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EAN : 9782264072900
264 pages
10-18 (03/01/2019)
4.4/5   693 notes
Résumé :
Cloîtré dans un centre de désintoxication, Saul Indian Horse a décidé de raconter son histoire : son enfance au cœur du Canada, bercée par les légendes et les traditions ojibwés, rythmée par la récolte du riz et la pêche ; son exil à huit ans avec sa grand-mère, suite à un hiver particulièrement dur ; son adolescence, passée dans un internat où des Blancs se sont efforcés d’effacer en lui toute trace d’indianité. C’est pourtant au cœur de cet enfer que Saul trouve s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (155) Voir plus Ajouter une critique
4,4

sur 693 notes
Une lecture aux thèmes sombres puisqu'il sera question de maltraitance et de racisme, mais aussi de résilience.
Il s'agit d'un récit en trois tempos, en trois tableaux, une histoire qui se doit d'être exhaustive pour être appréhendée efficacement dans son effroyable réalité, je pense de plus que cette histoire sera perçue différemment selon le vécu des lecteurs.
L'histoire de Saul Indian Horse le petit ojibwé est bien sûr unique, mais c'est aussi et malheureusement une variation d'un thème tristement universel et éternel.
L'auteur va nous raconter chronologiquement et avec méthode sa vie, les premiers souvenirs sont ceux de sa prime enfance imprégnée de culture ojibwé, puis de huit à douze ans viendront les années passées à l'orphelinat catholique de Saint-Jérôme où il sera victime de l'acharnement des religieux à le purger de sa culture, de sa langue, témoin des maltraitances subies par ses amis et de la mort de certains.
Puis il y aura la "délivrance", le hockey sur glace qui lui permettra de se réfugier dans une bulle de passion, il y aura aussi la chance d'être adopté par une famille d'anciens pensionnaires eux-mêmes passionnés de hockey.
Je vais m'arrêter ici avant de résumer l'intégralité du livre car mon but est avant tout d'exprimer un ressenti, on apprend dès le début du livre que l'auteur est en cure de désintoxication et qu'il se raconte pour essayer de "s'en sortir", donc je vais laisser ceux qui souhaiteront le savoir lire ce livre et poursuivre la découverte.
Il me faut quand même dire que bien qu'ayant été aspiré par ce récit je ne pouvais pas me départir d'un sentiment de gêne, sentiment qui s'est envolé au chapitre 49 (sur 56), et je suis pour le coup admiratif car
ce chapitre 49 fait vraiment basculer le récit vers quelque chose d'essentiel qui donne l'éclairage qui manquait jusque là.
Saul a survécu, plus que beaucoup d'autres livres, "Jeu blanc" explique comment et à quel prix cela peut se faire parfois.
Ce fut probablement mon avis le plus difficile à rédiger, j'étais parti pour développer mon ressenti, l'expliciter et écrire quelques pages, je me suis abstenu et limité comme jamais encore pour ne surtout pas en dire trop, un indice sur l'impact qu'a eu cette lecture sur moi.
Il me reste à remercier Doriane qui a une très mauvaise influence sur ma PAL ;)
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« Il y avait un spectre au sein de notre camp. Nous percevions l'ombre de cet être obscur dans les rides du visage de notre mère. Parfois, elle se blottissait auprès du feu, serrant et desserrant les poings, les yeux semblables à des lunes sombres à la lumière des flammes. »

Qu'est-ce donc qui hante ainsi la mère du petit Saul ? Quel est ce spectre qui la soustrait subitement au monde réel, la plongeant dans un mutisme hébété dont rien, pas même les gestes d'affection ou les paroles de ses proches ne saurait la faire sortir? Quels terribles souvenirs, quels traumas, quelles peurs? Et pourquoi, au moindre signe de l'approche d'un étranger, sa grand-mère Naomi emmène-t-elle Saul dans la forêt? Que fuit-elle ? de quoi, de qui veut-elle le protéger?

