Je ne suis pas suspecte de ne pas être (ou en tout cas avoir été) une fan de
Martin Winckler, dont j'ai tant aimé de nombreux livres. Mais il me faut dire à quel point ce livre m'a exaspérée, alors-même que je partage pleinement son idée que le patient doit être entouré d'une bienveillance attentive. Qu'il faut pourchasser la malveillance, la maltraitance, les petites ironies, les gros sarcasmes, les remarques désobligeantes, racistes, sexistes… et j'en passe… dont il est parfois l'objet.
Qu'il y a de gros crétins dans notre profession(je suis médecin), mais je ne suis pas sûre qu'il y en ait beaucoup plus que dans d'autres secteurs.
Que les laboratoires ont plus facilement l'oeil braqué sur le pôle commercial que sur le pôle du soin. Que la formation des médecins est à revoir. Qu'il faut repenser d'urgence l'organisation de la médecine.
Mais, mais, mais…pour défendre cette cause...
Il ne faut pas prendre l'anecdote pour preuve,
Il faut refuser la généralisation,
Il faut se rappeler que la citation hors contexte est sujette à critique
Il faut conserver une humilité, ne pas se prendre pour un asseneur de leçons ou un distributeur de bons points,
il faut arrêter de répéter que les médecins sont sans cervelle, sans libre arbitre, cupides, avides de pouvoir, j'en passe et des meilleures. Ah! oui incompétents, et ne se forment pas au fil de leur carrière. Et bêtes accessoirement.
Il faut envisager ne serait-ce qu'un soupçon de présomption d'innocence avant de juger.
Il faut parler aussi des situations de bientraitance au côté des exemples de maltraitance, les seuls comportement positifs évoqués dans les livres étant ceux de Saint Winckler.
Il faut dire la vérité et non les vérités qui vous arrangent.
Il ne faut pas mentir ce qui rend impossible de prendre pour argent comptant tout ce qui est asséné à côté dans ces pages. (Un exemple parmi d'autres "En France, il [le statut d'infirmier clinicien]n'existe pas")
Il faut faire preuve d'un peu de nuance. Et de compassion, pas seulement vis à vis des patients, mais aussi vis-à-vis des médecins, et oui.
Le message n'en passera que mieux.
Je ne pense pas défendre une caste en étant terriblement gênée de lire:
"Ils [les médecins] oublient, surtout, que leur principal outil diagnostic, c'est leur cerveau. Sans doute parce qu'on ne les a jamais encouragés à s'en servir."
...que si beaucoup de médecins français sont opposés à une législation de l'aide à mourir, ce n'est pas pour protéger les patients, mais protéger: "leur liberté de décider seuls s'ils vont les aider ou non à mourir !"
"En France, aujourd'hui encore, les « valeurs, » de nombreux médecins restent furieusement coincées entre une conception vaniteuse de la vertu-inhérente-au-fait-d'être-médecin et des notions de déontologie paternalistes, dogmatiques et pétries de catholicisme. Cette mentalité archaïque reflète l'appartenance effective du corps médical à une aristocratie sociale."
"Quarante ans après, les problèmes sont les mêmes, car les institutions n'ont pas changé."
Je reconnais les abus, les dérives, les pratiques intolérables, la nécessité de les combattre. Je reconnais aussi que ces attitudes peuvent être miennes, parfois, même si j'y suis vigilante. Mais s'il y a dans le fond un message intéressant et des problèmes qu'il est opportun de soulever, il n'en demeure pas moins que ce livre est une provocation manifeste, une amplification perverse, une autocélébration très malvenues. Il est dommage qu'autant de mauvaise foi biaise un sujet sensible et important, au risque qu'on le néglige ou s'en détourne..
Je suis en colère face à tant de parti-pris, de démagogie et d'outrecuidance. Je suis en colère de devoir dire ça de
Martin Winckler.