Quand ai-je lu la version expurgée ? Ma mémoire a perdu la trace de la date... mais pas celle de la fascination pour cette histoire ensorcelante.
J'avais donc dans ma PAL -
le portrait de Dorian Gray non censuré -, c'est-à- dire fidèle au manuscrit initial d'
Oscar Wilde, "débarrassé " des six chapitres écrits pour satisfaire aux moeurs et aux injonctions sociétales de ses contemporains, et plus explicite sur la nature des relations des protagonistes masculins du chef-d'oeuvre, et de leur conduite.
J'ai retrouvé avec ravissement le mythe de Faust repris et transposé par le génie
De Wilde.
Dorian Gray jeune héritier d'une immense fortune dans la haute société victorienne est doté d'une beauté exceptionnelle, laquelle beauté fascine, enchante et envoûte toutes celles et ceux qui l'approchent. À commencer par un célèbre peintre londonien, Basil Hallward... qui va faire, avec tout l'amour que lui inspire son modèle, le portrait de celui-ci et, ce faisant, réaliser le chef-d'oeuvre de sa vie.
"Pour l'anecdote, Wilde aurait tiré son idée géniale de la réflexion réelle d'un jeune homme entendue dans l'atelier d'un peintre."
Dorian est encore "pur", ce n'est que sous l'influence diabolique de Lord Henry, un ami du peintre, qu'il va prendre conscience de son extraordinaire beauté, du pouvoir qu'elle génère... et de son caractère éphémère.
Le portrait achevé, il lui est offert par Hallward.
Dorian tel Narcisse amoureux de sa propre image va alors être obsédé par l'évanescence de cette dernière et sceller un pacte afin de conserver jeunesse et beauté. C'est son portrait, reflet de son "âme" ou de sa conscience qui seul vieillira et se marquera des affres de ses turpitudes.
Dorian va avec la plus grande délectation visiter voluptueusement les Enfers, braver tous les interdits, abandonner la morale pour les sens, céder à tous les plaisirs, ruiner la vie de celles et ceux qu'il séduit, s'abandonner au crime... laissant à son portrait la lourde peine de porter le fardeau de toutes ses dépravations et de toutes ses "hontes".
Depuis plus d'un siècle, beaucoup tentent d'interpréter les multiples sens cachés de cette oeuvre foisonnante... et il y en a !
Roman fantastique, "conte noir", réflexion métaphysique, philosophique, questionnement sur l'Art, sur le bien et le mal, -
le portrait de Dorian Gray -, outre le fait d'être un puits de réflexions, d'interrogations, de mystères, d'énigmes, est une oeuvre à l'esthétique sublime.
Le fond et la forme se conjuguent dans une harmonie de beauté et d'érudition dont on ne se lasse pas.
Wilde qui était d'abord et avant tout un auteur de
théâtre, et c'est avec gourmandise que l'on savoure ses
aphorismes et ses répliques immortel(le)s, garde dans ce qui fut son unique roman ce sens et cette tonalité de l'homme rendu célèbre par ses pièces.
Ne connaissant pas sa voix, lorsque je le lis, c'est celle de
Guitry ( Sacha pas Lucien ) qui résonne à mes oreilles lors de certains passages.
"Le seul moyen de se défaire d'une tentation est d'y succomber".
"De nos jours les gens savent le prix de tout, mais ne connaissent la valeur de rien."
Qui ne connaît pas ces mots... qui ont un air Guitrien ?
Trois scènes m'ont beaucoup impressionné :
- la première est la rupture avec Sybil Vane,
- la seconde est celle du crime,
- la troisième est la scène finale... qui, chaque fois, me "bouleverse".
Pour conclure cette présentation, je vous laisse sur ces mots
De Wilde :
"Basil Hallward is what I think I am: Lord Henry what the world thinks me: Dorian what I would like to be- in other ages, perhaps.”
Un immense bouquin dont Grasset a très bien fait d'éditer cette version censurée.