Certains d'entre vous ont peut-être entendu parler du scandale des pensionnats indiens au Canada qui éclata au grand jour en 2015, au terme de six années d'enquête. Cent-cinquante-mille enfants, Indiens pour la plupart mais aussi Inuits, le plus souvent enlevés de force, arrachés à leurs familles et à leurs terres, passèrent par ces « écoles » tout au long du vingtième siècle. Dirigés par les églises chrétiennes et subventionnés par le gouvernement fédéral, ces pensionnats, officiellement chargés d'éduquer, de convertir au christianisme et d'assimiler à la société canadienne les enfants des peuples autochtones, furent en réalité de véritables bagnes au sein desquels prêtres et religieuses purent donner libre cours à une imagination manifestement sans limites en matière de sévices destinés à soumettre, à humilier, à chosifier des enfants dont le seul tort était de ne pas être né Blanc.

« À St. Jerome's, j'ai vu des enfants mourir de tuberculose, de grippe, de pneumonie et de coeur brisé. J'ai vu des jeunes garçons et des jeunes filles mourir debout sur leurs deux pieds. J'ai vu des fugitifs qu'on ramenait, raides comme des planches à cause du gel. J'ai vu des corps pendus à de fines cordes fixées aux poutres. J'ai vu des poignets entaillés et les cataractes de sang sur le sol de la salle de bains, et une fois, un jeune garçon empalé sur les dents d'une fourche qu'il s'était enfoncée dans le corps. »

La mère et le père du petit Saul sont passés par l'une de ces « écoles » il y a de cela bien longtemps. Ils en sont revenus, ils ont repris leur vie au camp, leur vie d'Indien Ojibwé comme avant. Sauf qu'évidemment, plus rien ne peut désormais être comme avant. En eux s'est ouvert un trou béant dans lequel toute joie, toute foi, la possibilité même du bonheur ont irrémédiablement sombré. C'est sur les décombres d'une enfance saccagée qu'ils espèrent fonder une famille, transmettre à leurs enfants leur culture et leurs valeurs. Mais que peuvent-ils contre la fatalité? Que peuvent-ils contre le spectre qui s'est emparé d'eux et qui les dévore jour après jour ?

« Tout ce que je connaissais d'indien disparut au cours de l'hiver 1961, quand j'avais huit ans. (…)
Ils m'emmenèrent dans un pensionnat, le St. Jerome's Indian Residential School. Une fois, j'avais lu qu'il y avait dans l'univers des trous qui avalaient toute la lumière, tous les corps. St. Jerome's vola toute la lumière de mon monde. »

St. Jerome's vole toute la lumière du monde de Saul, s'acharnant à tuer l'Indien qui est en lui. Mais St. Jerome's lui fournit aussi, par l'intermédiaire d'un jeune prêtre différent des autres, la possibilité du salut :

« Le Père Gaston Leboutilier arriva à St. Jerome's la même année que moi. (…) « As-tu déjà entendu parler du hockey? » Ce fut la première chose qu'il me dit. »

J'ai pensé à la célèbre citation d'Hölderlin « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve » en lisant ce livre. En même temps qu'elle plonge Saul dans un désespoir sans fond, la vie lui fait cadeau de la grâce. Car Saul est possédé par la grâce du hockey, ce sport parfait dans un monde imparfait, ce « jeu blanc », blanc comme la glace de la patinoire sur laquelle évoluent les joueurs, blanc comme un monde vierge non encore exploré, mais aussi blanc comme la couleur de peau de l'oppresseur… C'est là toute l'ambivalence de ce cadeau que la vie lui fait. Saul peut se sauver grâce au hockey, mais le hockey est le jeu des Blancs, autrement dit de ceux qui ont voué au malheur son peuple, son clan et lui-même. de ceux qui, en dépit de ses dons exceptionnels pour ce sport, persisteront à voir en lui, non pas un homme dans son infinie complexité, mais un Indien réduit à quelques clichés éculés :

« Je voulais atteindre de nouveaux sommets, être l'une des rares étoiles. Mais ils ne voulaient pas me laisser être tout simplement un hockeyeur. Il fallait toujours que je sois un Indien. »

Nous croyons comprendre l'origine de la rage qui s'empare alors de Saul, confronté au rejet et au racisme, et dont les exceptionnelles dispositions pour le hockey lui sont à la fois reconnues et impitoyablement refusées. Nous croyons connaître toutes les souffrances, toutes les humiliations ayant produit cela : un désespoir sans fond alimentant une rage inextinguible. Sauf qu'une souffrance peut en cacher une autre, indicible, dont les racines plongent plus profondément encore, au coeur même de l'être.

