier, mais la mort de l'enfant va déclencher une montée de haine, alimentée par des jeunes Noirs qui veulent en découdre et transforme la vérité, puis les journalistes.

Une jeune étudiante Esther tente de mener son enquête, n'hésitant pas à se rendre sur les lieux, à rencontrer des personnalités du moment, tel Frederick, professeur de littérature à l'université, passionné par « Madame Bovary » qu'il tente de faire découvrir à ses étudiants. C'est un professeur apprécié qui a été nommé à ce poste parce qu'il fallait des professeurs noirs à l'université et certains sont choqués qu'il puisse enseigner Flaubert, car ce n'est pas ce genre de littérature que « devrait enseigner un Noir ».

Esther est juive, sa famille, originaire de Kichinev, a dû fuir les pogroms en Ukraine, et dans la famille personne n'en parle, ou du moins Esther n'a pas envie d'en savoir plus sur la tragédie familiale, mais comment réussir sa vie quand on nie ses racines, c'est ce que tente de lui faire comprendre Frederick.

Esther et Frederick tombent amoureux, mais il est marié, a des scrupules vis-à-vis de sa femme et de leur fille et surtout, il est plus âgé qu'Esther. Ce couple Noir-Juive entre en résonance avec la situation dans le quartier, car la violence ne frappe pas que les noirs des quartiers défavorisés, et le statut de professeur ne met pas à l'abri de dérapages policiers.

L'auteure fait souvent référence à James Baldwin, à Philip Roth et aussi à un écrivain « russo-ukrainien » que j'apprécie beaucoup : Vladimir Korolenko en évoquant un de ses textes sur le pogrom de 1903 à Kichinev :

« Vladimir Korolenko se demande comment un voisin peut se transformer en monstre. Comment les « retenues ordinaires de civilisation peuvent disparaître aussi rapidement ». Vladimir Korolenko n'offre pas de réponse. »

J'ai beaucoup aimé ce roman, la mise en parallèle d'un accident mortel qui dégénère en haine sur fond de discrimination raciale, qui gangrène à tous les niveaux. Je mets deux bémols : d'une part, l'idylle entre Esther et Frederick, leurs tourments intimes, sont un peu fade par rapport à ce qui se passe dans le quartier, mais l'exercice est difficile, on a toujours tendance à préférer le sujet principal.

Quant au second bémol : Colombe Schneck a choisi de varier les moments, les dates dans sa narration, tantôt on est dans le passé, tantôt dans le futur par rapport à l'accident et je trouve que cela n'apporte rien de plus au texte, si ce n'est stimuler la vigilance du lecteur. Je précise que ce sont de petits bémols, l'exercice étant difficile.

L'auteure présente son roman comme une histoire d'amour sur fond d'émeutes sociales, mais je trouve que c'est beaucoup plus qu'une simple histoire d'amour, à mon avis. C'est le premier livre de Colombe Schneck que je lis. Certes, j'ai suivi sa carrière de journaliste mais je remettais toujours à plus tard, la découverte de son oeuvre littéraire notamment « La réparation », consacrée à la déportation des membres de sa famille…

Un immense merci à NetGalley et aux éditions Stock qui m'ont permis de découvrir ce livre et de commencer à parcourir l'oeuvre littéraire de Colombe Schneck.

#NuitsdétéàBrooklyn #NetGalleyFrance
Lien : https://leslivresdeve.wordpr..
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Un été à New York

En 1991, une jeune journaliste est envoyée à New York au moment où un acte antisémite enflamme Brooklyn. Vingt-cinq ans plus tard, Colombe Schneck s'en souvient. Mais ces «nuits d'été à Brooklyn» sont aussi celles passées dans les bras de Frederick.

