Impossible d'oublier les flots de sang, les centaines de milliers d'hommes qui s'entretuent, toutes ces vies arrachées, parfois en quelques minutes. Comment justifier cela ? Comment justifier ce temps des guerres, ce temps où les nations ne parvenaient à naître et à s'affirmer qu'en se combattant et en s'arrachant territoires et vies ?
C'est en ce temps-là que survint cet homme, différent de tous les autres, supérieurs à tous dans cet art de la guerre, avide de pouvoir mais avant tout avide de changement, d'action et, toujours, demeurant sincère dans son désir de servir « son » peuple et de faire avancer cette nation dans le nouveau siècle, de la structurer, de la modeler, de la construire et d'y mettre toute son intelligence et toute sa volonté.
Un homme de faiblesses et de forces. Mais un homme que l'on peine, au final, à ne pas trouver admirable, tant il fut admiré.
Destin fascinant. Qui le plaça idéalement dans les soubresauts de la révolution, preuve vivante, preuve éclatante qu'un homme rompant avec la sacro-sainte hérédité des Rois, par ses seuls mérites et capacités, pouvait se montrer capable et digne de porter et même d'incarner une nation.
En cela symbole plus que tout autre de la fin irrémédiable de la monarchie de droit divin.
Bien sûr, devenu Empereur, n'incarnant pas pour autant la République et la Démocratie (celle-ci fut plus longue à s'imposer), mais, quoi qu'on en dise, refusant à la fin de verser plus de sang et acceptant de renoncer au pouvoir, pas une fois mais deux fois.
Là aussi, qui pourra dire que cela ne fut pas une étape de plus, une étape importante qui plus est, dans la maturation de la nation à comprendre que nul pouvoir humain ne devait être désormais sans fin ?
Destin fascinant, disais-je, qui pourrait alimenter 100 romans et 100 films. Intelligence supérieure, sens de l'honneur, sens du devoir, comme faiblesse du désir humain et orgueil avilissant, charisme, noblesse et gloire comme souffrance, exil et tragédie, tout, absolument tout y est. Tant de fois perdu et tant de fois renaissant, par la seule force de sa volonté, par son audace, par sa croyance absolue en son destin et en son étoile, le tout s'appuyant sur une intelligence et sur un travail hors norme.
Et ce paradoxe lui aussi au combien fascinant de la propension de l'être humain, parfois, à la vénération démesurée d'un autre, à cette sorte d'anéantissement intime qui place un être supérieur au-dessus de lui, infiniment, au point d'être prêt à aller au-devant de la mort pour lui et qui se sent malgré tout grandir de toute la grandeur de cet homme, qui vit ainsi des instants parmi les plus intenses de toute sa vie. Il est des êtres qui, miraculeusement, vous élèvent tout en se montrant absolument, irrémédiablement, supérieurs à vous.
Paradoxe, aussi, que cette vénération démesurée pour un homme, participa de façon indéniable à la poursuite de la création d'une nation, par la fierté qu'il lui donna, cette force immense de sentiments, tout en sacrifiant tant de ses fils et en la faisant haïr par tant d'autres peuples.
Napoléon ne fut pas le sauveur. Tant d'hommes périrent à cause de lui. Il en était tragiquement ainsi en ces temps de guerres incessantes. Fascinant d'imaginer ce qu'un tel homme aurait pu accomplir à notre époque, comment son sentiment européen se serait exprimé dans notre Europe actuelle. Certes, peut-être que son génie militaire ne lui aurait été d'aucune utilité (j'incline à penser, même si rien ne le prouve, qu'il n'aurait pas conduit à la guerre en des temps comme les nôtres) mais son intelligence, sa capacité de travail supérieure, son désir majuscule de la grandeur de la nation, auraient, j'ose le penser, fait merveille de nos jours aussi. Question ouverte.
Pas un sauveur mais pas un leader distant et méprisant non plus. D'une proximité, d'une intimité non feinte avec ses soldats, partageant avec eux le danger, les fatigues, les éléments déchaînés, le froid, ne trichant pas une seconde. Tout cela participa de la vénération que tant lui vouaient. Nul faux semblant chez lui face au peuple (même s'il se méfiait des déchaînements de la foule), réservant la rouerie aux négociations diplomatiques ou à certaines relations aux femmes (pour le coup parfois très discutables). Homme d'Etat si jamais il en fut. Né pour commander. Bien sûr avili, corrompu, par degrés, par un pouvoir si grand, mais demeurant malgré tout guidé par ce désir profond de faire avancer la société et la nation, attaché, par-delà tout, à la trace qu'il savait devoir laisser dans
L Histoire, revendiquant le jugement des siècles futurs et voulant, plus que tout et jusqu'au bout, se montrer digne de cette postérité.
Ouvrage fort, en tout cas. A faire précéder absolument du «
Bonaparte » du même auteur.
Ouvrage qui m'a touché, qui m'a parfois pris à la gorge, au récit de la retraite de Russie ou à l'agonie de Ste Hélène. Destin majeur. Ciment d'une nation. Par le sang de tant d'hommes.