Si Doriane (@Yaena) ne m'avait pas invitée à lire « Jeu blanc » dans le cadre de notre collier de perles littéraires, je serais probablement passée à côté du livre et de son auteur. Richard Wagamese est un survivant du système des pensionnats indiens, et a sans aucun doute mis beaucoup de lui dans le personnage de Saul. Après bien des souffrances et des années d'errance, il s'est sauvé, non pas grâce au hockey, mais grâce à l'écriture. Sa plume pudique et poétique, tout en retenue, sert magnifiquement un récit d'apprentissage à fendre l'âme.

« Ils nous ont vidés de l'intérieur, Saul. Nous n'en sommes pas responsables. Nous ne sommes pas responsables de ce qui nous est arrivé. Mais notre guérison, elle, dépend de nous. »
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Cela fait un mois qu'il est dans ce centre de réhabilitation. Et autant de temps sans une goutte d'alcool. Pour tenter de comprendre comment et pourquoi il en est arrivé là, Saul Indian Horse doit raconter son histoire. Mais, dans ce cercle d'hommes et de femme, cela lui paraît impossible. Trop à dire, trop à trier, trop à crier... Alors, il va l'écrire, son histoire...
… l'histoire du Clan des Poissons des Ojibwés du Nord où Saul vit avec sa famille, ses parents, son petit frère et sa grand-mère, au coeur des forêts. Une vie empreinte de légendes et de croyances...
… l'histoire des Blancs dont il faut se méfier, eux qui veulent enlever leur indianité...
… l'histoire de son petit frère, Benjamin, kidnappé par des Blancs. Revenu affaibli d'entre leurs griffes, il mourra des suites de la tuberculose...
… l'histoire de sa grand-mère, omniprésente et protectrice, qui paiera de sa vie pour sauver le petit garçon...
… l'histoire de sa vie entre les quatre murs de l'orphelinat St. Jerm's, régi par un Père et une Soeur despotiques...
… l'histoire du hockey dans lequel il trouvera son échappatoire et son salut...

Récit poignant et fort s'il en est, Jeu blanc émeut autant qu'il interpelle. Saul Indian Horse, jeune Ojibwé, va se retrouver bien seul après l'abandon de ses parents et la mort de sa grand-mère. Placé dans un orphelinat où violence, humiliation et abus sont monnaie courante, il trouvera néanmoins une porte de sortie grâce au hockey, sport pour lequel il semble avoir un don. Saul Indian Horse pourrait être le double, le frère de Richard Wagamese. Un frère porteur de ses souffrances, de ses blessures, de ses espoirs vains et déchus. Lui-même abandonné par ses parents, enlevé dans le cadre de ce qu'on appelle "La rafle des années 60" (programme visant à placer des enfants autochtones dans des familles d'accueil), trimbalé de familles en familles au coeur desquelles il ne trouvait pas sa place, ce n'est pas dans le hockey que l'auteur se réfugiera mais dans la littérature. En de courts chapitres, ce roman déroule, avec force et constat, une épopée tragique, illustration édifiante du sort réservé aux Indiens. Puissant, à la fois cruel et lumineux, porté par un personnage entier et sensible, Jeu blanc est, immanquablement, inoubliable...
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Jeu Blanc. le titre est déjà un édifiant jeu de mots résumant ce que représente le Hockey pour Saul : d'abord ce jeu grisant pratiqué sur le blanc éblouissant de la glace, reflétant la lumière dans laquelle il tente de s'aveugler pour ne pas voir la noirceur de sa vie - lumière dans laquelle il se jette à corps perdu pour fuir ses propres zones d'ombre ; mais aussi un jeu que l'homme blanc croit être le seul à pouvoir pratiquer dignement. Un jeu de blancs. Un jeu qui l'aidera malgré tout à combler les blancs de sa vie.