Après s'être intéressée à sa famille, notamment avec l'émouvant «Les guerres de mon père», Colombe Schneck s'est plongée dans sa propre biographie. Après «La tendresse du crawl» et l'histoire d'amour avec Gabriel, elle se remémore l'année 1991 et ses débuts dans le journalisme. La romancière se cache en effet à peine derrière le personnage d'Esther Rosen, envoyée à New York pour y faire ses armes. La jeune fille qui découvre la grosse pomme ne va pas tarder à pouvoir montrer ses qualités de reporter puisque le 19 août, un fait divers dramatique se produit à Crown ¬Heights, un quartier de Brooklyn. C'est la description des faits, avec toutes les précautions d'usage – comme le ferait le représentant d'une agence de presse – qui ouvre le roman. ¬Pour ne pas perdre de vue la voiture du rabbin, Yosef ¬Lifsh qui le suit, accélère au feu orange. La collision qui suit fait déraper sa voiture, provoquant la mort de ¬Gavin, 7 ans, malgré les secours arrivés très vite sur place. Très vite, les rumeurs gagnent le quartier, suivis par des cris de vengeance: «On n'en peut plus. Les Juifs obtiennent tout ce qu'ils veulent. Ils tuent nos enfants. Nous n'obtenons ni la justice ni le respect.» Dans ce quartier où domine une communauté noire, en majorité afro-antillaise, vivent également quelques 20000 juifs. L'un d'entre eux, Yankel Rosenbaum, étudiant en histoire à l'université de Melbourne, a la mauvaise idée de se promener sur Brooklyn Avenue. Il est À 23 h 20 lorsqu'un petit groupe l'attrape, le bat et le poignarde à mort. Son assassin présumé est arrêté quinze minutes après par la police. «Tout au long de cette première nuit, une foule, en majorité des adolescents, crie dans les rues de Crown Heights Juifs! Juifs! Juifs!»
Au-delà du drame, c'est bien entendu l'occasion pour la jeune journaliste d'essayer de mieux connaître cette histoire, de tenter de la comprendre, de rendre compte de cet antisémitisme. Si elle est partie en Amérique pour essayer d'oublier sa famille, dont une partie est morte à Auschwitz, c'est raté. On imagine le choc, d'autant que les jours qui suivent sont loin d'apaiser la situation. Les révélations sur le rôle de la police, sur les règles en vigueur au sein des communautés et les suites juridiques vont tout au contraire attiser la colère.
Le réconfort, Esther va le chercher dans les bras de Frederick Armitage, issu lui de la bourgeoisie afro-américaine de Chicago. Elle a rencontré ce spécialiste de Flaubert à l'université et, malgré les vingt ans qui les séparent, veut croire à une belle histoire d'amour. D'ailleurs, en parlant de Flaubert, leur éducation sentimentale pourrait ressembler à l'inverse de Madame Bovary. Frederick s'ennuie dans son couple et va chercher dans ses amours clandestines une fraîcheur oubliée.
En attendant que tombent les masques et que les illusions s'envolent, chacun peut «profiter» de l'autre, partager ses fantasmes et ses réflexions. Sur la communauté juive, sur la communauté noire.
C'est avec vingt-cinq ans de recul qu'Esther tente de comprendre pourquoi la belle histoire s'est arrêtée, pourquoi leur rêve d'émancipation n'est resté qu'un rêve.
Réussissant une fois encore à mêler l'intime à l'analyse de la société, Colombe Schneck démonte avec brio les rouages d'un système au sein duquel racisme et antisémitisme s'inscrivent comme des «invariants» auprès de communautés fragiles. Ce faisant, elle rejoint Cloé Korman dans la réflexion proposée avec Tu ressembles à une juive: «il faut penser la solidarité entre les luttes contre le racisme et contre l'antisémitisme, et mener ces combats de façon tolérante et pluraliste, en surmontant les divisions liées à nos origines sociales et culturelles». En mettant en miroir les émeutes de 1991 et l'actualité récente, ce roman prouve que le combat est loin d'être gagné.

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Colombe Schneck nous transporte dans le quartier de Brooklyn, été 1991.

