Le Cherche Midi n'hésite pas une seconde à tartiner 6 éloges pâmés au dernier degré de la pamoison, et en plus sortis de la plume d'auteurs connus et qui vendent, sur les 1re et 4e de couverture (rabats compris) de la chose publiée par eux à destination des lecteurs francophones. Alors, question brûlante, ce
Cartoon est-il vraiment "un livre qui a la grâce", "qui vous fait hurler de rire et qui va droit au coeur", "d'une originalité incroyable", "un coup de maître" "d'une intelligence et d'une drôlerie peu communes" ?
Marshall Karp fait-il "immédiatement office de
Woody Allen du polar" ou bien encore l'objet d'une "découverte telle qu'on n'en n'avait pas vu depuis
Michael Connelly" ? Fichtre. Réponse bientôt.
Cette longue enquête (540 pages, quand même) se lit sans déplaisir. L'idée de départ est intéressante : pour une raison obscure, on cherche à détruire un empire du genre Disney en portant violemment atteinte au personnel de l'entreprise, à ses clients, à ses partenaires, etc. On est tout de suite happé par l'action (et les nombreux dialogues), un peu comme dans le Millenium de Larson. Les pages défilent vite et, toujours comme dans le Millenium de Larson, on n'en retire finalement pas grand' chose. Il y a des personnages vraiment sympas et futés, et d'autres pas sympas du tout, ultra conservateurs et vaguement racistes (hou ! – Karp piquerait-il au cul la mémoire de Mr.
Walt Disney ?), qui ne seront pas coincés avant les 50 dernières pages. Tous campent en fin de compte des stéréotypes insipides qui ne tiennent debout que grâce à l'intrigue, traitée il est vrai avec suffisamment d'astuce et de savoir faire. Sur le coup, on gobe même quelques invraisemblances dont l'énormité se révèle au premier recul, une fois le bouquin fermé (je suis peut-être une peu lent).
Revenons à nos deux flics (sympas). le très sage Lomax souffre sans rémission suite à la perte de la femme dont il était éperdument amoureux ; de plus, son frangin a un contrat sur la tête pour avoir abusé (financièrement, mais pas que) d'une belle italienne déjà mariée. Heureusement, l'humour du collègue Biggs, d'une lourdeur revendiquée (sans être pour autant plus digeste), remet toujours la bonne humeur plus ou moins sur les rails. le veuf malheureux retrouvera l'amour, ce qui nous vaudra vers la fin quelques pages d'une niaiserie ahurissante, directement pompées chez Harlequin dirait-on. Il pactisera ponctuellement avec la maffia pour tirer le frangin de son mauvais pas (après qu'il ait juré de plus recommencer). Et, je l'ai écrit plus haut – si vous suivez – les méchants finissent complètement acculés par nos deux flics astucieux, aidés de tous les services de police imaginables avec l'appui du président des Etats Unis lui-même. Qui dit mieux ?. Karp ose le happy end généralisé à 360 degrés. Il ne restait plus qu'à ressusciter les morts innocents.
Je donnerai tout de même un petit bon point à Karp pour son rapide flingage de la dérive politiquement correcte du langage, à propos des clochards rebaptisés stupidement SDF dans un bel unisson par les médias et les institutions des deux côtés de l'atlantique, alors que la plupart n'ont tout simplement pas de domicile du tout (cf. p.162). La neutralisation du langage pour cacher la misère (entre autres), une discrète abjection bien rentrée dans les moeurs.
Traduction honnête qui irrite ponctuellement par l'usage à répétition d'un argot parisien branché (pété de thunes – pas un flèche – aller au taf / taffer, etc.).
PS1. Une bonne référence avec deux flics à hollywood ? Procurez-vous plutôt "
Le crépuscule des flics" de
Joseph Wambaugh ; il est épuisé depuis belle lurette, voyez dans le circuit de l'occase.
Wambaugh savait être drôle et en même temps vous prendre aux tripes avec des personnages véritablement torturés (il a plus de mal aujourd'hui).
PS2. Autre référence d'un tout autre genre : le titre original de ce médiocre pavé, "The rabbit factory", est aussi celui du chef d'oeuvre de
Larry Brown traduit plus littéralement par "
L'usine à lapins" (La Noire) et publié aux Etats Unis 3 ans avant le roman de Karp.