Saul était petit, lorsque les hommes blancs l'ont violemment arraché à ses racines naturelles et aux siens, pour le « civiliser ». Pour ce faire, de nombreuses « écoles » catholiques accueillaient de force les enfants indiens. Hélas, ceux qui ont lu Diderot savent que la religion n'est pas le refuge ultime qu'elle voudrait faire croire. Dans ces endroits, où sévices et punitions supplantent Amour et compassion, Saul survit grâce à sa passion toute nouvelle pour le hockey qu'il y découvre. Il s'y accroche comme le seul rempart préservant une part de vie et de liberté dans un quotidien de contraintes, un refuge pour lequel il accepte tout, y compris de se lever aux aurores pour s'entrainer dans le froid piquant. Cette sensation de légèreté, lorsqu'il s'élance sur la glace laiteuse et luisante, cette liberté qui l'effleure lorsque le vent caresse son visage, les bruits et les odeurs qui le remplissent tout entier, ne laissent plus de place aux mauvais souvenirs : ceux de la déliquescence de sa famille, parquée dans une réserve, ou encore de cet emprisonnement et des traitement reçus au nom d'un Dieu en qui il ne croit pas. Saul s'accroche à ces sensations au point de devenir un très bon joueur, se donnant les moyens d'accéder aux grandes équipes de ligues. La glace est le seul espace où on le laisse exprimer son don de vision, sa clairvoyance pour trouver le chemin de la victoire. Sa passion du jeu est communicative et sa motivation est de la partager et de la transmettre, pour continuer à vivre cette passion qui le fait se sentir vivant.


« C'est pour cela que je m'étais abandonné au hockey. Pour m'abandonner à moi-même. Lorsque le racisme du public et des joueurs me fit changer, je devins furieux parce qu'ils m'enlevaient la seule protection que j'avais. Quand cela se produisait, je savais que ce sport ne pourrait plus m'offrir de protection. »


Malheureusement, il ne voit pas aussi clair dans sa vie. Ayant du mal à s'enraciner, la patinoire devient son « beau miroir » trouble, qu'il arpente dans l'espoir d'y apercevoir ce qui ne va pas. Et puis où tout cela mène-t-il, si le public blanc et les joueurs blancs ne voient en lui qu'un indien à (a)battre, l'insultant, le rabaissant pour leur simple et pitoyable plaisir de se sentir supérieur ? Une fois de plus, l'(im)pitoyable homme blanc lui ôte sa joie de vivre en même temps que son envie de jouer, et l'empêche de s'insérer dans une communauté où on l'a pourtant implanté de force… Que lui reste-t-il, quand on lui a tout pris ? Une énorme boule de colère au fond de l'estomac, quelque chose de lourd, de noir et d'amer qui menace de le submerger s'il ne la fait pas taire avec de l'eau de feu. Un peu, beaucoup, et jusqu'à la folie, le foie de Saul s'affole et ses amitiés s'étiolent. « Je ne pouvais pas courir le risque que quelqu'un me connaisse, parce que je ne pouvais pas courir le risque de me connaître moi-même. » Saul remplace alors son paradis blanc par un refuge de feu, celui de l'enfer qu'il vit sur cette terre. le sol glacé fond sous ses pieds, et l'homme qui se cachait derrière son reflet sur la glace ne peut plus se regarder dans le miroir. Qu'y voit-il ?


« Quand on est paumé comme je l'étais, on boit toujours pour oublier. Pour oublier les choses banales et admises comme un foyer, un boulot, une famille, des voisins. On boit pour oublier les pensées, l'émotion. L'espoir. On boit pour oublier parce que après toutes les routes qu'on a prises, c'est la seule direction qu'on connaisse par coeur. On boit pour oublier afin de ne plus entendre les voix, de ne plus voir les visages, ne plus toucher les choses, ne plus sentir. On boit pour oublier afin d'effacer ce lieu que seuls les poivrots de la pire espèce connaissent ; ce monde au fond du puit où l‘on se réfugie dans le noir, hanté à jamais par la conscience de la lumière. Je fus au fond de ce puits pendant un long moment. Revenir à la lumière du jour faisait un mal de chien. »


Etonnamment, il fallait pourtant en passer par là. C'est ce dont Saul se rend compte lorsqu'un sevrage médicalisé lui rend les idées claires. le thérapeute qui tente de le sauver qui lui fera écrire son histoire, celle qu'il vous délivre faute de savoir la raconter lors des groupes de paroles. Un récit distancié au départ, dont les contours flous semblent trop survolés pour nous atteindre réellement ; Réveil d'un mauvais rêve genre gueule de bois, révoltant notre raison mais préservant nos sentiments. Jusqu'à ce que se dessine l'origine des larmes qui explique cette sensation de flottement, fait finalement fondre aussi nos coeurs et bouillonner nos tripes. Des larmes comme les lames qui vous déchirent l'âme, la lacèrent et puis l'essorent, à bout de mots, à bout d'amour pour ce Saul solaire que l'on voudrait désormais rieur. Encore un livre qui gagne en intensité et en profondeur sur la fin, et qui fait s'interroger sur le sens de notre humanité dite « civilisée »…