Le roman s'ouvre sur une description éloquente et efficace, d'un terrible drame - la mort d'un jeune Noir, renversé par le cortège d'un rabbin, leader iconique des loubavitchs - et dès les premières pages, on prend une claque. Cet accident sera suivi de trois jours d'émeutes antisémites. le quartier de Crown Heights, Brooklyn, devient le théâtre d'affrontements déchirants entre les communautés juives et afro-américaines locales. Des "Vive Hitler" résonnent dans les rues.
« On n'en peut plus. Les Juifs obtiennent tout ce qu'ils veulent. Ils tuent nos enfants. Nous n'obtenons ni la justice ni le respect. »
La fièvre antisémite fond sur ce quartier.
« La peur est la poudre et la haine est la mèche. le dogme, en dernière instance, n'est que l'allumette qui y met le feu. » écrivait très justement Carlos Ruiz Zafón dans le Jeu de l'ange (2008).

Esther Rosen, une jeune journaliste stagiaire est envoyée à New York pour enquêter sur ces émeutes et comprendre ce conflit entre deux communautés qui vivent dans le même quartier. Elle apprivoise le New York des années 90 et fait la rencontre de Frederick Armitage un homme noir américain, professeur de littérature française à New York University. On observe ces deux personnages dans leur relation adultère, dangereuse et fragile. Des personnages de fiction, tout droit sortis du monde réel; la touche personnelle de Colombe Schneck est palpable.
Témoignage bouleversant sur la condition des Noirs aux Etats-Unis, sur leur peur d'être toujours suspecté.

« Ne pas parler trop fort, ne pas courir dans la rue sous peine d'être en danger, s'écarter quand il voyait une femme blanche devant lui afin de ne pas l'effrayer, ne jamais se faire remarquer ni risquer d'être arrêté par un policier. Il était constamment, quoi qu'il fasse, suspect. Et si par grand malheur il était arrêté, il fallait baisser la tête et toujours répondre « Yes sir ». »

Une enquête politique et sociale bien menée, un roman d'amour aussi.
Une construction remarquable, qui tient en haleine, qui émeut, qui touche.

N'y a t-il pas une place pour tous ? Peu importe les croyances, la couleur de peau, n'avons-nous pas TOUS le droit de vivre autrement que dans la peur ? Haine, vengeance, peur : des mots sombres, ancrés dans notre monde noir et dur. A quand un monde sécurisant et doux, ouvert et tolérant ?

« Un Noir n'a t-il pas des yeux ? Un Noir n'a t-il pas, comme un Blanc, des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections, des passions ? N'est-il pas nourri de la même nourriture, blessé par les mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes remèdes, réchauffé et glacé par le même été et le même hiver ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Et si vous nous faites du mal, ne nous vengerons-nous pas ? »

Un livre empreint d'humanité, un livre haletant, sensible, un livre à lire. Douloureusement et effroyablement d'actualité.
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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Esther, jeune journaliste française, est envoyée à New York par un grand quotidien français pour intervieuwer un intellectuel, professeur de littérature française, Frédérik . Esther est juive, Frédérik est noir. le 19 août 1991, pendant qu 'Esther est à New York, un accident survient à Brooklyn, une voiture conduite par un juif loubavitch percute et tue un petit garçon noir en vélo. Cela va déclencher des émeutes entre les afro- américains et les juifs loubavitch et la mort d' un étudiant juif par des émeutiers noirs. Ce sont les émeutes de Crown Heights. Une relation amoureuse nait entre Esther et Frédérik avec les émeutes en toile de fond.
Cette relation sera vouée à l' échec, Frederik y met un terme, car il est marié et père de famille. Esther rentre en France, déçue, elle se consacre à son travail après ses déboires sentimentaux.
J'ai trouvé que les deux protagonistes du roman manquaient de densité et de matière.
L'auteur fait un parallèle entre les évènements où les deux communautés noire et juive s'affrontent et cette histoire d'amour entre un homme noir et une femme juive qui échoue. Que veut elle démontrer, que ces deux camps sont irreconciliables ? Trop différents, trop éloignés, isolés dans leurs problèmes dans une société américaine fracturée et raciste ?
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Été 1991. Dans un quartier de Brooklyn, des émeutes éclatent entre la communauté afro-américaine et la communauté juive. C'est dans ce climat que Colombe Schneck raconte une histoire d'amour entre un Américain et une Parisienne.
Esther est venue faire un stage de journalisme à New York. Elle est juive, mais ne connaît rien du passé de sa famille. Ni sa mère ni sa grand-mère Mina ne lui en ont parlé.
Afro-américain, Frederick est professeur de littérature et spécialiste de Flaubert.
Une histoire en miroir, les communautés se battent, Frederick et Esther sont épris l'un de l'autre.
Malheureusement, la lecture est difficile parce que l'auteur saute d'époque en époque. C'est parfois confus.
Dommage parce que l'intrigue est originale.

