Narrée par un conteur traditionnel, la prise du maquis par un nègre dans la Martinique pétainiste...
Ecrite en 1979 en créole (sous le titre "Jik deyé do bondyé"), cette longue nouvelle est l'un des tous premiers textes du Martiniquais
Raphaël Confiant, chantre de la créolité aux côtés de
Jean Bernabé et de
Patrick Chamoiseau. Il l'a traduit lui-même en français pour une publication en 2000 sous le titre "
La lessive du diable".
La Martinique de 1941, sous la botte de Vichy, sera pleinement dépeinte dans le premier grand roman en français de l'auteur, "
Le nègre et l'amiral", en 1988. "
La lessive du diable" en constitue en quelque sorte une esquisse, dense et ramassée, contant un marronnage moderne, celui de Mano, nègre en fuite, pour avoir tué un contremaître béké qui abusait profondément de son pouvoir sur la plantation, au milieu des milices du très pétainiste amiral Robert, en charge des Antilles françaises... Narré par un conteur anonyme, qui interrompt régulièrement le récit lui-même (composé de bribes de souvenirs de Mano et de quelques autres protagonistes, réarrangés dans un ordre secret qui ne dévoile son sens que peu à peu), pour se livrer aux intermèdes virtuoses par lesquels le conteur démontre son art oral de l'improvisation à l'assistance...
Un tour de force de langue, de mélange de registres linguistiques et de narration croisée.
"Pays dépourvu de forêts dignes de ce nom, pays dépourvu du moindre lieu que le maître ne connaisse pas où se volatiliser en cas de malheur. Si, par exemple, des rapaces, surgis de derrière le miquelon de la mer sur leurs vaisseaux de guerre, venaient y semer la terreur ("Tant pis pour les merles qui se laissent toucher par les plombs du fusil !", avons-nous coutume de dire). Ah ! parcelle de terre dont on a fait moult fois l'inventaire, dont on a même dompté
la savane des Pétrifications, dont on a estampillé chacune des criques. Pays de malédiction où, partout que l'on soit, l'homme doit faire face à l'agaçant complot que la mer ourdit dans son dos, coincé qu'il est contre les falaises couvertes de raisiniers-bord-de-mer. Et il y va du pays comme il en va de ses habitants. Ces derniers, marqués au fer rouge dès le premier jour afin que le maître puisse s'y reconnaître dans son bétail, enregistrés sur les livres d'approvisionnement entre les barriques de viande de cochon salé et les rouleaux de toile des Indes. Ah ! île où toute fuite est déjà perdue d'avance parce que nul lieu n'y est vierge."