« J'y retournais pour apprendre à partager la vérité que j'avais découverte, hermétiquement enfouie au fin fond de moi. J'y retournais parce que je voulais apprendre à vivre avec cette vérité, sans boire. J'y retournais parce que j'avais besoin de prendre un départ solide sur une nouvelle voie et je savais que ce serait difficile. Parfois les fantômes rôdent. Ils trainent dans les coins les plus reculés, et quand vous vous y attendez le moins, ils surgissent, chargés de tout ce qu'ils vous avaient apportés quand ils étaient vivants. Je ne voulais pas être hanté. J'avais vécu ainsi pendant bien trop longtemps déjà. »
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Saul Indian Horse est un amérindien, un ojibwé du Clan des Poissons, les Anishinabés, au nord de l'Ontario, près de la rivière Winnipeg.

Pour l'heure, c'est un vieil ivrogne qui amuse les Zaunagush, les hommes blancs, dans son centre de "rehab'", New Dawn, en leur racontant l'histoire de sa vie.

De son enfance surtout.

Une enfance en noir et blanc.

Noir comme la mort qui lui enlève sa grand mère chérie et son grand frère. Noir comme l'orphelinat de St Jérôme, noir comme les habits des soeurs et des curés, ces prédateurs sans scrupule, qui usent et abusent de leur pouvoir de nuisance sur ces petits indiens sans défense arrachés à leur famille-tous ne sont pas orphelins- à leur langue, leur culture, leurs croyances. Noir comme leur avenir, sans respect, sans amour, sans issue...

S'il n'y avait, salvateur, le blanc éclatant de la patinoire de hockey.

Blanc comme la glace, blanc comme la neige, blanc comme la page où vont s'inscrire les revanches sur l'humiliation, blanc comme l'étincelante renommée, blanc comme ce vertige magique qui saisit Saul, après une phase d'observation, blanc comme cette "vista" qui décode soudain les lignes du jeu, lui donne la prescience des passes à faire, des trajectoires à emprunter, blanc comme ce pouvoir quasi chamanique qui fait de Saul un génie de la glisse, un maître de la stratégie- le dieu rouge de ce jeu blanc.

Mais voilà, nous sommes dans les années soixante, et le hockey sur glace, sport national des Canadiens, ce jeu blanc, est avant tout un jeu de blancs.

Quand un peau rouge en devient maître c'est une sorte d'affront.

Il faut payer.

A moins que cette virtuosité au hockey n'ait été, déjà, une façon d'expier , de payer autre chose. Une blessure plus ancienne, plus profonde..cachée dans la nuit de l'enfance. Un prêté pour un rendu. Un jeu blanc, dans le troisième sens du terme...

J'ai lu d'une traite ce livre magnifique, lyrique et beau, cruel et tendre, très largement autobiographique.

Un petit mot sur le hockey, qui risque d'en effaroucher quelques-uns...ou plutôt quelques-unes! J'ai été maman de deux hockeyeurs sur glace passionnés- surtout un, qui nous a même transformés en groupies itinérants! J'ai moi aussi adoré ce jeu rapide, vif, viril..pour ne pas dire plus, l' atmosphère glacée et électrique de la patinoire, toujours nimbée de cette poussière de glace qui aiguise les sens, et fouette le sang...Voir David, mon hockeyeur de 12 ans, lever la crosse avec vaillance pour demander l'accès à la glace me donnait toujours un petit coup d'adrénaline et mon estomac se serrait!

C'est dire si je n'ai pas boudé les époustouflantes pages sur les parties disputées par magic Saul! Mais c'est si bien écrit que même le lecteur le plus pépère, le plus allergique au sport, ne peut, lui aussi, qu'avoir "la vista" d'Indian Horse, et se représenter brillamment les matchs !

Ce jeu blanc m'a emballée, mais il m'a aussi tordu le coeur, de colère et de chagrin.