Lien : https://dequoilire.com/nuits..
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critiques presse (2)
Liberation
06 août 2020
Une jeune Française juive s’éprend d’un universitaire noir new-yorkais, alors que des émeutes secouent Brooklyn : un roman aux résonances très actuelles.
Lire la critique sur le site : Liberation
LeMonde
10 juillet 2020
Colombe Schneck décrit ici, avec finesse, la façon dont Esther, qui « ne sait rien », découvre les réalités de la condition noire aux Etats-Unis, à travers son reportage et l’expérience personnelle de son amant.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Citations et extraits (26) Voir plus Ajouter une citation
Yankel Rosenbaum est transporté à l’hôpital où il meurt quatre heures plus tard en raison d’une erreur de diagnostic, une importante blessure n’a pas été détectée par les médecins.
Lemrick Nelson, pris en charge pour « difficultés scolaires et de comportement » à la Paul Robertson High School, dont le niveau en lecture est celui d’un enfant de 8 ans, en calcul d’un enfant de 10 ans, sera poursuivi comme un adulte pour le « meurtre sans préméditation » de Yankel Rosenbaum.
Tout au long de cette première nuit, une foule, en majorité des adolescents, crie dans les rues de Crown Heights :
– Juifs ! Juifs ! Juifs !
(Cet accident, je tente de le reconstituer vingt-cinq ans après, les témoins s’opposant sur la couleur du feu, la vitesse de la voiture, l’ordre d’arrivée des ambulances, imaginant et ajoutant des « si » inutiles.
Si l’escorte du rabbin avait ralenti l’allure, si la Chevrolet Malibu de Peter Petrosino avait été plus rapide, si Yosef Lifsh avait accepté de perdre de vue la voiture du rabbin, si l’inquiétude n’avait pas pris toute la place, il aurait freiné, il se serait arrêté au feu à l’angle d’Utica et President, Gavin et Angela auraient continué leur jeu, le vélo rouge aurait été réparé, le père aurait sifflé l’heure d’aller se coucher, mais ce n’est pas ce qui s’est passé.
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INCIPIT
19 août 1991, jour de l’accident
C’est un soir d’été où les enfants jouent dehors après avoir dîné.
La queue de l’ouragan Bob est passée le matin. Des rayons clairs traversent les nuages.
Sur le trottoir encore mouillé, devant le 1677 President Street, Gavin Cato, 7 ans, et sa cousine Angela Cato réparent la chaîne de la bicyclette rouge du petit garçon.
Carmel, le père de Gavin, est à la porte, il les observe.
Le 1677 President Street est un bâtiment de brique de quatre étages, dans un ensemble qui en compte trois.
Pour rejoindre le 1677 President Street, en sortant du métro, vous tombez d’abord sur le 770 Eastern Parkway, une grande maison de brique rouge à l’allure néogothique, construite dans les années 1920, avec des petits toits pointus, d’étroites et hautes fenêtres. Elle abrite depuis 1940 la synagogue et la yeshiva des Loubavitch qui ont fui la Pologne et se sont installés dans ce quartier alors peuplé d’immigrés italiens, irlandais et de Noirs américains. Depuis le 770 Eastern Parkway, vous tournez à droite sur Kingston Avenue, vous arrivez dans President Street. La rue est bordée de pavillons, maisonnettes, protégées de jardinets où vivent des familles juives, les courtils restent fleuris d’iris mauves et de clématites aux petits pétales blancs, les balançoires émettent les mêmes grincements, vous pouvez apercevoir les couleurs des rideaux à travers les fenêtres. Encore cinq minutes de marche et vous êtes au 1677, où se situe l’immeuble et où vit la famille Cato. Le 1677 President Street est à quinze minutes à pied de la synagogue loubavitch, la première construction avant d’arriver au croisement avec Uttica, une rue commerçante, coiffeur afro, poulet jerky, fruits et légumes, supérettes, restaurant chinois casher, sneakers, bijouterie étincelante.
