Lettre à
Sophie Taam sur son livre autour d'
Anaïs Nin
Moi qui n'étais pas fan d'
Anaïs Nin avec une lointaine lecture de journal, je me mets à lire chaque fois que je vais à la campagne, son histoire à elle, retranscrite dans ses journaux. Elle, Anaïs, si vivante, si vive, si sensible, si intelligente aussi. Cette finesse, cette fibre féminine qui se bat, se révolte et conserve toute sa saveur de fragilité et de force unique, est suggéré justement et si différemment par l'auteur de cette biographie entraînante. Je me suis laissée prendre et happé par le conte de cette vie si intéressante, si touchante, si innovante, d'une femme qui écrit, qui sent et vit tout à la fois.
L'écriture de
Sophie Taam est claire, synthétique, limpide, juste, à propos. Des perspectives nouvelles y voient le jour. C'est vivant. On est intrigué, saisi par cette femme fragile et forte qui en un perpétuel aller retour de l'écrit à la femme, se révèle sous l'oeil aiguisé de l'auteur. Ensuite le désir de lire
Anaïs Nin, de la retrouver et de suivre son journal, pas à pas, au fil du temps, va naître et se chevaucher avec l'approche biographique. Une biographie déjà si réussie qu'elle donne l'envie d'en connaître plus sur l'auteur en question. Mais elle ne s'arrête pas là.
Cette analyse apporte des angles de vue inédits, des positions contemporaines, je dirais des postures où l'auteure,
Sophie Taam questionne ses propres engagements d'aujourd'hui, ses doutes aussi, sur la création, la vie, l'écriture et le "port" d'un genre en société.
Une lecture double donc d'une écrivaine qui sait écrire, formuler, clarifier, dégager une autobiographie inédite, et celle d'une écrivaine qui s'interroge elle aussi, dans son voyage de vie et de création.
Deux petits bémols en pure subjectivité cependant, je regrette l'approche qui simplifie l'appartenance à un genre comme de soi en « femme » et qui égraine parcimonieusement certes, des références à une histoire, à un combat, à une émancipation générale des femmes avec ses propres repères. Mais la tentation du cliché féministe sera miraculeusement évincée, avec une subtile délicatesse. Situation périlleuse que d'appartenir à un « ensemble », à un groupe pour l'être solitaire qui se cherche et qui crée. Ainsi la « femme artiste » ou la « femme écrivain » qui tente de se différencier, de s'extraire du flou de l'être vivant pour échapper au "monde des hommes" n'est-elle pas dans une autre prison, qui va peu avec l'ouverture d'esprit, l'aventure, l'échange permanent qui enrichissent l'expérience d'Anaïs qui se place semble-t-il toujours du côté de l'être humain, vivante tout court?
Un deuxième bémol concernera la notion de création, d'invention liée à celle de thérapie, comme si l'art ne devait être que le résultat d'un manque, d'un problème, d'un mal de vivre ou la retranscription incontournable d'un mal initial. Celui d'un traumatisme qu'il faudrait panser, repenser, embaumer, ouvrir ad vitae aeternam, montrer et cacher sans cesse. Que l'art ait cette fonction de thérapie. Cette perspective semble être une des grilles réductrices que les analyses jettent souvent sur toute création. Laissant les artistes, écrivains, à la lisière, entre folie et raison, à la limite, au ban. Jouant un rôle attendu, entrant dans la case qui convient. N'est-ce pas une manière d'affaiblir une oeuvre que de l'éclairer sous ce jour uniquement ?
Il semble qu'Anaïs, elle, ait plongé dans le monde des autres passionnément, frénétiquement, active en ses mondes. Corps et âme. Et ce, en dépit des genres. Non recluse mais follement embarquée avec l'autre !
Ce qui ressort de ce point de vue est la question cruciale de la psychanalyse et de la psychothérapie qui agite sans cesse les approches sur le besoin d'écrire, de laisser une trace, d'oeuvrer, de créer quand d'autres se contentent d'exister seulement !
Un autre point apparaît au cours de cette lecture, celui d'un miroir supposé entre ces deux auteurs femmes, l'une devenant le modèle possible de l'autre. Comme deux amies qui désiraient se ressembler plutôt que se différencier, fusionner même. Ne jamais s'opposer. Trouver avant tout ce qui rassemble, ensemble, de l'une à l'autre. Cliché ? Clivage ? Difficile de prendre la parole en tant que femme pour énoncer quoi que ce soit. Aujourd'hui pire qu'hier peut-être. Je me brule à mes propres mots et réflexions. Etre femme quelle histoire!
Sophie Taam, a su éviter tous mes écueils.
J'ai adoré ce livre. Je l'ai dévoré en 3 soirs. Je remercie cette nouvelle auteure pour son engagement, sa force, sa lucidité et ses positons. Elle sait écrire clairement ce qu'elle pense et ressent.
Et maintenant laissons-la parler! Alors vite! Lisez!
Elisabeth Morcellet
Une lectrice, artiste et écrivain.