Pour Saul, il faudra fendre la glace , briser son miroir pour trouver, enfin, un sens apaisé à ce jeu équivoque et , finalement, pervers, ainsi qu' une façon d'y jouer qui permette à l'ivrogne repenti qu'il est de recouvrer dignité, douceur et fraternité, entouré des enfants de son peuple qui ont besoin, comme lui, de faire leur place sans se renier, dans une société blanche, catholique et raciste.

Dur, beau et fascinant comme la glace.


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critiques presse (1)
LaLibreBelgique
10 octobre 2017
Après le formidable "Les Etoiles s’éteignent à l’aube", "Jeu blanc" est le deuxième roman de l’écrivain canadien Richard Wagamese, disparu il y a peu, à être traduit en français.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Citations et extraits (139) Voir plus Ajouter une citation
Ensuite, dans les années soixante, nous nous enfonçames dans le cœur sombre du nord de l'Ontario et nous fûmes haïs. Haïs. Il n'y a pas d'autre mot. Les Moose, une équipe sortie de la forêt, voulait prouver son talent dans les meilleures compétitions qui soient. Nous arrivâmes dans ces villes en hockeyeurs espérant disputer un match honnête, crosse à crosse, de bout en bout, juste et équitable. Mais ils ne nous virent jamais autrement que comme des Indiens. Ils ne virent jamais rien d'autre que des visages à la peau mate alors qu'ils auraient dû être blancs. Nous n'étions pas bienvenus parmi eux. Et quand nous gagnions, les choses devenaient encore pires.
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Je n’étais pas là le jour où le premier cheval indien est arrivé jusqu’à notre peuple, mais j’ai entendu cette histoire tant de fois quand j’étais enfant qu’elle est devenue réelle pour moi.
Les Ojibwés n’étaient pas un peuple du cheval. Notre pays existait à l’état sauvage : lacs, rivières, tourbières et marécages entourés de citadelles de forêt, de pierre et du tissage labyrinthique de la nature. Nul besoin de cartes pour le comprendre. Nous étions le peuple des manitous. Les êtres qui partageaient notre temps et notre espace étaient le lynx, le loup, le glouton, l’ours, la grue, l’aigle, l’esturgeon, le chevreuil et l’orignal. Le cheval était un chien-esprit fait pour courir dans des espaces dégagés. Il n’y avait pas de mot pour le désigner dans notre ancienne langue jusqu’à ce que mon arrière-grand-père en rapporte un du Manitoba.
Quand le soleil était chaud et que le chant du vent s’entendait dans les bruissements des arbres, notre peuple disait que les Maymaygwayseeuck, les esprits des eaux, étaient sortis danser. C’était une journée comme ça, étincelante. Les yeux des esprits se reflétant dans l’eau.
Un jour de la fin de l’hiver, mon arrière grand-père s’en était allé dans la morsure du vent du nord, en direction de l’Ouest, vers les pays de nos cousins, les Ojibwés des plaines. Il s’appelait Shabogeesick. Ciel oblique. Il était chaman et trappeur, et parce qu’il passait beaucoup de temps dans la nature, elle lui révélait des choses, elle lui parlait des mystères et des enseignements. Les gens disait qu’il avait le pouvoir télépathique, ce don exceptionnel que possédaient nos premiers maîtres. C’était une puissante médecine permettant de partager des enseignements vitaux entre peuples séparés par des distances colossales. Shabogeesick fut l’un des derniers à revendiquer l’énergie de sa science, avant que l’histoire ne la piétine. Un jour, la nature l’avait appelé et il s’était éloigné sans souffler mot à qui que ce soit. Personne ne s’inquiéta. C’était une chose qu’il faisait tout le temps.
Mais par cette après-midi de la fin du printemps, lorsque, revenant de l’est, il sortit du bois,il tirait, au bout d’un licol en corde, un étrange animal noir. Notre peuple n’avait jamais vu une telle créature et les gens avaient peur. C’était un animal gigantesque. Aussi gros qu’un orignal, mais sans le panache, et le son de ses sabots sur le sol rappelait le roulement du tambour – tel un grand vent qui s’engouffre dans la crevasse d’un rocher. Les gens reculèrent en le voyant.
« Quelle espèce d’être est-ce donc ? demandèrent-ils. Est-ce qu’on le mange ?
– Comment se fait-il qu’il marche aux côtés d’un homme ? Est-ce un chien ? Est un grand-père égaré ? »
Le peuple se posait de nombreuses questions. Personne ne voulait approcher l’animal, et quand il s’inclina la tête pour commencer à brouter l’herbe, ils en eurent le souffle coupé.
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Je ne sais plus très bien quand je me mis à boire. La seule chose que je sais, c’est qu’alors le grondement au fond de mon ventre s’apaisa. Dans l’alcool, je découvris un antidote à l’exil. Je quittai l’arrière-plan pour devenir un blagueur, un clown, un conteur qui relatait des histoires de voyages et d’événements insensés. En fait, je n’en avais vécu aucune, mais j’avais suffisamment lu pour rendre ces récits vivants, crédibles et captivants. Au milieu des grandes claques, des coups de poing et des gros éclats de rire qui les accueillaient, je découvris qu’être quelqu’un que l’on n’est pas est souvent plus facile que de vivre sa propre vie.
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"Les bosses des rochers sur le rivage portaient des manteaux blancs.Les arbres, sous le poids de la neige fraîche dans leurs branches, ressemblaient à des soldats épuisés , rentrant à la maison à la fin de la guerre. Le froid était une bête redoutable. Tandis que j'avançais péniblement , dans la neige jusqu'aux genoux, en quête de bois pour le feu, je la sentais me traquer cette bête , attendre que l'épuisement m'abatte de façon à se repaître de ma chair gelée".....
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Richard Wagamese (1955-2017) dont le nom signifie « Nuage de Bison », est un auteur canadien, né en Ontario.