Le père de Gavin travaille comme maître d’œuvre dans le bâtiment, Sherman, le père d’Angela, est garde du corps à l’ONU. Ils ont immigré un an auparavant de Guyane et ont rejoint de nombreuses familles de classe moyenne ou plus modeste, originaires des Caraïbes, qui se sont installées ici à la fin des années 1960. Les Blancs sont alors partis, et seuls vingt mille Loubavitch sont restés vivre parmi les cent quatre-vingt mille habitants antillais et afro-américains de Crown Heights, ce quartier de Brooklyn à vingt minutes en métro de Manhattan.
Il est 20 h 20. Alors que les enfants s’amusent avec le vélo rouge de Gavin, trois voitures reviennent du cimetière Old Montefiore dans le Queens. Elles accompagnent le rabbin Menahem Mendel Schneerson.
À l’avant du cortège, une voiture de police banalisée avec à son bord deux policiers et un gyrophare allumé, au milieu, la voiture du rabbin, et derrière, un break Mercury Grand Marquis de couleur bleue conduit par un homme de 22 ans nommé Yosef Lifsh.
Le feu à l’intersection de President Street et d’Utica Avenue est vert, les deux premières voitures passent devant les enfants. Le conducteur de la troisième voiture, Yosef Lifsh, pour ne pas perdre la voiture du rabbin, accélère, passe à l’orange et accroche l’arrière d’une Chevrolet Malibu de 1981, conduite par un homme nommé Peter Petrosino, la voiture dérive vers la droite, Yosef Lifsh reprend le contrôle, veut éviter deux personnes qui traversent la rue et heurte volontairement un muret de béton qui se trouve sur le trottoir, il aperçoit trop tard les deux enfants jouant juste derrière, espère qu’il est suffisamment solide pour les protéger. Ce n’est pas le cas. Le muret en béton explose, la voiture s’arrête complètement au niveau des fenêtres du rez-de-chaussée de l’immeuble, de l’autre côté du trottoir, là où les enfants s’amusaient, quelques secondes avant, sur la roue du vélo rouge.
Le père de Gavin, Carmel Cato, surveille les enfants depuis la fenêtre de son appartement.
– Je me dis, il va y avoir un accident, je me demande jusqu’où la voiture va aller, j’entends qu’elle heurte d’abord le muret, sans voir ce qu’il se passe exactement. J’entends une explosion. Je vois mon fils allongé sur le trottoir.
(Silence.)
– Tout cela va très vite. Mon fils ne bouge plus. (Silence.) Je veux aller le voir.
(Silence.)
– Les policiers m’ont jeté, poussé, moqué, insulté. J’essayais d’expliquer, c’est mon fils, mes enfants. On est à l’hôpital. Je ne comprends pas. Cela dure longtemps. Un médecin arrive et me demande de le suivre.
(Silence.)
– Il m’annonce que Gavin est mort.
(Vingt-cinq ans après, dans une vidéo trouvée sur Internet, j’ai vu Carmel Cato poser sa main sur ses yeux pour cacher ses larmes.)
Gavin est tué. Sa cousine Angela est gravement blessée aux jambes.
Yosef Lifsh, le conducteur, et ses passagers sont blessés.
L’escorte du rabbin ne s’est pas arrêtée. Son chauffeur et les policiers n’ont pas conscience qu’un accident a eu lieu.
Un attroupement se forme sur le lieu de la catastrophe.
Yosef Lifsh sort de la voiture, il essaie de la soulever, afin de dégager le petit garçon coincé en dessous.
Quatre jeunes hommes l’en empêchent, s’emparent de lui et le tabassent.
Un passager de la voiture, Levi Spielman, tente de trouver une cabine téléphonique pour joindre le service d’urgence, il est attaqué avant de pouvoir le faire.
Un homme l’extrait de la voiture et dit aux autres :
– Il est à moi, je vais le faire arrêter.
Il le met en sécurité.
Deux minutes après l’accident, sont sur place la police et l’ambulance privée Hatzolah, association de volontaires juifs créée à la fin des années 60 pour offrir un service médical d’urgence aux membres de la communauté juive ne parlant que le yiddish.
Les ambulanciers de Hatzolah commencent par s’occuper des enfants, mais une ambulance mieux équipée de l’hôpital public de Kings County arrive, entre une et deux minutes après eux, selon le rapport de police, et prend en charge Gavin.
Les policiers demandent aux ambulanciers de Hatzolah d’emmener Yosef Lifsh et ses passagers, car la foule montre son hostilité aux responsables de l’accident aux cris de « Juifs, juifs, juifs ! ».
Une troisième ambulance privée Hatzolah s’occupe d’Angela qui souffre de plusieurs fractures aux jambes.
À l’Hôpital méthodiste dans le quartier de Park Slope à Brooklyn, Yosef Lifsh fait un test d’alcoolémie, il est négatif, on lui pose seize points de suture sur le visage et le crâne.
Les ambulanciers qui ont pris en charge Gavin arrivent à l’hôpital de Kings County.
À 20 h 32, la mort de Gavin est constatée.
À l’annonce de la mort de l’enfant, se propage dans la rue une série de rumeurs.
– Yosef Lifsh était ivre.
– Yosef Lifsh a voulu tuer l’enfant.
– Yosef Lifsh n’avait pas de permis de conduire.
– Yosef Lifsh a brûlé un feu rouge.
– L’ambulance Hatzolah a refusé de soigner Gavin, il en est mort.
À un concert de B.B. King qui a lieu à Wingate High School, un lycée situé à moins de 2 kilomètres de l’accident, un homme prend la parole pour annoncer :
– Les Juifs ont tué un gosse.
Une centaine de personnes se rassemblent devant le 1677 President Street, parmi eux Charles Price, 37 ans, chauve, petit délinquant, héroïnomane. Il est le plus âgé du groupe. Il avouera : « J’ai vu le mélange de sang et d’huile sur le corps de l’enfant, cela a été comme un détonateur, une explosion à l’intérieur de moi. »
Il se place au centre du lieu de l’accident et apostrophe la foule :
– On n’en peut plus. Les Juifs obtiennent tout ce qu’ils veulent. Ils tuent nos enfants. Nous n’obtenons ni la justice ni le respect.
Un autre ajoute :
– Allons vers Kingston Avenue et attrapons les Juifs !
Charles Price reprend :
– Vous ressentez ce que je ressens ? Vous ressentez cette douleur ? Je vais dans le quartier juif, qui vient avec moi ?
Des jeunes jettent des bouteilles sur les policiers présents, une voiture aux couleurs d’une école juive est incendiée. Devant le 770 Eastern Parkway, des Loubavitch lancent des pierres à leur tour.
À 23 h 20, un Australien de 29 ans nommé Yankel Rosenbaum, étudiant en doctorat d’histoire à l’université de Melbourne, venu à New York afin d’effectuer des recherches au YIVO, centre d’études juives, marche sur Brooklyn Avenue. Il n’a pas été prévenu de l’accident, de la mort de Gavin, ni des violences qui ont suivi.
Il est orthodoxe, mais pas loubavitch. Il est roux, barbu, porte une kippa sur la tête, un costume noir, un châle à franges blanches dépasse de sa veste « il a l’air juif » et quand il croise un groupe de jeunes gens devant une école, au coin de Brooklyn Avenue et President Street, Charles Price le signale :
– En voilà un. Attrapez-le. Il y a un Juif. Attrapez le Juif.
Yankel Rosenbaum est battu, puis poignardé par un petit groupe indistinct.
Quinze minutes plus tard, Lemrick Nelson, 16 ans, qui porte un tee-shirt rouge et une casquette de base-ball, est retrouvé par des policiers, caché derrière un buisson. Dans la poche arrière de son jean, un couteau sur lequel est gravé KilleR et trois billets de un dollar, tous tachés de sang.
Les policiers présentent Lemrick Nelson à Yankel Rosenbaum, encore conscient malgré sa blessure. Il le reconnaît et l’apostrophe :
– Pourquoi m’as-tu fait cela ? Je ne t’avais rien fait.
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Esther lui demande si dans le métro ce matin, il a vu la citation de Shakespeare, l'extrait de la tirade du Marchand de Venise.
- Oui, lui répond-il, mais j'ai ma propre version. Durant ma dernière année de lycée, notre professeur d'anglais nous avait lu la version originale, et avait demandé à chaque élève de l'apprendre par coeur et de remplacer « Juif » par ce qu'il voulait. Alors, moi je l'avais récité ainsi : « Un Noir n'a t-il pas des yeux ? Un Noir n'a t-il pas, comme un Blanc, des mains, des organes, des dimensions, des sens, des affections, des passions ? N'est-il pas nourri de la même nourriture, blessé par les mêmes armes, sujet aux mêmes maladies, guéri par les mêmes remèdes, réchauffé et glacé par le même été et le même hiver ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ? Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez, ne mourons-nous pas ? Et si vous nous faites du mal, ne nous vengerons-nous pas ? »
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À 41 ans, Frederick est professeur de littérature française à la New York University (NYU). Il a déjà eu le droit à un portrait dans le New Yorker…