Il fait partie du peuple Ojibwé, dont le territoire va du Michigan au Montana aux USA, seul peuple ayant vaincu les Sioux. C’est aussi le premier journaliste indien à gagner un prix canadien. Il donnait des cours d’écriture à l’Université de Victoria en Colombie Britannique.
Un livre surtout a fait sa renommée « Indian Horse » traduit par Christine Raguet en « Jeu Blanc » (2017, Editions Zoé, 256 p.). Il y décrit la vie de Saul Indian Horse, jeune Ojibwé, élevé dans les traditions de son peuple qui devient célèbre par ses qualités de hockeyeur, sport national très populaire au Canada. Le cocktail « premières nations » et Hockey ne pouvait que marcher. Mais l’écriture est très belle, ce qui ne gâche rien, au contraire. Un premier livre de Richard Wagamese « Les Etoiles s’éteignent à l’aube », traduit par Christine Raguet (2016, Editions Zoé, 288 p.) est maintenant disponible en poche (2017, 10/18, 310 p.).
Saul Indian Horse est un Ojibwé. Il s’appelle « Indian Horse » comme tous les hommes de sa famille depuis plusieurs générations. Jusqu’à huit ans, il vit selon les traditions de son peuple, au rythme de la récolte du riz et de la pêche. Suite à des hivers rigoureux, sa famille est séparée et il se retrouve seul avec sa grand-mère. A la mort de cette dernière, il est considéré comme orphelin, il va être placé dans en pensionnat, le « St Jerome’s Indian Residential School ». C’est en fait un orphelinat catholique du genre intégriste. Il va falloir extirper le « sauvage » qui résiste dans ces enfants amérindiens. Il apprend cependant à lire et écrire en anglais. Saul devient « Zhaunagush », c'est-à-dire homme blanc dans la langue ojibwé. De plus, il excelle en hockey sur glace, sport national. Et ce malgré son physique de gringalet. Il rejoint bientôt l’équipe des « Mooses » (Orignaux), puis nationale, mais on voit en lui un « Peau-Rouge » parmi les Blancs.
Le titre « Indian Horse » se rapporte à la symbolique du cheval. « Quand les Zhaunagush vinrent, ils amenèrent le cheval avec eux. Notre peuple vit le Cheval comme un Être spécial. Il chercha à apprendre son pouvoir sacré. Monter ces êtres-esprits, pourchasser le vent avec eux, devinrent des signes d’honneur. Mais les Zhaunagush ne virent rien d’autre que du vol dans ce que nous avions fait, que l’attitude d’un peuple inférieur, alors ils nous appelèrent voleurs de chevaux. »

Le salut, pour lui, viendra de l’écriture (en langue anglaise) et d’une place retrouvée dans l’équipe autochtone des Moose (littéralement, « orignaux »), à laquelle, auréolé des fulgurances de sa jeunesse, il peut envisager d’apporter du changement en entraînant la prochaine génération
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