… Son grand-père, petit-fils d’esclave, barbier à Chicago qui avait fait fortune en important des rasoirs, des brosses et des peignes en corne de Grande-Bretagne, puis des parfums de France. Son père, qui avait choisi de vivre dans le sud de la France à la fin des années 1950. Sa mère, poétesse antillaise. Sa naissance à Aix-en-Provence, l’enfance à Bonnieux, dans le Luberon.
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Je vois le genre, ça c'est bien un Noir pour les Blancs. Je parie qu'il doit parler doucement et passer sa vie chez le coiffeur pour que pas une boucle ne dépasse. Vous aimeriez choisir vos interlocuteurs noirs, des hommes et des femmes qui vous ressemblent, parlent comme vous, ont les mêmes habitudes, les mêmes façons de s'habiller, de se coiffer, de ne pas parler trop fort, de définir les combats et la façon de combattre ! Eh bien voyez-vous, je ne suis pas d'accord. Il était où votre ami Frederick Armitage en 1985 quand Bernhard Goetz a tiré sur quatre jeunes qui faisaient la manche dans le métro et qu'on disait que c'était de la légitime défense ? Et en 1986, quand Michael Griffith a été tué à Howard Beach par un groupe de Blancs, que le proc disait qu'il s'était mis lui-même en danger en traversant un quartier blanc ? Et qu'on manifestait et qu'on se faisait traiter de "sales nègres" ? Il était où le gars bien coiffé avec son joli costume ? Nulle part.
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Colombe Schneck vous présente son ouvrage "Deux petites bourgeoises" aux éditions Stock.
Retrouvez le livre : https://www.mollat.com/livres/2526569/colombe-schneck-deux-petites-bourgeoises
Note de musique : © mollat Sous-titres générés automatiquement en français par YouTube.
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